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Akki sourit. Dans sa pensée passa l’image d’une quelconque planète, sur le front de la guerre cosmique : une étendue glacée dans les ténèbres percées de rares étoiles, le grouillement métallique des misliks, leur fluorescence violette ou celle, verdâtre, des mystérieuses armes qu’ils avaient développées, un ciel rempli d’astronefs variés, rasant le sol à une prodigieuse vitesse, ou s’écrasant en gerbes de flammes. Il joua un moment avec l’idée de transmettre cette vision au jeune baron, et de lui demander si une telle lutte pouvait être menée sans résistance physique, sans opiniâtreté ou sans allant. Il se pencha vers lui, à travers la table.

« Je crois que vous confondez race civilisée et race décadente. Nous sommes une civilisation, ou plutôt un complexe de civilisations en plein essor, trempées par une lutte sans merci, dont je vous parlerai en temps utile.

— Peut-être, répondit le jeune géant, mais la complexité même de votre civilisation vous a fait perdre de vue les impératifs essentiels, qui sont la lutte pour la vie et la survivance du plus apte. Il y a longtemps que, sur la Terre, un grand savant s’en était aperçu. »

Une lueur amusée dansa dans les yeux du coordinateur. Darwin, maintenant, après Walter Scott ! Et, comme d’habitude, Darwin mal compris ! Une observation d’ordre biologique transposée telle quelle sur le plan sociologique, c’est-à-dire du plan du fait au plan moral. Erreur commune aux formes primitives de pensée, et contre laquelle l’éducation qu’ils recevaient mettait en garde les élèves coordinateurs.

« Voulez-vous me donner un exemple ?

— Eh bien, il est évident que votre Ligue, si vous avez dit la vérité, est puissante, plus puissante que nous, et hostile à notre mode de vie. La solution simple et naturelle serait pour vous de nous écraser, au lieu d’envoyer un ambassadeur.

— Je ne suis pas exactement un ambassadeur. Plutôt un observateur. Et ne craignez-vous pas de m’en donner l’idée ?

— Non. Je sais très bien que vous ne pourriez pas le faire. Je sais ce qu’il en est des civilisations… trop civilisées. J’ai étudié l’histoire, ou ce qui nous en reste. Et j’ai vu ainsi que la civilisation qui régnait sur la Terre, lors du départ de nos ancêtres, n’a jamais colonisé une planète appelée Mars, à cause de l’existence d’une poignée de Martiens décadents que cette colonisation aurait pu gêner ou faire disparaître. Moralement, vous êtes des faibles, incapables d’employer la puissance que vous possédez. Vous détestez la vue du sang. Et même, physiquement faibles, malgré vos muscles ! Pourriez-vous me suivre toute une journée à la chasse ? Avez-vous jamais passé une nuit d’hiver dehors sans abri ? »

Akki reçut une pensée du hiss : « Si nous emmenions ce jeune sot faire un petit voyage sur Terhoé V ? Te souviens-tu, Akki, des trois mois que nous y passâmes ? »

Trois mois dans la boue ou la neige d’un monde soumis à une glaciation. Trois mois sans autre abri que l’épave de leur petit astronef, avant d’être retrouvés par l’expédition de secours. Trois mois sans manger une seule fois à sa faim ! Trois mois de batailles et de meurtres quotidiens, pour survivre ! Silencieusement, il répondit : « Inutile, il ne tiendrait pas le coup ! »

« Je pense que les jeunes gens de cette planète ont, comme partout, des jeux où ils déploient leur force et leur endurance ? Je m’offre à vous y rencontrer.

— Pffut ! Des jeux ! Il n’y a qu’un seul jeu pour un noble, la guerre ! Dans quelques jours aura lieu le grand tournoi.

Accepteriez-vous de m’affronter dans une lutte à mort ?

— Cela suffit, Nétal, trancha le Duc. Son Excellence Kler est notre hôte, et, qui plus est, un ambassadeur.

— Évidemment, s’il a peur…

— Je n’ai pas peur, coupa Akki. Et, une fois ma mission remplie, j’accepterai de vous rencontrer. De telles luttes barbares nous sont complètement étrangères et, à moins d’être fou, personne ne provoquerait chez nous un autre homme à une lutte à mort. Et personne, à moins d’être également fou, n’accepterait ce défi. Mais ici, étant donné les circonstances, je me sens tenu d’accepter. Je ne vous tuerai pas, d’ailleurs, mais vous pourrez essayer de me tuer, si vous en êtes capable.

