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Un bal même n’aurait pas fait plus de plaisir à Catherine que cette petite excursion: elle désirait tant connaître Woodston! Son cœur bondissait encore de joie quand Henry, environ une heure après, entra botté et en manteau et dit:

– Je viens, jeunes femmes, et sur un mode moralisateur, vous faire constater que nos plaisirs doivent toujours être payés et que souvent nous donnons l’argent comptant du bonheur immédiat contre une traite sur l’avenir à laquelle le signataire peut fort bien ne pas faire honneur. Mon exemple en témoigne avec éloquence. Du fait que je puis espérer vous voir à Woodston mercredi, ce que le mauvais temps ou vingt autres causes peuvent empêcher, me voilà obligé de partir sur l’heure et deux jours plus tôt que je ne voulais.

– Partir! dit Catherine, dont la figure s’allongea. Et pourquoi?

– Pourquoi? dit Henry. Comment pouvez-vous poser cette question? Parce qu’il me faut le temps d’affoler ma vieille gouvernante, parce que je dois faire préparer un dîner pour vous, j’imagine.

– Oh! ce n’est pas sérieux.

– Si, et triste, en outre: je préférerais de beaucoup rester ici.

– Pourtant, après ce qu’a dit le général… quand il se montre si particulièrement soucieux de ne vous causer aucun embarras…

Henry se contenta de sourire.

– C’est tout à fait inutile, pour votre sœur et moi, vous le savez bien, et le général a posé pour condition que vous ne prépariez rien d’exceptionnel. Enfin, même s’il n’avait pas fait la moitié des recommandations qu’il a faites, il se consolerait aisément, à sa propre table, de s’être trouvé, une fois par hasard, en présence d’un repas qui ne fût pas succulent.

– Je voudrais pouvoir raisonner comme vous, pour lui et pour moi. Au revoir. Comme c’est demain dimanche, Éléonore, je ne reviendrai pas.

Il partit. C’était pour Catherine une opération plus simple de douter de son propre jugement que de celui de Henry: elle ne tarda donc pas à lui donner raison, quelque peine qu’elle eût de ce départ. Mais la conduite du général ne restait pas moins inexplicable pour elle. Qu’il aimât fort la bonne chère, elle l’avait remarqué sans le secours de personne. Mais pourquoi disait-il une chose alors qu’il en pensait une autre?… À ce compte on ne pouvait jamais se comprendre. Qui, sauf Henry, aurait deviné ce que désirait le général? Du samedi au mercredi, elles seraient privées de la présence de Henry, c’était le final de ses réflexions, et certainement la lettre du capitaine Tilney allait arriver, et mercredi, elle en était sûre, il pleuvrait. Le passé, le présent, l’avenir étaient également moroses. Son frère était si malheureux; la perte qu’elle avait faite en Isabelle, si grande! Éléonore aussi serait moins gaie en l’absence de Henry. Et Catherine, qu’est-ce qui pourrait bien l’amuser. Elle était blasée sur les joies toujours pareilles que donnent les bois et les pépinières, et l’abbaye maintenant ne l’intéressait pas plus que toute autre demeure. La seule émotion qui pût résulter pour elle de l’abbaye était d’ordre désagréable, puisque ces lieux lui remémoraient sa folie. Quelle révolution dans ses idées! Elle qui avait tant désiré se trouver dans une abbaye! Maintenant son imagination se complaisait à évoquer le décor simple d’un presbytère, quelque Fullerton mieux aménagé. Fullerton avait ses défauts, Woodston n’en avait nul. Ce mercredi arriverait-il jamais?

Ce mercredi arriva exactement à son tour dans la semaine. Il arriva par un beau temps. Catherine nageait en plein ciel. Vers dix heures, une voiture à quatre chevaux sortait de l’abbaye. Vingt milles furent franchis, et les habitants de Northanger entrèrent dans Woodston, vaste et populeux bourg agréablement situé. Catherine osait à peine dire combien elle en trouvait agréable le site, car le général semblait avoir honte d’un pays si plat et d’un village moins grand qu’une ville. Mais, en son cœur, elle préférait Woodston à toutes les localités qu’elle eût jamais vues, et elle regardait admirative les maisons et jusqu’aux échoppes. Au bout du village, et un peu à l’écart, s’élevait le presbytère, solide maison de pierre, de construction récente, avec sa marquise et ses portes vertes. Comme la voiture approchait de l’habitation, Henry, avec les compagnons de sa solitude, un jeune terre-neuve de haute race et deux ou trois bassets, s’avança pour la bienvenue.

Catherine était trop troublée en entrant pour rien remarquer ou rien dire, et quand le général lui demanda son impression, elle n’avait pas encore vu la chambre même où elle se trouvait. Regardant alors autour d’elle, elle découvrit que cette chambre était de tous points parfaite; mais elle était trop réservée pour le dire et la froideur de sa louange désappointa le général.

– Nous n’appelons pas cette maison une belle maison. Nous ne la comparons pas à Fullerton et à Northanger. Nous la considérons comme un simple presbytère; petit, restreint, nous l’avouons, mais peut-être habitable, et, en somme, pas inférieur à la plupart des autres; bref, je crois qu’il y a peu de presbytères de campagne, en Angleterre, qui lui soient, et de loin, comparables. Quelques améliorations seraient à propos, je suis loin de dire le contraire; on pourrait peut-être mouvementer la façade par un vitrage en saillie; mais, entre nous, s’il est quelque chose que je déteste, ce sont bien ces raccommodages-là.

Catherine n’était pas en mesure d’apprécier l’importance de ce discours. La conversation, grâce à Henry, dévia. On apporta des boissons. Le général ne tarda pas à se rasséréner. Catherine s’acclimatait.

De cette pièce, qui était une somptueuse salle à manger, on sortit pour visiter l’appartement. On montra d’abord à Catherine celui du maître de la maison; pour la circonstance, un ordre minutieux y régnait. Puis on la conduisit dans une vaste pièce vacante, qui serait plus tard le salon et dont les baies s’ouvraient sur un gai paysage de prairies. Spontanément la visiteuse exprima son admiration, et en toute honnête simplicité:

– Oh! pourquoi ne pas meubler cette pièce, monsieur Tilney? Quel dommage qu’elle ne soit pas meublée! C’est la plus jolie chambre que j’aie jamais vue! C’est la plus jolie chambre du monde!

– J’espère bien, dit le général, épanoui en un sourire, qu’elle ne restera plus vide longtemps: il appartient au goût d’une femme de l’aménager.

– Eh bien! dit Catherine, si la maison était mienne, je ne me tiendrais pas ailleurs qu’ici… Oh! parmi les arbres, quelle délicieuse chaumière! Mais ce sont des pommiers! Oh! c’est la plus jolie chaumière…

– Vous l’aimez? Vous l’approuvez comme détail dans le paysage? Il suffit… Henry, souvenez-vous. On avait dit à Robinson… Mais maintenant la chaumière reste.

Une amabilité si directe rendit Catherine circonspecte, et, dès lors, silencieuse. Quoique instamment invitée par le général à choisir la couleur dominante du papier et des tentures, rien qui ressemblât à une opinion ne put être tirée d’elle. Son embarras persista jusqu’à ce que l’on fut au grand air et en présence de spectacles nouveaux. Une avenue créée, six mois auparavant, par Henry, et qui longeait deux des côtés d’un pré, l’émerveilla, quoiqu’il n’y eût là nul arbre qui passât un arbuste en grandeur.