— Diable non ! Mais cela va compliquer les choses. Pensez-vous pouvoir monter à cheval, comte ?
— J’essaierai, capitaine. Si je ne puis, abandonnez-moi.
— Pierre, Joseph, aidez le comte. Venez vite, le temps presse. »
Ils filèrent par le couloir, passèrent sur la terrasse. En bas, la cour était déserte, quelques cadavres gisaient sur le sol dallé. Ils la traversèrent à la hâte, glissèrent sous une voûte, passèrent sur le rempart extérieur. Une sentinelle voulut les arrêter, fut assommée.
« Je n’en puis plus, laissez-moi ici, dit Roan. Adieu, Anne ! Veillez bien sur elle, capitaine, et vous aussi, seigneur Akki. Et pardonnez-moi de vous avoir soupçonnée, vous qui fûtes presque ma fille. »
Boucherand et Clotil entraînèrent la jeune fille, laissant Akki en arrière.
« Non, ne me portez pas, j’ai peu de temps à vivre. Partez, c’est un ordre, dit-il aux soldats qui essayaient de le soulever. Protégez la duchesse, moi, je ne compte plus !
« Allons, il était écrit que je ne verrais jamais les étoiles qu’au bout de mon télescope, ajouta-t-il pour Akki. Et n’ayez que peu de pitié pour la Bérandie, elle n’en mérite guère !
— Restez ici dans l’ombre du créneau. Je vais revenir vous chercher. »
Il courut, dépassa les deux soldats, rattrapa Anne, le capitaine et sa sœur. Ils galopèrent sur les remparts, descendirent un escalier, arrivèrent à la poterne nord. Deux archers les attendaient, avec des armes et des chevaux.
« C’est ici que notre route bifurque, dit le coordinateur. Je dois sauver mon avion. Où pourrai-je vous retrouver ?
— Vous ne venez pas avec nous ?
— Je puis être plus utile avec mon ami et mon avion. Et ma mission n’est pas terminée. Où comptez-vous aller ?
— Chez les proscrits. Aux confins du pays vask.
— Je tâcherai de vous y rejoindre. Partez maintenant. Bonne chance, Anne ! »
Il plongea dans l’obscurité, remonta sur le rempart, contourna une terrasse, au-dessus de la cour où se trouvait son appareil. Elle était vivement éclairée par des torches qui brûlaient en tas, à peu de distance de la queue de l’engin. On avait essayé de l’incendier. Quelques taches noires – tout ce qui restait d’hommes atteints par un fulgurateur – parsemaient le dallage. Hassil avait combattu. Où était-il ?
Comme pour répondre, un mince rai bleu jaillit d’une fenêtre, et un Bérandien qui essayait de traverser la cour chancela, se tassa, croula en un amas de cendres. Pourquoi Hassil ne gagnait-il pas l’avion ? Akki comprit quand il vit une volée de flèches s’écraser contre le mur. Il repéra les archers, tapis derrière des créneaux revint sur ses pas, dépouilla un cadavre de ses armes. Du point où il était maintenant, il pouvait voir les tireurs, en enfilade. Il posa une flèche sur la corde, tendit l’arc, décocha le trait. Un des Bérandiens s’effondra, la mince tige vibrant dans son dos. Akki recommença, tuant ou blessant un autre homme, et cria en hiss :
« Hassil, à l’avion. Je te couvre ! »
Une silhouette bondit dans la cour, se rua vers l’avion, zigzaguant. Un archer se leva pour mieux viser, s’écroula, une flèche dans la gorge. Le hiss disparut dans l’appareil, qui s’éleva, vint à hauteur du rempart. Akki sauta à l’intérieur. Dérisoires, des traits sonnèrent contre la paroi métallique.
« Laisse-moi piloter ! »
À deux mètres au-dessus du chemin de ronde, ils cherchèrent Roan. Ils l’allongèrent sur le siège arrière, respirant à peine.
« Nous allons au pays des Vasks, maintenant. Hassil, soigne cet homme. »
Rapidement, l’avion prit de la hauteur. En bas, dans la cité, les cloches de l’hôtel de ville sonnaient le tocsin.
