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– Éléonore!

L’édifice résonna de cet appel. Instinctivement, Catherine terrorisée essaya de se dissimuler. Quand son amie, qui, d’un regard s’était excusée, eût rejoint le général et eût disparu avec lui, Catherine courut se réfugier dans sa chambre, où elle s’enferma à clef. Elle y resta au moins une heure, en grand émoi, s’apitoyant sur sa pauvre amie. Elle s’attendait elle-même à ce que d’un moment à l’autre le général lui fît sommation de se rendre dans ses appartements particuliers. Aucune sommation ne lui fut adressée. Enfin, voyant un équipage se diriger vers l’abbaye, elle s’enhardit à descendre, afin de ne se retrouver en face de M. Tilney que sous la protection des visiteurs.

La salle du déjeuner s’égayait déjà des nouveaux venus. Le général leur présenta Catherine comme une amie de sa fille, et son ton paterne palliait si bien son courroux intérieur qu’elle se sentit en sûreté, au moins provisoirement. Éléonore, se composant une attitude, en fille soucieuse de la réputation familiale, profita de la première occasion pour lui dire:

– Mon père voulait simplement me faire répondre à une lettre.

Catherine commençait à croire qu’elle n’avait pas été vue par le général ou encore que, par politique, on lui laisserait supposer qu’il en était ainsi. Elle osa donc rester en sa présence après le départ des visiteurs, et nul incident ne survint.

Elle fut amenée par ses réflexions à décider qu’elle forcerait seule la région interdite. À tous points de vue, mieux valait qu’Éléonore restât neutre. L’exposer au danger d’être découverte une seconde fois, l’entraîner dans une exploration douloureuse à son cœur n’était pas le fait d’une amie. L’ire du général frapperait moins rudement une étrangère qu’une fille. Et, faite par elle seule, une perquisition serait plus féconde. On ne pouvait communiquer à Éléonore des soupçons dont, vraisemblablement, elle était sauve. Pour cette raison, il était difficile en sa compagnie de chercher avec système les preuves des méfaits du général, ces preuves qui, sans doute, apparaîtraient sous la forme de quelque journal interrompu par la mort. Elle connaissait maintenant le chemin et, si elle voulait avoir fini avant le retour, prévu pour le lendemain, de Henry, il n’y avait pas de temps à perdre. Quatre heures. Le soleil resterait encore deux heures sur l’horizon. En partant maintenant, elle n’avançait que d’une demi-heure le moment où d’habitude elle se retirait pour sa toilette.

Ainsi fut. Catherine était dans la galerie que les coups sonnaient encore. Le moment des réflexions était passé. Elle se faufila silencieusement entre les battants de la grande porte et, sans s’attarder à rien, arriva devant la porte fatale, l’ouvrit, et fit un pas, craintive. Des minutes passèrent avant qu’elle pût en faire un second. Elle voyait, dans une vaste chambre, bien nette, un lit tout paré, un luisant poële de Bath, des armoires en acajou, etc.; les doux rayons d’un soleil couchant entraient par deux larges fenêtres à coulisses et folâtraient sur les meubles. Cette chambre si gaie, et que l’imagination de Catherine s’était représentée lugubre et très antique, était située dans les bâtiments construits par le père du général. Deux portes donnaient accès, sans doute, dans des cabinets de toilette ou de débarras. Elle n’eut aucune envie de les ouvrir. Elle était dégoûtée des explorations et ne souhaitait rien tant que se trouver dans sa chambre, avec son cœur, seul confident de sa folie. Elle se disposait à faire une retraite aussi silencieuse que son entrée quand, à un bruit de pas venus d’où? elle s’arrêta, tremblante. Être découverte là, fût-ce par un domestique, serait fâcheux; mais, par le général, qui se dressait toujours devant vous quand on le désirait le moins, serait pis. Elle écouta. Le bruit avait cessé. Résolue à ne pas perdre une minute, elle sortit et ferma la porte. Au même moment, une porte, à l’étage inférieur, fut ouverte. Quelqu’un montait rapidement l’escalier devant lequel Catherine devait passer pour gagner la galerie. Incapable d’aucun mouvement, elle regardait anxieusement l’escalier. Henry apparut.

– Monsieur Tilney! s’écria-t-elle, stupéfaite.

Lui-même semblait étonné.

– Mon Dieu! continua-t-elle, comment êtes vous arrivé ici? comment avez-vous pu prendre cet escalier?

– Comment j’ai pu prendre cet escalier? répondit-il grandement surpris. Parce que c’est le chemin le plus direct de la cour de l’écurie à ma chambre. Et pourquoi ne monterais-je pas cet escalier?

Catherine se ressaisit, rougit très fort et ne put rien répondre. Lui, semblait chercher sur les traits de Catherine l’explication qu’elle taisait. Elle se dirigea vers la galerie.

– Ne puis-je, à mon tour, dit-il, comme il refermait la porte de la galerie, vous demander comment vous êtes venue de ce côté? Ce couloir était un chemin au moins aussi extraordinaire pour aller de la salle à manger à votre chambre que l’escalier peut l’être pour aller à ma chambre en venant des écuries.

Catherine, baissant les yeux, dit:

– Je suis allée voir la chambre de votre mère.

– La chambre de ma mère! Y a-t-il donc quelque chose de si curieux à y voir?

– Non, rien… Je croyais que vous vous proposiez de ne revenir que demain.

– Quand je suis parti de Northanger, je ne croyais pas pouvoir rentrer si tôt. Mais, il y a trois heures, j’ai eu le plaisir de reconnaître que rien ne me retenait plus à Woodston… Vous êtes pâle. Je crains de vous avoir effrayée en montant si rapidement l’escalier. Peut-être ne vous doutiez-vous pas qu’il conduisait aux communs.

– Non, je ne le savais pas… Vous avez eu beau temps pour revenir à cheval.

– Très beau… Éléonore vous laisse donc chercher votre chemin toute seule à travers la maison?

– Non. Elle a visité la plus grande partie de l’abbaye avec moi, samedi. Mais nous ne sommes venues vers ces chambres-là qu’une fois. (Baissant la voix:) Votre père était avec nous.

– Et cela vous gêna dans votre visite, dit Henry, la regardant avec insistance. Avez-vous visité toutes les chambres qui donnent sur le couloir?

– Non. Et je ne désirais voir que… N’est-il pas bien tard? Il faut que j’aille m’habiller.

– Il n’est pas plus de quatre heures et quart, dit-il, tirant sa montre, et vous n’êtes pas à Bath. Point de théâtre ou de Rooms pour lesquels vous avez à vous mettre en toilette. À Northanger, une demi-heure peut vous suffire.

Elle n’avait rien à objecter: elle dut souffrir qu’il la retînt, quoique, en terreur de questions nouvelles, elle désirât, pour la première fois, lui fausser compagnie. Ils s’avançaient dans la galerie avec lenteur.

– Avez-vous reçu une lettre de Bath?

– Non, et j’en suis fort surprise. Isabelle m’avait si fidèlement promis de m’écrire tout de suite.

– Si fidèlement promis! La fidélité à une promesse!… La chambre de ma mère est très agréable, n’est-ce pas? Vaste et gaie, et ses dépendances sont si bien aménagées. Cela m’a toujours paru l’appartement le plus confortable de la maison, et je m’étonne qu’Éléonore ne le prenne pas pour elle. C’est elle qui vous y a envoyée, je suppose?

– Non.

– Vous y avez été de votre propre mouvement?