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— Cela ne change pas le problème, Akki. Tu connais la Loi d’Acier. Une seule humanité par planète, Réssan exceptée, et excepté aussi ton privilège !

— Zut, Hassil ! Si vous, hiss, me parlez tout le temps de mon privilège, je ne mettrai plus les pieds sur Ella, même pas en visiteur, dit-il, mi-plaisant, mi-fâché. Cela ne changera pas le problème, en effet, mais cela peut permettre de l’aborder autrement. On a donné un siècle de délai aux Tzins, installés de bonne foi sur un des continents de Biaa, tandis que les biaans vivaient sur l’autre dans d’épaisses forêts. Et tu connais d’autres cas !

— Que proposes-tu, alors ?

— Que nous restions ici quelque temps, puis que nous visitions les Vasks, et enfin les brinns.

— Bien sûr ! Crois bien que je ne prendrai pas de décision sans posséder toutes les données. Mais, quoique tu essaies d’y échapper, tu connais la solution la plus probable, et ce qu’elle sera pour tes demi-frères !

— La décision première était prise selon la Loi avant même que nous partions. Mais les modalités… Notre verdict, si nous le rendons à l’unanimité, et jusqu’à présent, dans nos douze missions, nous n’y avons pas failli, notre verdict engage la vie de millions d’hommes. »

Il laissa ses regards errer sur la cité. La lune poussait les ombres des tours devant elle, et les toits de schiste prenaient sous sa caresse un aspect irréel. Il imagina le site abandonné, retournant à la nature, les murs tombant en ruine… Quelle énigme pour les futurs archéologues brinns, si les brinns n’étaient pas jugés dignes d’entrer dès à présent dans la grande famille interhumaine ! Pour ce monde se réaliserait le rêve de bien des esprits terrestres qui avaient cru voir, dans des ruines plus ou moins bien expliquées, les traces du passage d’Autres…

La lune sembla s’obscurcir. Ils levèrent les yeux, rirent. Elkhan, le commandant de l’astronef, leur faisait une éclipse particulière. C’était un vieil arborien, célèbre pour ses farces d’un goût parfois douteux, mais un excellent astronaute. Ils se demandèrent quelle autre facétie il réaliserait le lendemain, à l’occasion de son passage diurne au-dessus de la cité.

Chapitre III

Le château

« Et sonneront les trompettes, et flotteront les étendards. Et les sourires cacheront la haine, car les Envoyés du Dehors seront Messagers de malheur, et le saura le peuple qui les accueille », cita Hassil, du Livre des Prodiges, un des textes sacrés des hiss, qui remontait à leur protohistoire.

Ils se tenaient sur le grand escalier, à côté du Duc. En contrebas, dans la vaste cour dallée, les archers vêtus de cottes de mailles, Boucherand en tête, rendaient les honneurs. Il y eut une dernière fanfare, le Duc se tourna vers les coordinateurs :

« Il est chez nous une antique coutume, que nous avons reçue de nos ancêtres terrestres, qui veut que l’on réserve les choses sérieuses pour après le repas. Et bien que je brûle d’envie de connaître dans le détail le but de votre mission auprès de moi, nous nous y conformerons, si vous voulez bien. »

Si l’aspect extérieur du château était médiéval, l’intérieur témoignait d’un souci du confort bien étranger aux rudes seigneurs des temps révolus. La technique des Bérandiens était suffisante pour fournir un type primitif de chauffage central, et un ascenseur hydraulique transporta lentement le Duc et sa suite au sommet d’une tour. La grande salle où ils pénétrèrent alors possédait de larges fenêtres basses, donnant vue sur la cité et le port. Une table de bois précieux, chargée de mets et de bouteilles, s’étendait sur presque toute la longueur de la pièce. Le Duc monta sur son trône, légèrement surélevé, fit asseoir Akki à sa droite, Hassil à sa gauche, et frappa deux fois dans ses mains. Alors, par ordre de préséance, entrèrent les invités. Un héraut en tunique éclatante les annonçait à mesure. Akki se trouva avoir pour voisin un vieil homme, dont l’âge courbait un peu la haute taille, qui fut annoncé comme « Haut et Puissant Maître de Savoir Jan Kervahaut, comte de Roan. »

La chère était abondante et délicate, préparée selon les recettes archaïques de la Terre. Le repas fut d’abord silencieux, et les conversations particulières ne commencèrent qu’après que le Duc eut lui-même parlé. Kervahaut se pencha vers Akki.

