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– Elle n’est que de James.

La lettre venait d’Oxford. Catherine l’ouvrit.

«Chère Catherine, Dieu sait si j’ai peu envie d’écrire. Cependant il faut bien que je vous dise que tout est fini entre Mlle Thorpe et moi. Je l’ai quittée hier et Bath, pour ne plus les revoir jamais. Des détails ne feraient que vous attrister davantage. Bientôt vous serez assez renseignée d’autre part, pour savoir de quel côté sont les torts, et, je l’espère, vous absoudrez votre frère de tout, sauf de cette folie qu’il eut de croire son affection partagée. Dieu soit loué! je suis désabusé avant qu’il soit trop tard. Mais quel rude coup! Et mon père qui avait accordé de si bon cœur son consentement… N’en parlons plus. Elle m’a rendu malheureux pour toujours. Écrivez-moi, chère Catherine; vous êtes ma seule amie. De votre affection à vous, je suis sûr. Je souhaite que vous ayez quitté Northanger avant qu’il y soit question des fiançailles du capitaine Tilney: vous vous trouveriez dans une situation difficile. Le pauvre Thorpe est à Londres. Je redoute de le revoir. Il sera si peiné en son honnête cœur. Je lui ai écrit et j’ai écrit à mon père… La duplicité de Mlle Thorpe me fait souffrir plus que tout. Jusqu’au dernier moment, quand je lui disais mes appréhensions, elle riait, déclarant que ses sentiments n’avaient pas varié. J’ai honte d’avoir été dupe si longtemps. Mais si jamais un homme eut quelque raison de se croire aimé, c’était moi. Je ne puis comprendre, même maintenant, quel était son but. Il n’était pas nécessaire pour s’assurer Tilney qu’elle jouât de moi. Il eût été heureux pour moi que nous ne nous soyons jamais vus. Je ne rencontrerai plus une femme comme Isabelle. Ma chère Catherine, ne donnez pas votre cœur imprudemment.

«Croyez-moi, etc.

Catherine n’avait pas lu trois lignes de cette lettre, que son brusque changement d’expression, ses brèves exclamations de pénible étonnement témoignaient qu’elle recevait de peu agréables nouvelles. Henry ne la quitta plus des yeux et constata que la lettre ne finissait pas mieux qu’elle ne débutait. Mais il fut empêché de montrer même de la surprise: son père entrait. On alla déjeuner. Catherine ne mangea guère. Des larmes lui remplissaient les yeux, roulaient même sur ses joues. La lettre était tantôt dans sa main, tantôt sur ses genoux, tantôt dans sa poche. Catherine semblait ne pas bien savoir ce qu’elle faisait. Heureusement le général, tout à son cacao et à ses journaux, n’avait pas le loisir de l’observer. Aux deux autres convives, sa détresse était manifeste. Dès qu’elle put quitter la table, elle voulut s’enfermer chez elle. Mais les filles de service faisaient la chambre, et elle fut obligée de redescendre. En quête de solitude, elle entra au salon. Henry et Éléonore y étaient, qui se consultaient à son sujet. Elle voulut s’excuser et se retirer. On la força amicalement à revenir. Éléonore et Henry sortirent, après qu’Éléonore se fût gentiment mise à sa disposition.

Une demi-heure, elle s’abandonna à son chagrin et à ses réflexions, après quoi elle se sentit capable de se retrouver en présence de ses amis. Elle ne savait pas encore si elle leur ferait des confidences. Peut-être, si on la pressait, hasarderait-elle une allusion au motif de son trouble. Rien de plus. Mettre en cause une amie, et l’amie qu’avait été pour elle Mlle Thorpe…! Puis, leur frère était si intimement mêlé à tout cela… Mieux valait ne rien dire. Éléonore et Henry, quand elle alla les rejoindre dans la salle à manger, la regardèrent un peu anxieux. Catherine s’assit. Après un moment de silence, Éléonore interrogea:

– Pas de mauvaises nouvelles de Fullerton, j’espère. M. et Mme Morland, vos frères et vos sœurs, aucun d’eux n’est malade?

