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« Vous voilà, seigneur Akki. Mon mouchoir était tombé, et au lieu de déranger mes servantes, j’ai envoyé Per le ramasser. Il adore grimper à la corde. »

Négligemment, elle tira un mouchoir de son sein, s’essuya doucement le front.

« Quelle chaleur, seigneur Akki ! et nous sommes à peine au printemps. Fait-il aussi chaud sur vos planètes ? Oh ! Je suppose que dans le nombre. »

Elle resta un moment silencieuse, mordant sa lèvre inférieure.

« Je vais vous demander une faveur. Je… N’est-ce pas idiot d’avoir toujours à accorder des faveurs, et jamais à en demander ?

Je ne sais comment faire ! Enfin… pourrais-je venir aux États avec vous, dans votre machine ? »

Il ne répondit pas immédiatement. Bien qu’il fût tenté d’accepter, il voulait se donner le temps de réfléchir. Il faudrait sacrifier Roan, dont il avait besoin… ou bien… Mais oui, Hassil accepterait certainement d’aller avec le Duc, sur son navire. Pour quelqu’un qui s’intéressait autant à l’archéologie – cela avait toujours été la passion de sa famille – un voyage à la voile… D’un autre côté, cela le laisserait seul, lui Akki, avec deux Bérandiens, mais la force physique de Roan était négligeable, étant donné son âge, et Anne était une femme. De plus que feraient-ils de l’appareil, plus délicat à piloter qu’il ne paraissait ?

« Allons, je vois que vous refusez, dit-elle tristement. J’aurais pourtant aimé voler, comme les ancêtres, ne serait-ce qu’une fois. Elle doit être si belle, la terre, vue du ciel ! »

Un plan se dessina dans l’esprit d’Akki.

« Mais non. C’est peut-être possible, Votre Altesse. Je dois cependant emmener avec moi votre parrain Roan, et notre appareil n’a que trois places. Cependant je pourrai sans doute convaincre Hassil de suivre votre père sur son navire. Mais est-il nécessaire d’attendre pour voler ? Voulez-vous venir faire, dès maintenant, un petit voyage ?

— Maintenant ? Vous voulez dire tout de suite ?

— Pourquoi pas ?

— Vous feriez cela ? Attendez-moi près de votre machine. Ne le dites pas au Duc, je m’en charge ! »

Légère, elle disparut par l’escalier. Plus lentement, Akki descendit à son tour. » Peut-être, dans l’intimité du vol, pensa-t-il, laissera-t-elle échapper quelque parole me permettant de juger de ses desseins ? »

Il avertit Hassil, attendit, adossé à l’aile courte de l’avion. Anne apparut, vêtue d’un costume de cheval, et accompagnée de Boucherand et de trois gardes. Elle sourit à Akki.

« Voyez, capitaine, et soyez témoin. C’est de mon plein gré que je pars pour quelques heures avec le seigneur Akki. Que nul ne trouble son compagnon. Nous serons de retour avant la nuit, je pense ?

— Certainement, Votre Altesse.

— Excellent. Par où dois-je monter ? »

La porte glissa.

« Ici, Altesse. Vous vous assiérez sur le fauteuil de droite. Ne touchez à rien ! »

Anne retira vivement la main du second volant de pilotage. Il s’installa à côté d’elle, lui fit boucler sa ceinture. Se penchant pour dire au revoir à Boucherand, il vit une légère lueur d’hostilité, vite éteinte, dans ses yeux. La porte se referma. Il établit le contact, saisit le volant. Doucement, sous l’effet des champs antigravitiques, l’appareil s’éleva verticalement. Il dépassa la plus haute tour, vira, s’engagea sur la mer. Penchée vers la fenêtre de droite, la duchesse regardait sans parler.

Ils filèrent droit au large, prenant de la hauteur à meure. L’horizon s’élargit, des nuages s’interposèrent entre l’avion et la mer. Akki se tourna et demanda, en bérandien :

« Eh bien, que pensez-vous de votre terre vue du ciel ? »

Elle sursauta.

« Mais… Pourquoi avez-vous changé de voix ?