« Si j’ai bien compris, vous venez d’un monde d’une très lointaine étoile ?

— Non, d’une très lointaine galaxie, si vous savez ce que je veux dire.

— Mais oui. Nous n’avons pas perdu tout le savoir de nos ancêtres. Je m’occupe d’astronomie, entre autres choses. Malheureusement, nos instruments sont bien insuffisants, et mon observatoire, à Roan, ne possède rien de plus puissant que le petit télescope optique de 0,80 m d’ouverture qui se trouvait à bord d’un de nos astronefs. C’est assez, cependant, pour une étude des planètes voisines, ou même de la grande galaxie d’où nous sommes venus, et qui est toute proche, astronomiquement parlant. À combien d’années-lumière se situe la vôtre ?

— Je ne saurais vous le dire exactement. Nous sommes obligés de passer dans l’Ahun, ou, si vous préférez, l’hyperespace, pour parcourir de si grandes distances. Mais cela représente certainement plusieurs milliards d’années-lumière.

— Plusieurs milliards ! Mais vous seriez alors à l’autre bout de l’Univers !

— Mais non ! Ah ! Je vois. Vous en êtes restés aux conceptions cosmogoniques qui prévalaient lors du départ de vos ancêtres ?

— Comment aurait-il pu en être autrement ? dit doucement le vieil homme. Évidemment, nous devons vous sembler des barbares. Nous avons été jetés par le hasard hors du grand courant du progrès humain, et nous pourrissons doucement dans le bras mort où nous échouâmes. »

Il reprit, avec une pointe d’amertume :

« S’il en avait été autrement, je pourrais être un véritable astronome, au lieu d’un féodal gouvernant quelques milliers d’hommes, sur une planète perdue dans la Grande Nuée de Magellan. Enfin, c’est encore une chance que vous soyez venu de mon vivant. Je pourrai, avant de disparaître, avoir quelques lueurs sur ce qu’ont découvert vos savants !

— Quel âge avez-vous donc ?

— Soixante-six années de Nérat. Par hasard, elles coïncident à peu près comme durée avec les anciennes années terrestres. J’aurais soixante-quatre ans, là-bas…

— C’est un peu tard, songea Akki à haute voix… Je ne suis ni médecin ni biologiste, reprit-il, tourné vers son voisin. Je ne puis rien vous promettre. Vous n’atteindrez certainement pas les deux cent vingt à deux cent cinquante ans terrestres qui sont maintenant notre lot, mais je pense que nos gérontologues pourraient prolonger votre vie de soixante-dix à quatre-vingts ans encore, selon votre constitution.

— Vous voulez dire que si j’étais traité par un de vos médecins, je pourrais vivre jusqu’à cent quarante ans environ ?

— Oui. Peut-être plus. »

Le vieillard pâlit.

« Oh ! Ce n’est pas tant pour la vie, dit-il d’une voix étouffée. Mais, comprenez-moi, j’aurais peut-être le temps d’apprendre, au moins un peu…

— Beaucoup même, si les événements tournent comme je le souhaite ! Nous avons aussi des méthodes spéciales pour cela. »

Le Duc se pencha vers Akki.

« Je m’excuse d’interrompre votre conversation, qui semble passionnante. Savez-vous, incidemment, que Roan est notre plus grand savant ? Mais le jeune Onfrey, baron de Nétal, que voici, prétend, peut-être à tort, que notre existence rude et semi-barbare présente des avantages. Il pense que, du point de vue de la force physique, de l’endurance, de l’opiniâtreté, de l’allant aussi, nous devons être supérieurs à des races plus civilisées, telles que celles que vous représentez. Et votre ami Hassil affirme que vous n’avez rien perdu de ces antiques vertus. »