– Un message! à moi?
– Comment vous dire cela? Oh! comment vous le dire?
Une nouvelle supposition vint à l’esprit de Catherine, et devenant aussi pâle que son amie, elle s’écria:
– C’est un envoyé de Woodston!
– Vous vous trompez, répondit tristement Éléonore. Ce n’est personne de Woodston. C’est mon père lui-même. (Elle avait les yeux baissés et sa voix tremblait.)
Ce retour inopiné suffisait à lui seul à mettre Catherine en détresse. Pendant quelques moments, elle ne songea pas qu’on pût avoir quelque chose de pis à lui annoncer. Elle gardait le silence. Éléonore, d’une voix encore mal affermie et les yeux toujours baissés, reprit bientôt:
– Vous êtes trop bonne, j’en suis sûre, pour m’en vouloir du rôle qui m’est imposé et contre lequel tout en moi proteste. Moi qui étais si joyeuse, qui vous étais si reconnaissante d’avoir consenti à prolonger votre séjour parmi nous, moi qui espérais vous garder pendant des semaines et des semaines encore, comment vous dire que ce consentement que vous venez à peine de nous accorder restera sans effet? Comment vous dire que le bonheur que nous donnait votre présence nous le payerons d’une… Mais à quoi servent ces protestations?… Ma chère Catherine, il faut que nous partions. Mon père s’est ressouvenu d’un engagement qui nous oblige à quitter Northanger dès lundi. Nous allons, pour une quinzaine de jours, chez lord Longtown, près de Hereford. Vous donner des explications, vous faire agréer des excuses, c’est également impossible.
– Ma chère Éléonore, s’écria Catherine, se raidissant contre son émotion, ne vous désolez pas ainsi. Il est naturel qu’un engagement cède devant un engagement antérieur. Je suis triste, très triste d’une séparation si brusque; mais je ne suis nullement offensée, vraiment je ne le suis pas. Je pouvais terminer mon séjour ici, vous le savez, n’importe quand, et j’espère que vous viendrez me voir. Pourrez-vous, à votre retour de chez ce lord, venir à Fullerton?
– Je ne le pourrai pas, Catherine.
– Ce sera donc quand vous pourrez.
Éléonore resta muette. Les pensées de Catherine se reportèrent alors vers une question d’un intérêt plus immédiat. Pensant tout haut:
– Lundi… si vite, lundi… et vous partez tous! Je serai prête. Il suffira que je parte un instant avant vous. N’ayez pas de peine Éléonore; je puis très bien m’en aller lundi. Que mon père et ma mère ne soient pas prévenus, cela n’a pas grande importance. Le général, sans doute, me fera accompagner par un domestique jusqu’à mi-chemin. J’arriverai peu après à Salisbury, et de là, il n’y a plus que neuf milles.
– Ah! Catherine, si les choses se passaient ainsi, elles me seraient moins pénibles. Cependant ces attentions si naturelles seraient à peine la moitié de ce qui vous est dû. Comment vous dire?… Votre départ est fixé à demain matin, et vous n’avez pas même le choix du moment. La voiture est commandée; elle sera ici à sept heures, et aucun domestique ne sera mis à votre disposition. (Catherine s’assit, respirant à peine et incapable de prononcer un mot.) Je croyais rêver. Et ce que vous ressentez, à juste titre, d’indignation et de chagrin ne peut être pis que ce que j’ai ressenti moi-même en apprenant la décision de mon père. Mais il ne s’agit pas de moi. Oh! s’il était en mon pouvoir de vous dire quelque chose qui pût atténuer… Mon Dieu! que vont dire votre père et votre mère? Vous avoir enlevée à des amis véritables, vous avoir attirée si loin de chez vous, et maintenant vous renvoyer sans même les formes de la politesse! Chère, chère Catherine, à vous dire ces choses, il me semble être moi-même coupable de l’injure qui vous est faite. Et cependant, j’espère que vous me pardonnerez, car vous êtes depuis assez longtemps dans cette maison pour avoir vu que je n’en suis que la maîtresse nominale et que mon pouvoir y est nul.