— Je n’ai pas changé de voix, Votre Altesse. En réalité, c’est la première fois que je vous parle. Jusqu’à présent, ce sont mes pensées que vous entendiez.

— Vos pensées ? Mais alors, vous savez tout ce que je…

— Mais non ! Je ne puis saisir, de vos pensées, que celles que, sans le savoir, vous émettez vers moi avec l’intention que je les reçoive, c’est-à-dire celles que vous traduisez par des paroles. Les autres me restent secrètes. Et quand je vous parlais de la même manière, votre esprit habillait les pensées reçues avec une voix fantôme, qui n’existait pas en réalité.

— Ainsi, vous conversez par transmission de pensée ?

— Oui et non. J’utilise souvent la parole. Mais au début je ne connaissais pas le bérandien. Je l’ai appris ces derniers jours très vite, grâce à un appareil qui est dans cet avion. Rappelez-vous, je vous ai déjà transmis des images…

— Oui, mais je croyais que vous l’aviez fait avec l’appareil que vous portiez ce jour-là sur la tête.

— Ah ! Mon bandeau ? C’est en effet un amplificateur.

— Et vous naissez avec ce don ?

— Non. Aucune humanité à sang rouge n’est naturellement télépathique. En revanche, les races à sang vert le sont presque toutes, et je ne serais pas étonné que vos brinns le fussent. Voulez-vous piloter un peu ?

— Oh oui ! Mais je n’ose pas.

— C’est très facile. Votre Altesse, enfin, très facile, parce que je suis à côté de vous, prêt à corriger toute erreur. Ne vous inquiétez pas du moteur. Prenez simplement ce volant, devant vous. Inclinez-le à droite pour aller à droite, à gauche pour aller à gauche, poussez pour descendre, tirez pour monter. Comme cela ! »

L’avion se mit à décrire des courbes fantastiques. Ivre d’un sentiment de puissance qu’elle n’avait jamais éprouvé, même sur le plus fougueux des chevaux de la Bérandie, la duchesse riait, faisait plonger à mort le petit engin, le redressait sèchement. Les compensateurs gravito-inertiques empêchaient les accélérations de devenir dangereuses.

Enfin, lassée, elle abandonna le volant, se renversa dans son siège.

« Quelle merveille ! Voler comme un oiseau ! Mieux qu’un oiseau ! »

Elle reprit les commandes, vira à droite, surveillant avec volupté le chavirement apparent de la mer, loin sous eux.

« Voulez-vous que nous fassions un peu de vraie acrobatie, Votre Altesse ?

— Oh oui ! Mais ne m’appelez plus Altesse. J’ai horreur de cet anachronisme !

— Comment vous nommerai-je alors ? Mademoiselle me semble aussi archaïque.

— Dites donc Anne ! Je vous appelle bien Akki !

— Entendu, Anne. Serrez bien votre ceinture. Comme cela ! »

L’avion piqua vers les flots, passa sur le dos, et frôla les vagues pendant quelques secondes, puis il grimpa, boucla la boucle, descendit en vrille, monta en spirale. Pâle, mais rieuse, Anne cria : « Encore ! »

Ils jaillirent en chandelle. Le ciel vira au noir, les étoiles parurent. Se ruant hors de l’atmosphère, l’avion fila vers le satellite de Nérat. La chaleur engendrée par le frottement de l’air se dissipa, et Akki mit en marche le chauffage. La lune grossissait de minute en minute.

« Mais nous sommes dans l’espace ! »

La voix d’Anne sonna, effrayée, plus autoritaire du tout.

« Oui, Anne, dans l’espace. Chez moi. Regardez. N’est-ce pas beau ?

— Oh ! Akki, j’ai peur ! Les étoiles ! Elles sont aussi sous vous, quand vous marchez sur la terrasse de votre château.

— Oui, mais je ne les vois pas. Ici, quel abîme ! J’ai le vertige !

— Voulez-vous rentrer ?

— Non ! Non ! Je veux voir Loona de près. Seigneur, que dirait parrain ! Et tout semble si facile !

— Facile, Anne, pour un peuple comme le mien, qui a derrière lui toute la science de milliers d’années, et de dizaines de milliers d’humanités ! Mais combien sont morts, sur chaque planète, pour réaliser ce rêve…