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Je m’interrompis. En parler semblait presque trop intime.

« Vince a dit quoi ?

— C’est presque rien, Deb. Un détail. Qui sait ce que ça veut dire ?

— On n’en saura jamais rien si tu ne le dis pas, Dexter.

— Il semblerait que… le corps n’ait plus de sang du tout. Pas une goutte. »

Deborah resta silencieuse un instant ; elle réfléchissait. Ce n’était pas un silence respectueux, comme le mien. Juste un temps de réflexion.

« Bon, finit-elle par dire. J’abandonne. Qu’est-ce que ça signifie ?

— Trop tôt pour le dire.

— Mais tu penses que ça signifie quelque chose. »

Cela signifiait une étrange sensation de vertige. Une envie impérieuse d’en savoir plus sur ce tueur. Un rire admiratif de la part du Passager Noir, qui aurait dû se tenir coi si tôt après le prêtre. Mais tout ça était un peu délicat à expliquer à Deborah, n’est-ce pas ? Je lui répondis simplement :

« C’est possible, Deb. Qui peut savoir ? »

Elle me regarda fixement pendant quelques secondes, puis haussa les épaules.

« Bon, d’accord, conclut-elle. Autre chose ?

— Oh oui, plein ! Un sacré coup de scalpel. On dirait un travail de chirurgien. A moins qu’ils ne découvrent quelque chose dans l’hôtel, ce qui est peu probable, le corps a été tué ailleurs puis abandonné ici.

— Mais où ?

— Question très judicieuse. La moitié du travail d’un bon flic consiste à poser les bonnes questions.

— L’autre moitié consiste à obtenir des réponses, rétorqua-t-elle.

— Oui, eh bien, personne ne sait encore où, Deb. Et je n’ai évidemment pas toutes les données médico-légales…

— Mais tu commences à avoir tes petites idées », dit-elle.

Je la regardai. Elle soutint mon regard. J’avais déjà eu des intuitions. J’en avais d’ailleurs acquis une certaine réputation. Mes intuitions étaient souvent bonnes. Quoi d’étonnant ? Je savais la plupart du temps comment fonctionnaient les tueurs. Je fonctionne de la même manière. Bien sûr je me trompais parfois. De temps en temps j’étais même très loin de la vérité. Ç’aurait été un peu louche si j’avais toujours visé juste, non ? Et puis je ne voulais pas que les flics arrêtent absolument tous les tueurs en série. Qu’aurais-je fait de mon loisir après ? Mais là… Comment allais-je procéder dans cette petite affaire fort intéressante ?

« Dis-moi, Dexter, insista Deborah. Tu as des hypothèses cette fois ?

— Peut-être bien. Mais c’est encore un peu tôt.

— Eh bien, Morgan… » intervint LaGuerta, qui arrivait derrière nous. Nous lui fîmes face tous les deux. « Je vois que vous avez la tenue idéale pour vous lancer dans le vrai travail de police. »

Le ton de sa voix était particulièrement cinglant. Deborah se raidit.

« Inspecteur, dit-elle. Vous avez trouvé quelque chose ? »

Son intonation sous-entendait qu’elle connaissait déjà la réponse.

Un coup facile. Mais loupé. LaGuerta agita la main avec désinvolture.

« Il n’y a que des putas, dit-elle en fixant le décolleté de Deborah, plus que suggestif dans ses habits de vamp. Que des putes. Le plus important pour l’instant est d’empêcher les journalistes de devenir hystériques. » Elle secoua la tête lentement, comme incrédule, puis releva les yeux. « Ça ne devrait pas être si difficile, vu votre discrétion manifeste. »

Elle me fit un clin d’œil puis s’éloigna en direction du commissaire Matthews, qui, très digne, s’entretenait avec Jerry Gonzalez, de Channel 7.

« Quelle garce ! lança Deborah.

— Désolé, Deb. Qu’est-ce qu’il faut que je dise ? ‘‘Elle ne perd rien pour attendre’’, ou bien ‘‘Je t’avais prévenue’’ ?

— Bon sang, Dexter ! dit-elle en me lançant un regard furieux. Je dois à tout prix trouver ce type. »

Et comme me revenaient en écho les mots pas de sang du tout… je savais que moi aussi. Moi aussi je devais absolument le trouver.

