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– C’est justement ce qui me fait douter que la nouvelle soit exacte. Quand je pense à ses déclarations d’autrefois, je ne comprends rien à cette histoire. Cependant j’ai trop bonne opinion de la prudence de Mlle Thorpe pour supposer qu’elle rompe avec un fiancé avant d’en avoir un autre tout prêt. Tout est fini de Frédéric. C’est un homme mort. Sa raison est morte. Préparez-vous à accueillir votre belle-sœur, Eléonore, une belle-sœur en qui vous vous délecterez: franche, candide, sans fard, naïve, aux affections vivaces, sans prétention et sans détours.

– Une telle belle-sœur, Henry, serait ma joie, dit Éléonore avec un sourire.

– Mais peut-être, dit Catherine, quoique elle ait si mal agi avec les miens, agira-t-elle mieux avec votre famille. Maintenant qu’elle a bien l’homme qu’elle aime, elle pourra être constante.

– En vérité, je crains qu’elle le soit, dit Henry. Je crains qu’elle soit trop constante, à moins qu’un baronnet se trouve sur sa route; ce serait la seule chance de Frédéric. J’achèterai la gazette de Bath et y consulterai la liste des arrivants.

– Vous croyez donc que la cause de tout cela soit l’ambition? Et, sur ma parole, il est tels indices qui sembleraient vous donner raison. Je ne puis oublier qu’en apprenant ce que mon père donnerait à James, elle sembla toute désappointée que ce ne fût pas davantage. Jamais je ne me suis méprise à ce point sur le caractère de quelqu’un.

– … Parmi la grande variété des caractères que vous avez étudiés.

– Mon désappointement et la perte que je fais en elle sont grands. Mais le pauvre James, il ne pourra guère se consoler.

– Votre frère est certainement fort à plaindre en ce moment. Pourtant, malgré l’intérêt que nous portons à ses peines, il ne faut pas que nous fassions trop peu de cas des vôtres. J’imagine qu’en perdant Isabelle, il vous semble perdre la moitié de vous-même. Vous sentez en votre cœur un vide que rien ne comblera. Tout vous est fastidieux, et, les plaisirs que vous partagiez avec elle – bals, théâtres, concerts. – la seule idée vous en est odieuse. Vous êtes persuadée que vous n’aurez désormais plus d’amie à qui vous confier sans réserve, plus d’amie sur qui compter. Vous ressentez tout cela?

– Non, dit Catherine après avoir réfléchi. Faudrait il?… Au vrai, quoique je sois triste de ne plus pouvoir l’aimer, quoique je ne doive plus entendre parler d’elle et peut-être ne plus la revoir, je ne me sens pas si profondément affligée que je m’y fusse attendu.

– Comme toujours vous sentez de la façon la plus fine. Il est bon de faire une enquête sur de tels sentiments afin de pouvoir les éveiller à leur propre conscience.

Catherine, pour un motif ou pour un autre, se sentit si apaisée à la suite de cette conversation qu’elle ne regretta pas d’avoir été amenée, par le jeu des circonstances, à dire ces choses qu’elle voulait taire.

XXVI

Ce même sujet revint fréquemment dans les conversations de Henry et des deux jeunes filles. Catherine découvrit que ses amis étaient d’accord pour considérer que le nom obscur de Mlle Thorpe et son peu de fortune seraient des obstacles à son mariage avec Frédéric. Ils étaient sûrs que ces deux considérations, indépendamment des critiques qu’on pourrait faire du caractère d’Isabelle, suffiraient à motiver le veto du généraclass="underline" ce qui ne laissait pas de causer à Catherine quelques craintes personnelles. Son nom n’avait pas plus d’éclat, et peut-être avait-elle aussi peu de fortune. Et si l’hoir des Tilney n’avait pas, lui, assez de lustre et de richesses pour ne rien exiger de sa femme, qu’exigerait donc de la sienne le frère cadet? Elle ne parvenait à s’apaiser qu’en songeant à l’affection particulière qu’elle avait su inspirer au général. En raison des sentiments désintéressés dont il avait fait étalage plus d’une fois, elle était bien forcée d’admettre que les questions d’argent lui étaient plus indifférentes que ne le croyaient ses enfants.

