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Trop de questions à la fois. Il fallait que je dorme avant de pouvoir réfléchir à quoi que ce soit.

C’est à peine si je poussai un petit gémissement au moment de grimper dans mon lit. Je laissai aussitôt le sommeil m’envahir, m’abandonnant totalement dans l’obscurité. Et je pus enchaîner quasiment deux heures et demie de sommeil avant que le téléphone sonne.

« C’est moi, dit la voix à l’autre extrémité.

— Bien sûr que c’est toi, dis-je. Deborah, n’est-ce pas ? » Et c’était elle, évidemment.

« J’ai trouvé le camion.

— Eh bien, félicitations, Deb. C’est une très bonne nouvelle. » Il y eut un silence un peu long.

« Deb ? finis-je par dire. C’est pas une bonne nouvelle ?

— Non, répondit-elle.

— Ah ! » Je sentais le manque de sommeil me marteler la tête comme si on était en train de battre un tapis sous mon crâne, mais je fis des efforts pour me concentrer. « Euh, Deb… Qu’est-ce que tu… ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— J’ai fait le rapprochement. J’ai tout vérifié. Les photos, les numéros des pièces, tout. Et puis je suis allée voir LaGuerta comme un bon petit scout.

— Et elle ne t’a pas crue ? demandai-je, incrédule.

— Si, sans doute. »

J’essayai de cligner des yeux, mais mes paupières restaient désespérément collées ; je laissai tomber.

« Désolé, Deb. Il y en a un de nous deux qui n’est pas très clair. C’est moi ou c’est toi ?

— J’ai tenté de lui expliquer, poursuivit Deb d’une petite voix très fatiguée qui me donna l’impression terrible que je coulais à pic sans pouvoir remonter à la surface. Je lui ai donné tous les renseignements. J’ai même été polie.

— C’est très bien, dis-je. Qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Rien.

— Rien du tout ?

— Absolument rien, répéta Deb. Sauf qu’elle m’a dit merci comme on remercierait l’employé de service du garage d’un hôtel. Puis la voilà qui me fait un petit sourire à la con et me tourne le dos.

— Oui, bon, dis-je. Tu ne peux pas vraiment t’attendre à ce que…

— Et puis j’ai compris pourquoi elle m’avait souri comme ça. Comme si j’étais une espèce de demeurée et qu’elle avait enfin trouvé où elle allait pouvoir m’enfermer.

— Oh non ! fis-je. Tu veux dire que tu es virée de l’enquête ?

— On est tous virés, Dexter, dit Deb, d’une voix aussi fatiguée que mes neurones. LaGuerta a procédé à une arrestation. »

Il y eut soudain un silence assourdissant sur la ligne. Je ne parvenais plus du tout à réfléchir, mais au moins j’étais complètement réveillé.

« Quoi ? dis-je.

— LaGuerta a arrêté quelqu’un. Un homme qui travaille à la patinoire. Elle l’a mis en garde à vue et elle est sûre que c’est le tueur.

— Mais c’est impossible, dis-je, tout en sachant que c’était fort possible, avec une garce incompétente comme elle (LaGuerta, pas Deb).

— Je le sais, Dexter. Mais ne t’avise pas de le dire à LaGuerta. Elle est sûre d’avoir le bon type.

— Sûre comment ? » demandai-je.

J’avais la tête qui tournait et une légère envie de vomir. Je n’aurais pas su dire pourquoi.

« Elle tient une conférence de presse dans une heure, grogna Deb. Elle n’a aucun doute. »

Le martèlement dans ma tête devint trop fort pour que je puisse entendre ce que Deb aurait ajouté. LaGuerta avait arrêté quelqu’un ? Mais qui ? Sur qui avait-elle bien pu rejeter la responsabilité ? Pouvait-elle vraiment ne tenir aucun compte des indices, de l’odeur, du goût de tous ces meurtres, et arrêter quelqu’un ? Car aucun homme capable de faire ce que ce tueur avait fait – faisait ! ne se laisserait jamais prendre par une truffe comme LaGuerta. Jamais. J’étais prêt à parier n’importe quoi.

