« Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?
— Je suis Akki Kler, je viens en paix d’une planète lointaine. Je veux prendre contact avec votre nation.
— Nous aussi sommes venus, il y a bien longtemps, d’une planète lointaine. Les Bérandiens également, et nous ne désirons rien de ce qu’ils représentent, ni probablement de ce que vous représentez ! Nous avons quitté ce monde ancien pour rompre à jamais tous liens avec les autres hommes, ces hommes qui ont pris le chemin de mort ! Nous ne désirons aucun contact avec des étrangers, sauf s’ils sont prêts à prendre la Voie de Vie. Quelle voie suivez-vous, étranger ? »
Amusé, Akki sourit, baissa les bras.
« Les mains en l’air. Vite, ou je tire ! »
L’arc était tendu, la flèche prête. Ennuyé, Akki se souvint qu’il avait omis d’activer le champ de force qui l’eût rendu invulnérable. La détermination du jeune homme était évidente, et il n’hésiterait pas à tuer. Silencieusement, il lança un appel à Hassil. La distance était assez faible pour qu’il pût espérer, avec son bandeau amplificateur, être entendu.
« Ne lâchez pas votre flèche, jeune homme. Je le répète, je viens en paix. Mais j’ai une mission de la plus haute importance à remplir auprès de votre peuple, une mission qui peut changer ou affermir à jamais votre mode de vie.
— Notre mode de vie a été fixé une fois pour toutes par l’Ancêtre. Qui croyez-vous être, pour parler de changer la vie du Peuple libre ?
— Même les peuples libres…, commença Akki. Attention ! » Cria-t-il.
Derrière le jeune homme se profilait une forme monstrueuse. Haute de deux mètres, velue, noire, c’était une sorte de boule aplatie, portée par deux rangées de pattes courtes, à peine visibles. Trois petits yeux étincelaient dans la fourrure rase, au-dessus d’une bouche énorme, rouge, où luisaient des dents jaunes et pointues.
Le Vask se retourna, cria : « Un tarek ! » lâcha sa flèche. Elle s’enfonça jusqu’à l’empennage dans la masse velue. Hâtivement il en saisit une autre dans son carquois, hurlant : « Fuyez ! Fuyez ! »
Et, comme un éclair, la bête ne fut plus une boule, mais une longue chenille noire bandée comme un ressort, qui bondit. Sous cette masse, le jeune homme s’écroula. Akki tâta désespérément sa ceinture, à la recherche de son fulgurateur absent. Le chien, qui jusqu’alors rampait sur l’herbe, frissonnant et hurlant, se jeta au secours de son maître. Avec horreur, Akki vit l’énorme gueule s’ouvrir, se refermer, et le chien disparut.
Ondulant lentement, la chenille se retira de sur le corps humain qu’elle recouvrait, le saisit avec deux courtes pattes préhensiles. Lançant vers Hassil un appel sans espoir, Akki dégaina son poignard et avança.
La bête suspendit ses préparatifs, se ramassa. Il ne lui laissa pas le temps de bondir, glissa de côté et, de toutes ses forces, frappa. Le tégument élastique céda sous la pointe, et un jet de sang vert gicla dans ses yeux. Il retira la lame, frappa, frappa, avec l’énergie du désespoir, traçant de longs sillons dans la viande du monstre. Il reçut un choc violent, roula sur le sol. Un de ses flancs en lambeaux, mais semblant n’avoir rien perdu de sa force, la bête sauta. Akki para à demi l’attaque d’une détente des jambes, sentit quelque chose d’aigu déchirer son épaule, se redressa, couteau prêt, chancelant encore. Près de son oreille passa un mince rai bleu, et il entendit, comme une musique céleste, le bourdonnement d’un fulgurateur. Le tarek, sous le terrible faisceau, se contracta spasmodiquement, se roula en boule. Une odeur de chair brûlée emplit l’air, mais Hassil ne cessa le feu que quand le monstre ne fut plus qu’une masse carbonisée. Akki sentit un lancement sourd dans l’épaule, vit le ciel chavirer sur les montagnes, et sombra dans l’inconscience.