– Ai-je offensé le général? dit faiblement Catherine.
– Hélas! tout ce que je sais, tout ce dont je puis répondre, c’est que vous n’avez rien pu faire qui soit une cause légitime de mécontentement. Certes, il est hors de lui. Je l’ai rarement vu plus irrité. Quelque chose doit s’être passé qui le trouble à un degré extraordinaire. Il aura éprouvé quelque désappointement, quelque vexation qui, en ce moment précis, paraît être pour lui d’une importance énorme. Mais je puis difficilement supposer que vous y soyez pour quelque chose… À quel titre?
À grand peine Catherine parla, et par égard pour Éléonore.
– Certes, dit-elle, si je l’ai offensé, j’en suis très triste. C’est la dernière chose que j’eusse voulu faire. Mais ne vous désolez pas, Éléonore: un engagement, vous le savez, doit être tenu; je regrette seulement qu’on ne s’en soit pas ressouvenu plus tôt, – j’aurais eu le temps d’écrire à la maison. Mais cela n’a guère d’importance.
– J’espère, j’espère vivement que cela n’en aura pas, en ce qui concerne votre sécurité. Mais pour les apparences, les convenances, pour votre famille, pour le monde!… Si, du moins, vos amis Allen étaient encore à Bath, vous les auriez rejoints avec une facilité relative; en quelques heures, vous étiez auprès d’eux. Mais soixante-dix milles en poste… à votre âge, seule, à l’improviste!
– Oh! le voyage n’est rien, dit Catherine. N’y pensez pas. Et, puisque nous devons nous quitter, que ce soit quelques heures plus tôt ou plus tard… Je serai prête pour sept heures. Vous me ferez appeler.
Éléonore comprit que Catherine souhaitait être seule, et, sentant que prolonger l’entretien ne pourrait être que pénible à l’une et à l’autre, la quitta sur ces mots:
– Je vous verrai demain matin.
Catherine avait le cœur gros; il fallait qu’elle pleurât. Par affection pour Éléonore et par fierté, elle avait retenu ses larmes. Elles s’échappèrent à torrents. Être renvoyée, et de cette manière, sans qu’on alléguât une raison, sans qu’une excuse vînt tempérer des procédés si brusques, si incivils, si grossiers. Henry absent!… Ne pouvoir même lui dire adieu! Se retrouveraient-ils jamais? Et c’était le général Tilney, un homme si courtois, de si bonne naissance et si entiché d’elle jusqu’alors, qui agissait de la sorte. Non moins incompréhensible que pénible et mortifiant! D’où venait son changement d’attitude? Comment tout cela finirait-il? Catherine restait désolément perplexe. Qu’il la fît partir sans se référer le moins du monde à ses dispositions, sans même sauver les apparences en lui laissant choisir le moment du départ ni la façon dont elle devait effectuer le voyage, que, de deux jours, il choisît le plus proche et, de ce jour, l’heure la plus matinale, comme s’il voulait expressément éviter de la voir, n’était-ce pas lui faire intentionnellement un affront? Elle était bien obligée d’admettre qu’elle eût offensé le général, car, malgré ce qu’avait dit Éléonore, pourquoi agir ainsi envers une personne contre laquelle on n’aurait aucun grief?
Tristement s’écoula la nuit. Il ne pouvait être question de sommeil ni d’un repos qui pût prétendre au nom du sommeil. C’était en cette même chambre où son imagination l’avait naguère tant tourmentée. Mais la cause de son trouble était maintenant dans la réalité cruelle. Son isolement, l’obscurité de la chambre, l’antiquité de l’abbaye, rien de cela ne provoquait en elle la moindre émotion, et, quoique le vent s’évertuât à des bruits sinistres, Catherine les entendait sans curiosité ni effroi.