« Non, Deborah, dis-je. Non. C’est impossible. Elle n’a pas le bon. »

Deborah eut un petit rire fatigué, un vrai rire vicieux de flic.

« Ouais, répondit-elle. Je le sais. Tu le sais. Mais elle ne le sait pas. Et tu sais ce qui est le plus drôle ? Lui non plus il ne le sait pas. »

Ça ne tenait pas debout.

« Qu’est-ce que tu racontes, Deb ? De qui tu parles ? »

Elle eut le même petit rire affreux.

« Le type qu’elle a arrêté. Il doit être aussi paumé que LaGuerta, Dex, parce qu’il a avoué.

— Quoi ?

— Il a avoué, l’enfoiré. »

CHAPITRE XII

Il s’appelait Daryll Earl McHale et c’était un repris de justice. Sur les vingt dernières années, il avait passé douze ans en pension dans les prisons de Floride. Ce cher brigadier Doakes était allé dénicher son nom dans les dossiers du personnel de la patinoire. Alors qu’il effectuait des vérifications sur l’ordinateur au cas où certains des employés auraient été fichés pour des actes de violence ou des délits, le nom de McHale était apparu deux fois.

Daryll Earl était alcoolique et battait sa femme. Apparemment, il braquait aussi les stations d’essence de temps à autre, juste pour s’amuser un peu. En général, il arrivait à tenir un mois ou deux dans un boulot qui lui rapportait le salaire minimum. Et puis un beau jour, un vendredi soir de préférence, il s’enfilait plusieurs packs de bière et se sentait soudain envahi par une colère divine. Alors il prenait sa voiture et roulait jusqu’à ce qu’il trouve une station-service qui l’emmerdait. Il faisait irruption, une arme à la main, prenait l’argent et décampait. Puis il utilisait son butin faramineux de quatre-vingts ou quatre-vingt-dix dollars pour racheter quelques packs, et là il se sentait dans une telle forme qu’il fallait absolument qu’il cogne sur quelqu’un. Daryll Earl n’était pas imposant : 1,68 mètre et maigrelet. Alors, pour ne pas courir de risques, la personne qui habituellement essuyait ses coups n’était autre que sa femme.

Les choses étant ce qu’elles sont, il s’en était tiré pendant un temps. Mais un soir il alla un peu trop loin et sa femme fut hospitalisée un mois. Elle engagea des poursuites contre lui et, étant donné que Daryll avait déjà un casier judiciaire, il écopa d’une lourde peine.

Il buvait toujours, mais il avait eu suffisamment peur à Raiford pour se tenir un peu plus à carreau désormais. Il avait obtenu un poste de gardien à la patinoire et il s’efforçait de le conserver. Autant que l’on puisse en juger, il n’avait pas battu sa femme depuis longtemps.

Notre homme avait même eu son heure de gloire l’année où les Panthers avaient été en lice pour la Stanley Cup. Une partie de son travail consistait à courir sur la glace pour ramasser les objets que les fans y lançaient parfois. Cette année-là, ç’avait été un sacré boulot, car à chaque but que marquaient les Panthers les fans lançaient deux à trois mille rats en plastique sur la glace. Daryll Earl devait se bouger les fesses pour les ramasser tous – un boulot passionnant, c’est certain. Et donc, un soir, après quelques lampées d’une très mauvaise vodka, il prit l’un des rats en plastique et improvisa une petite danse de rat. Le public adora et en redemanda. Les gens commencèrent à héler Daryll Earl dès qu’il apparaissait sur la glace. Il fit son numéro dansant tout le reste de la saison.

Les rats en plastique étaient maintenant interdits. Cependant, même s’ils avaient été autorisés par la loi, personne ne les aurait lancés de toute façon. Les Panthers n’avaient pas marqué de but depuis l’époque où Miami avait un maire honnête, ce qui remontait au siècle dernier. Mais McHale continuait à se montrer aux matchs dans l’espoir d’un dernier pas de deux filmé.