Deuxième partie
Les montagnards sont là
Chapitre I
Le berger
Sous l’avion défilaient les vallées, les cimes déchiquetées, voilées de nuages. Loin, vers l’avant, un glacier serpentait entre des rochers abrupts, étincelant sous le soleil levant. L’avion le survola, passa une haute sierra, descendit en spirale vers un plateau.
« Pas un signe de vie !
— Ah ! Te voilà, Hassil. Comment va Roan ?
— Bien, maintenant, mais il était temps. Il a fallu utiliser les rayons biogéniques. C’est l’affaire de quelques jours de repos.
— Tant mieux. C’est un des rares humains sur cette planète qui vaillent quelque chose. J’aurais été navré qu’il mourût.
— Et la duchesse, Akki ?
— Nous ne pouvons rien pour elle actuellement. Ils doivent se trouver dans les bois, et les repérer serait impossible. Nous les rejoindrons plus tard. J’ai confiance en Boucherand. Nul ne semblait les poursuivre, et ils ont maintenant assez d’avance pour ne plus être rejoints. J’ai d’ailleurs dans l’idée que Nétal se vantait, quand il affirmait que toute la Bérandie était sienne. Nous devons maintenant accomplir la deuxième partie de notre mission, mais les Vasks sont du même type que les Bérandiens, je sais bien quelle sera ma décision !
— Eh là ! Sur cette pente, des animaux ! Et un homme, je crois.
— Vu ! Nous descendons. »
L’avion piqua silencieusement, glissa sur une prairie en faible pente, s’immobilisa. Akki sauta à terre.
« Hassil, tu restes ici avec Roan. Je vais en reconnaissance. »
Il se faufila entre de gros éboulis parsemant la pente. L’herbe était verte et souple sous ses pieds, familière, à peine différente de celle de Novaterra ou d’Arbor. Une fois de plus, il s’émerveilla du manque d’imagination de la nature. Il avait beau savoir que c’était là le résultat nécessaire de l’identité des lois physico-chimiques dans tout l’Univers, cette constatation l’étonnait toujours. Bien sûr, il existait des mondes différents, où, dans une atmosphère de chlore, de méthane ou d’ammoniac avaient évolué des êtres très distants de lui-même, les Xénobies. Mais sur les planètes de type terrestre, les formes supérieures de vie étaient toujours assez voisines. Certes, les k’tall avaient six membres et six yeux, mais leur métabolisme se comparait fort bien à celui des humains, et leur sang était rouge. Les hiss avaient le sang vert, mais étaient complètement anthropomorphes, malgré leurs sept doigts. Les hommes-insectes avaient leurs homologues moins évolués sur Terre I, ou sur Arbor. Les misliks… Évidemment, les misliks… Mais venaient-ils de cet Univers ?
Une voix joyeuse, appelant quelqu’un ou quelque animal, le tira de ses pensées. Il se glissa derrière un bloc, observa. C’était un tout jeune homme, presque un enfant, de haute stature, mais encore grêle. Il était habillé de vêtements de cuir, laissant à découvert des bras et des jambes minces, aux longs muscles. Une chevelure ébouriffée, très brune, surmontait un visage triangulaire, aux pommettes larges, au nez long et arqué, au menton proéminent. Il jouait avec un chien, et l’animal sautait, essayant d’atteindre un bâton que le jeune homme tenait très haut.
« Apporte, Lamina, apporte ! »
Le bâton décrivit une parabole, passa au-dessus d’Akki, roula sur le sol. Le chien courut, freina des quatre pattes, ouvrit la gueule pour saisir le bâton, puis levant la tête, prit le vent. Un jappement bref, et il était près d’Akki, babines retroussées montrant les crocs.
« Eh bien, Lamina, tu l’apportes ? »
Le chien gronda. Le jeune homme sauta derrière un rocher, reparut, arc à la main. Flèche prête, il avança.
Akki sortit de sa cachette, mains levées en signe de paix. Une expression de méfiance passa sur le visage du jeune homme, il tendit à moitié son arc, et, d’une voix sèche, il demanda en une langue sonore que le coordinateur ne reconnut pas :