Pourtant ceux-ci étaient si convaincus que leur frère n’oserait solliciter en personne le consentement paternel, ils assuraient avec tant d’insistance que l’arrivée de Frédéric n’avait jamais été si peu probable, que la crainte d’avoir brusquement à lui céder la place cessa de hanter Catherine. Mais, comme il n’était pas à prévoir que le capitaine Tilney, quand enfin il présenterait sa requête, dût faire un exposé bien exact de la situation, il lui semblait loyal que Henry soumît à son père les renseignements qu’il avait sur Isabelle: dès lors, en présence de sérieux éléments d’appréciation, le général ne se buterait plus à un misérable souci financier et pourrait établir son opinion d’une façon impartiale. Elle le dit à Henry. Contrairement à l’attente de Catherine, il ne s’éprit pas de cette idée.

– Non, c’est à Frédéric qu’il appartient de faire l’aveu de sa folie. Il racontera lui-même son histoire.

– Mais il n’en dira que la moitié.

– Un quart suffira.

Deux jours passèrent, qui n’apportèrent point de nouvelles de Frédéric. Le frère et la sœur ne savaient que penser. Tantôt, il leur semblait que ce silence prouvait la réalité de l’engagement; tantôt que ce silence était tout à fait incompatible avec un tel engagement. Quoique très offensé que son fils négligeât de lui écrire, le général vivait placide. Rendre le séjour de Northanger agréable à Mlle Morland était sa préoccupation capitale. Souvent il formulait des doutes sur la réussite de ses efforts: une vie si unie parmi des personnes toujours les mêmes ne lui paraissait elle pas fastidieuse? Il eût souhaité que Lady Fraser et sa famille fussent dans le pays. De temps à autre, il mettait en avant un projet de dîner d’apparat et, une ou deux fois même, calcula le nombre des couples de danseurs qu’on pourrait recruter à l’environ. Mais que pouvait-on organiser d’attrayant à cette morne époque de l’année? Ni gibier à plume, ni gibier à poil, et les ladies Fraser n’étaient pas là. Le tout aboutit un beau matin à une proclamation: au prochain séjour de Henry à Woodston, on y irait le surprendre et manger le mouton avec lui. Henry se déclara très flatté, très heureux. Catherine était enchantée.

– Et quand pensez-vous, monsieur, dit-il à son père, que je puisse espérer ce plaisir? Pour l’assemblée paroissiale, il faut que je sois lundi à Woodston, et je serai probablement obligé d’y rester deux ou trois jours.

– Bien, bien. Nous irons vous voir un de ces jours, au petit bonheur. Il n’y a aucune nécessité de fixer le jour. Vous n’aurez pas à vous déranger. Ne changez rien à vos habitudes. Ce que vous aurez à la maison suffira. Je crois pouvoir répondre de l’indulgence de ces jeunes femmes pour la table d’un célibataire. Voyons… Lundi, vous serez très occupé; ce ne sera pas pour lundi. Et mardi, je serai très occupé; j’attends mon intendant de Brockham; il a son rapport à me faire dans la matinée, et, l’après-midi, je ne puis décemment m’abstenir de paraître au cercle. Réellement, je ne pourrais plus affronter les gens de ma connaissance, si je ne m’y montrais pas; on sait que je suis dans le pays; on prendrait fort mal mon abstention; et ce m’est une règle, miss Morland, de ne jamais blesser un de mes voisins quand, au prix d’un léger sacrifice, je puis m’en dispenser. Ce sont gens d’importance. Deux fois par an, je leur envoie un demi-chevreuil et je dîne avec eux quand ce m’est possible. Mardi est donc, pour ces motifs, hors de question. Mais mercredi peut-être, Henry, pourrez-vous nous attendre. Nous serons chez vous de bonne heure, que nous ayons le temps de jeter un coup d’œil autour de nous. Il nous faut deux heures et quarante-cinq minutes, je pense, pour aller à Woodston. Nous monterons en voiture à dix heures. Ainsi vers une heure moins un quart, mercredi, vous pouvez vous attendre à nous voir.