Il se réveilla, étendu sous le familier projecteur de rayons biogéniques. Il tourna la tête : son épaule était enflée, bleue, mais la douleur avait disparu. À côté de lui était étendu le Vask. Hassil manœuvrait les commandes, intensifiant le rayonnement. Une grande paix l’envahit, et il se laissa glisser dans le sommeil.
Quand il reprit conscience, le projecteur était éteint, et Hassil était assis à côté de la table d’opération.
« J’ai fait de mon mieux, mais ce fut long ! Tu es resté évanoui douze heures, et j’ai été obligé de dépasser le degré six pour toi !
— Le degré six ! Mais alors…
— Alors, il faudra que tu passes quelque temps au centre de cure de Réssan, quand nous serons revenus, pour qu’on y mate les quelques cellules anarchiques qui ont pu se développer. Je ne sais quelle sorte de venin cet horrible animal secrète, mais si, heureusement, son effet est lent, il est très difficile à combattre pour l’organisme. J’ai eu peur d’être obligé de te mettre en état de vie latente, et de rentrer tout de suite…
— Et le jeune homme ?
— Il dort encore, mais pour lui, ce fut simple. Il n’avait que quelques os brisés, et le degré deux a suffi.
— Roan ?
— Je suis là, cher ami. Votre science est vraiment merveilleuse. Jamais personne n’a survécu à la morsure d’un aspis ou d’un sugegorri, comme l’appellent parfois les Vasks, tarek étant le nom brinn. Ils sont heureusement rares, et vivent d’habitude bien plus au sud. »
Akki se leva.
« Où sommes-nous, Hassil ?
— À quatre mille mètres de haut, pour employer vos mesures novaterriennes. À huit brunns, dirions-nous sur Ella. Exactement au-dessus du théâtre de ton héroïque combat. J’y suis resté pour voir si quelqu’un se soucierait du sort de notre jeune ami. Jusqu’à présent, nul n’a paru. Tiens, il s’éveille ! »
Le Vasks se frottait les yeux, regardait autour de lui.
« Suis-je mort, demanda-t-il brièvement. Suis-je auprès de l’Ancêtre ? Mais non, il y a des machines ici, et il n’y a pas de machines, là ! »
Il regarda un moment Hassil, puis Roan, enfin Akki.
« Vous avez échappé, étranger ? Mais moi… j’ai été touché ! Je dois donc être mort !
— Vous êtes vivant. Mon ami Hassil est arrivé à temps et a tué le tarek.
— Je serais arrivé trop tard, dit le hiss, si Akki n’avait combattu la bête au couteau, perdant ainsi presque sa vie pour vous secourir. »
Il envoya une pensée à Akki.
« Pas de modestie ! C’est vrai, et il est bon, pour nos futurs rapports avec son peuple, qu’il le sache ! »
« Au couteau ! Vous l’avez tué ainsi !
— Non, blessé simplement. Hassil l’a achevé avec un fulgurateur.
— Si vous l’avez blessé, vous l’avez tué. Il n’aurait pas survécu.
— Dans ce cas, c’est vous avec votre flèche ! »
Le Vask eut un mouvement agacé des épaules.
« D’où venez-vous donc ! Une flèche ne peut tuer un tarek que si l’on touche le cœur. Sinon, la blessure est trop petite, le sang ne coule pas, et elle guérit. Il faut le couteau, mais bien rares sont ceux qui ont pu blesser un tarek à mort, et survivre ! »
D’un geste plein de noblesse, il tendit ses mains.
« Vous avez sauvé ma vie, et si vous n’êtes pas un Bérandien, je suis votre obligé, jusqu’à ce que je puisse vous payer de retour, et votre ami pour la vie.
— Et si j’étais un Bérandien ?
— Dans ce cas, je ne vous devrais que le prix : cinq barres d’or. »
Il se tourna vers Roan.
« Celui-ci est un Bérandien. Que vient-il faire ici ?
— Il fut obligé de fuir sa patrie.
— Clame-t-il refuge ?
— Au nom de la Terre, je clame refuge, dit lentement Roan.