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– Alors vous n’admettez pas qu’il se soit jamais soucié d’elle?

– Je ne l’admets point, en effet.

– Et il l’aurait leurrée pour rien, pour le plaisir?

Henry eut une nutation d’assentiment.

– Eh bien, alors, dit Catherine, je dois dire que je ne l’aime du tout. Quoique cela ait si bien tourné pour nous, je ne l’aime du tout. Dans le cas actuel, le mal n’est pas grand, parce que je ne crois pas qu’Isabelle ait un cœur à perdre. Mais supposez qu’il se soit fait aimer d’elle…

– Mais il faudrait d’abord supposer qu’Isabelle eût un cœur à perdre et par conséquent qu’elle fût une créature toute différente, – alors on eût sans doute agi autrement envers elle.

– Il est bien naturel que vous défendiez votre frère.

– Si vous ne vous préoccupiez que du vôtre, vous ne prendriez pas au tragique la déception de Mlle Thorpe. Mais vous avez l’esprit tourmenté par un besoin de justice qui vous empêche d’être accessible à de légitimes préoccupations familiales et à la rancune.

L’animosité de Catherine ne pouvait tenir devant les paroles de Henry. Frédéric n’était pas impardonnablement coupable, dont le frère était si charmant. Elle résolut de ne point répondre à la lettre d’Isabelle et essaya de ne plus penser à tout cela.

XXVIII

Peu de temps après, le général fut obligé d’aller à Londres pour une semaine. «Ce lui était une peine que se priver, fût-ce une heure, de la compagnie de miss Morland», et, interpellant ses enfants, il leur recommanda de faire du plaisir de la jeune fille leur étude. Du fait de ce départ, Catherine acquit une première notion expérimentale: quelquefois, qui perd gagne. Car maintenant les heures fuyaient joyeuses, le rire était sans contrainte, les repas s’animaient de bonne humeur, les promenades n’étaient plus astreintes à un itinéraire. Liberté délicieuse.

Aussi Northanger et ses habitants lui plaisaient-ils de plus en plus, et, si elle n’avait craint de devoir partir bientôt, elle eût été, chaque minute de chaque jour, parfaitement heureuse. Il y avait maintenant près de quatre semaines qu’elle était à l’abbaye. Peut-être un séjour plus long serait-il indiscret. Cette considération, chaque fois que son esprit s’y arrêtait, lui était pénible. Impatiente de se délivrer de cette gêne, elle résolut de parler à Éléonore. Elle parlerait de son départ, et elle agirait d’après la façon dont ses paroles seraient accueillies.

Plus elle tergiverserait, plus il lui semblerait difficile d’aborder un sujet si peu agréable. Au premier tête à tête qu’elle eut avec Éléonore, elle l’interrompit donc au beau milieu d’une phrase sur un sujet tout différent, pour lui dire qu’elle serait forcée de partir bientôt. Éléonore, levant des yeux étonnés, exprima son très vif regret: «Elle avait espéré la garder plus longtemps. Par méprise (ou peut-être parce que l’on croit ce que l’on désire), elle s’était imaginé que le séjour de Catherine serait beaucoup plus long, que c’était chose entendue; et elle ne pouvait s’empêcher de penser que, si M. et Mme Morland se doutaient du plaisir que la famille Tilney avait à la garder, ils seraient trop généreux pour hâter son retour.» Catherine expliqua: «Quant à cela, papa et maman n’étaient pas du tout pressés. Du moment qu’elle était heureuse, ils étaient contents.»

– Alors, puis-je vous demander pourquoi vous êtes si pressée de nous quitter?

– Je suis ici depuis si longtemps…

– S’il vous est possible d’employer un tel mot, je ne puis insister davantage. Si vous trouvez qu’il y a longtemps…

– Oh! non pas! Pour mon propre plaisir, je resterais tout aussi longtemps encore.