CHAPITRE IV

Ce soir-là après le travail, je partis faire un tour en bateau. Pour échapper aux questions de Deb et pour démêler un peu mes sentiments. Mes sentiments. Ça alors ! Quelle aberration…

Je guidai lentement mon Boston Whaler au-delà du canal, sans penser à rien, parfaitement zen, le moteur tournant au ralenti tandis que je passais devant les larges demeures, séparées par d’immenses haies et par des clôtures grillagées. J’adressai un grand geste machinal et un sourire éclatant à tous les voisins, qui prenaient l’air dans les jardins bordant les digues. Les enfants jouaient sur les pelouses impeccables. Papa et maman s’occupaient du barbecue, se prélassaient dans un fauteuil ou encore astiquaient le fil de fer barbelé, couvant leur progéniture du regard. Je saluai tout le monde. Quelques-uns me rendirent mon salut. Ils me connaissaient, m’avaient souvent vu passer, toujours enjoué, un grand bonjour pour tous. C’était un homme si charmant. Extrêmement gentil. Je n’arrive pas à croire qu’il ait pu faire ces choses-là…

Je mis les gaz à peine sorti du canal et me dirigeai vers l’entrée du chenal, puis vers le sud-est, en direction de Cape Florida. Le vent qui fouettait mon visage et le goût salé des embruns me remirent les idées en place, me donnèrent la sensation d’être propre et frais. Je pus à nouveau réfléchir plus aisément. C’était en partie dû au calme et à la paix de l’eau. Mais c’était aussi parce que, dans la plus pure tradition maritime de Miami, la plupart des autres plaisanciers avaient l’air de vouloir à tout prix me faire la peau. Je trouvais ça infiniment reposant. Je me sentais chez moi. Ah, mon cher pays… Ces chers concitoyens…

Au cours de la journée, au travail, j’avais reçu très peu d’informations supplémentaires d’ordre médico-légal. À l’heure du déjeuner, l’affaire éclata dans tout le pays. Les médias étalaient au grand jour la série de meurtres de prostituées suite à la « macabre découverte » du motel El Cacique. Channel 7 accomplit un travail magistral en réussissant à transmettre l’horreur hystérique des morceaux de corps retrouvés dans un bac à ordures sans toutefois rien en dire de précis. Ainsi que l’inspecteur LaGuerta l’avait finement observé, les victimes n’étaient que des prostituées ; mais, une fois que les médias auraient fait enfler la pression publique, il pourrait tout aussi bien s’agir de filles de sénateurs. Le département de la police se prépara donc à recourir à des stratégies défensives, n’ignorant pas les âneries affligeantes que ne tarderaient pas à propager les braves et intrépides fantassins du quatrième pouvoir.

Deb était restée sur les lieux, jusqu’à ce que le commissaire s’inquiète soudain de toutes ces heures supplémentaires qui allaient être comptabilisées ; elle dut donc rentrer chez elle. Elle commença à m’appeler à partir de 2 heures de l’après-midi pour savoir ce que j’avais découvert, et ce n’était pas grand-chose. Ils n’avaient absolument rien trouvé dans l’hôtel. Il y avait tellement de traces de pneus sur le parking qu’aucune n’était clairement distincte. Aucune trace ou empreinte non plus dans le bac à ordures, sur les sacs ou sur les morceaux de corps. Tout était d’une propreté conforme aux réglementations sanitaires les plus strictes.

Le seul véritable indice de la journée était la jambe gauche. Comme l’avait remarqué Angel, la jambe droite avait été consciencieusement sectionnée en plusieurs segments, coupée à la hanche, au genou et à la cheville. Ce qui n’était pas le cas de la jambe gauche : elle consistait seulement en deux segments, soigneusement emballés. Ha ha, s’était étonnée l’inspecteur LaGuerta, véritable génie. Quelqu’un avait interrompu le tueur, l’avait surpris et alarmé, et il n’avait donc pas terminé son travail. Il avait paniqué. En conséquence, elle concentrait tous ses efforts sur la recherche de ce témoin.