– Non, je vous remercie. (Elle soupirait.) Ils vont tous très bien. La lettre est de mon frère. Elle vient d’Oxford.

Quelques minutes passèrent. Puis Catherine reprit, et ses larmes reparurent:

– Je crois bien que, plus jamais, je ne souhaiterai recevoir une lettre.

– Si j’avais soupçonné que cette lettre contint quelque fâcheuse nouvelle, dit Henry en fermant le livre qu’il venait d’ouvrir, je ne vous l’aurais pas remise d’un cœur si joyeux.

– Elle est plus désolante qu’on ne peut se l’imaginer. Le pauvre James est si malheureux! Bientôt vous saurez pourquoi.

– Avoir une sœur si bonne, si affectueuse, dit Henry avec chaleur, doit être pour lui un grand soulagement à toute peine.

– J’ai une faveur à vous demander, dit Catherine d’une voix entrecoupée. Si votre frère venait ici, vous me préviendriez – que je puisse partir avant son arrivée.

– Notre frère! Frédéric!

– Oui. Je serais très triste de vous quitter si vite. Mais il est arrivé quelque chose qui me rendrait trop pénible une rencontre avec le capitaine Tilney.

Éléonore laissa son ouvrage et regarda Catherine avec un étonnement croissant. Henry, lui, commençait à soupçonner la vérité. Quelques mots s’échappèrent de ses lèvres et, parmi eux, le nom de Mlle Thorpe.

– Comme vous avez l’esprit prompt! s’écria Catherine. Vous avez deviné. Et pourtant, quand nous en parlions à Bath, vous ne pensiez guère que cela se terminerait ainsi. Isabelle (je ne m’étonne plus de son silence) a délaissé mon frère et va épouser le vôtre. Auriez-vous cru à tant d’inconstance!

– Je veux croire, en ce qui concerne mon frère, que vous êtes mal renseignée. Je veux croire qu’il n’a pas été la cause déterminante de la déception de M. Morland. Son mariage avec Mlle Thorpe n’est pas probable. Sur ce point vous devez vous tromper. Je suis très affligé que M. Morland… que quelqu’un que vous aimez soit malheureux. Mais ce qui m’étonnerait plus que le reste de l’histoire, c’est que Frédéric épousât Isabelle.

– C’est la vérité cependant. Vous lirez vous-même la lettre de James. Non… Attendez… Il y a une partie… (Se souvenant de la dernière ligne, elle rougit…)

– Voulez-vous nous lire les passages qui concernent mon frère?

– Non. Lisez vous-même, dit Catherine, dont les idées redevenaient plus nettes. Je ne sais pas à quoi je pensais. (Et elle rougit d’avoir rougi.) James entend simplement me donner un bon conseil.

Henry prit la lettre et, l’ayant lue toute, la rendit en disant:

– S’il en est ainsi, je ne puis dire qu’une chose, c’est que je le regrette. Frédéric ne sera pas le premier qui ait choisi une femme avec moins de bon sens que l’eût voulu sa famille. Je n’envie pas sa situation ni d’amoureux ni de fils.

À l’invitation de Catherine, Mlle Tilney lut aussi la lettre, exprima ses regrets avec son étonnement, puis posa quelques questions relatives à la famille et à la fortune de Mlle Thorpe.

– Sa mère est une très bonne femme, fut toute la réponse de Catherine.

– Qu’était son père?

– Un homme de loi, je crois. Ils habitent à Putney.

– Sont-ils riches?

– Non, pas très riches. Je crois qu’Isabelle n’a aucune fortune. Mais cela n’a pas d’importance dans votre famille: votre père est si généreux! Il m’a dit l’autre jour n’accorder de valeur à l’argent que parce que l’argent lui permet de contribuer au bonheur de ses enfants.

Le frère et la sœur se regardèrent.

– Mais, dit Éléonore, serait-ce contribuer à son bonheur que lui permettre d’épouser une telle fille? Si elle avait un peu de sens moral, elle n’aurait pas agi envers votre frère comme elle a fait. Et quel étrange aveuglement chez Frédéric! Lui qui avait un cœur si orgueilleux, qui trouvait que nulle femme n’était digne qu’on l’aimât!