Elle venait de comprendre que jusqu’au moment où elle avait parlé de son départ, on n’y avait pas encore songé. Cette cause d’inquiétude disparaissant à souhait, certaine autre crainte se dissipa: les façons amicales d’Éléonore, son empressement à la retenir, l’air enchanté de Henry quand on lui dit que la visiteuse ne songeait pas à s’en aller, tout cela disait assez éloquemment à Catherine que sa présence leur était chère. Elle n’avait plus de désirs que ce qu’il en faut pour assaisonner le bonheur. Qu’elle fût aimée de Henry, elle n’en doutait presque jamais; le père et la sœur la chérissaient aussi, elle en était sûre, et souhaitaient qu’elle fît partie de la famille. Ses doutes et ses craintes, elle s’y complaisait plutôt qu’elle n’en souffrait: ils ne touchaient plus au profond d’elle-même.

Henry ne put rester à Northanger au service des jeunes filles, comme son père le lui avait enjoint avant de s’absenter. Appelé à Woodston par les exigences de son ministère, il dut quitter Northanger le samedi et pour une couple de jours. Cette nouvelle absence de Henry, maintenant que le général était loin, n’était pas aussi fâcheuse que la première. Elle diminua la gaîté des deux amies et ne la ruina pas. Elles avaient passé la soirée à travailler ensemble en causant affectueusement, et il était onze heures, heure tardive à Northanger, quand elles quittèrent la salle à manger, le jour du départ de Henry. Comme elles montaient à leur chambre, il leur sembla, autant que l’épaisseur des murs permettait de le discerner, qu’une voiture arrivait. Un instant après, la cloche s’ébranlait violemment. La première surprise passée, – qui s’était traduite par: «Bonté divine! Qui est-ce?» – Éléonore décida que ce devait être son frère aîné; il arrivait toujours à l’improviste, sinon d’une façon aussi inopportune. Elle redescendit rapidement, pour lui souhaiter la bienvenue. Catherine gagna sa chambre. Elle s’ingéniait à se tracer un plan, en prévision d’une prochaine rencontre avec le capitaine Tilney. Pour réagir contre l’impression que sa conduite lui avait faite, elle se disait qu’il était trop gentleman pour ne pas éviter tout ce qui eût rendu leurs rapports difficiles. Elle espérait qu’il ne parlerait jamais de Mlle Thorpe, et, en vérité, ce n’était guère à craindre: il devait être trop honteux du rôle qu’il avait joué. Aussi longtemps que ne serait faite nulle mention des incidents de Bath, elle pourrait lui faire bon visage. Qu’Éléonore eût montré tant d’empressement à voir son frère et qu’elle eût tant de choses à lui dire, étant à l’éloge du nouveau venu: une demi-heure s’était écoulée, et Éléonore ne paraissait pas.

Catherine entendit alors son pas dans la galerie. Elle écouta. Tout était redevenu silencieux. À peine s’était-elle convaincue de son erreur qu’un léger bruit à la porte la fit de nouveau attentive: on eût dit que quelqu’un touchait la porte même; un instant après le bruit se répéta. Catherine tremblait un peu à l’idée qu’on s’approchât avec tant de précautions. Mais, résolue à n’être plus dupe des apparences ou de son imagination, elle alla résolument à la porte et l’ouvrit. Éléonore, la seule Éléonore était là, Catherine ne fut tranquillisée que la durée d’un instant: son amie était pâle et agitée. Quoiqu’elle eût évidemment l’intention d’entrer, il semblait qu’elle ne pût faire un pas, puis, dans la chambre, que parler lui fût impossible. Catherine présuma une mauvaise nouvelle relative au capitaine Tilney. Elle ne put exprimer son affliction que par des soins silencieux: elle fit asseoir Éléonore, lui frictionna les tempes avec de l’eau de lavande…

– Ma chère Catherine, il ne faut pas… en vérité, il ne faut pas… Je vais très bien… Ces bontés me bouleversent… Elles me pèsent… Je viens à vous pour un tel message…