— Il n’en sera rien, interrompit le Duc. J’interdis ce duel. Il ne serait d’ailleurs pas loyal, car vous, Nétal, êtes notre plus grand chevalier, et vous, seigneur Akki, manquez certainement d’entraînement à nos armes. Que disiez-vous, Boucherand ? »

Au bout de la table, le capitaine se leva.

« Je disais que si ce duel a lieu, je ne donne pas un ducaton de la peau de Nétal : elle sera plus trouée qu’une passoire ! Je serai volontiers votre second, si nécessaire, dit-il à Akki.

— J’ai dit que cela suffisait, trancha le Duc. Ce duel n’aura pas lieu. Et quiconque accusera pour cela Son Excellence Kler de couardise en rendra raison à moi-même. »

Il se tourna vers sa gauche.

« Vous m’entendez, jeunes seigneurs ? »

Le soleil jetait dans la pièce ses rais obliques quand finit le repas. Si le Duc, Boucherand, Roan, et, bien entendu, Akki et Hassil étaient restés sobres, le reste des invités avait largement bu, et c’est dans un tumulte de cris et de chansons, de vantardises et de défis qu’ils se levèrent et quittèrent la salle du banquet.

La pièce était grande, sévèrement meublée de quelques fauteuils de bois et d’une immense table couverte de cartes et de papiers.

Par une des fenêtres on apercevait la ville, par l’autre, la base étranglée de la péninsule, et au-delà, les champs, la forêt s’étageant à l’infini vers les monts, rouges sous le soleil couchant. La pièce voisine, entrevue à travers des tentures, semblait une bibliothèque. Anachronique, un coffre-fort trônait dans un coin.

« Oui, dit le Duc. Il servait autrefois à bord de l’astronef amiral à garder les choses précieuses. Maintenant, il renferme les clefs de l’arsenal où sont conservées ce qui nous reste des armes des ancêtres. J’en ai seul le secret, et n’ai pas eu, de tout mon règne, à les utiliser. Nous nous sommes toujours tirés d’affaire avec nos armes primitives. Mais je pense que vous devez être pressés de passer enfin aux choses sérieuses. Quelle est exactement votre mission, seigneurs ? Non, restez, Roan ! »

Akki réfléchit un instant.

« Je crois, Votre Altesse, que pour que les choses soient parfaitement claires, il faut faire un peu d’histoire. Non point celle de votre monde, que vous connaissez mieux que nous, mais l’histoire de ce qui s’est passé dans l’Univers depuis près d’un millénaire.

« Vers l’année 1950 ou 1960 de l’ère chrétienne, c’est-à-dire il y a environ huit cents ans, des êtres humanoïdes, les hiss – Hassil en est un représentant – envoyèrent, depuis la galaxie inconcevablement éloignée où ils vivent, une mission de reconnaissance qui atteignit la Terre. À la suite d’événements qui n’ont aucun rapport avec ce qui nous intéresse, un homme, qui est un de mes ancêtres, repartit avec eux. La Terre ignora alors qu’elle avait été visitée, car, à cette époque-là, les guerres internationales sévissaient encore, et les hiss s’étaient fait une règle de n’avoir aucun rapport avec les planètes qui n’étaient pas unifiées.

« Pourquoi ont-ils fait une exception pour mon aïeul ? Pour une raison qui va vous sembler bien banale : comme tout Terrien, il avait le sang rouge. Les hiss étaient en guerre depuis longtemps déjà avec des créatures étranges, que nous ne comprenons pas encore, des êtres métalliques qui ne peuvent vivre qu’à la surface de planètes glacées, aux environs du zéro absolu, les misliks. Ces misliks, qui sont, je le répète, encore une énigme pour notre science, possèdent deux propriétés bien gênantes : ils émettent un rayonnement mortel pour toute créature dont le pigment respiratoire n’est pas l’hémoglobine, et ils ont la faculté de pouvoir, agissant en grand nombre, inhiber les réactions nucléaires qui permettent aux étoiles de répandre lumière et chaleur. Ils éteignent les étoiles pour coloniser leurs planètes quand elles sont devenues des mondes noirs et froids. Or, dans la religion des hiss, il y avait une prophétie prédisant qu’un jour serait trouvée une humanité dont le sang rouge ne pourrait être glacé par les misliks. Le jeune hiss qui commandait leur ksill, astronef lenticulaire, et qui est un lointain ascendant de mon ami Hassil ici présent, ramena donc mon aïeul sur Ella, leur planète.