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Sur la table, dans un long plat, fumait un quartier de venaison. Les assiettes de poterie étaient assez grossières, mais élégantes de forme.

« Votre ami qui ressemble à un brinn peut-il partager notre nourriture ? S’enquit le Vask. Les brinns ne peuvent pas manger de tout ce que nous consommons.

— Hassil peut digérer cette viande. Aucun des aliments qui nous conviennent n’est toxique pour lui. Dans le cas inverse, il nous faudrait éviter certains de leurs mets. »

Akki remarqua avec surprise que la femme d’âge moyen occupait la place d’honneur et dirigeait le repas. Pourtant, ce qu’il avait pu entrevoir du village n’indiquait nullement un matriarcat.

« Nous ferez-vous l’honneur de dormir sous notre toit, étrangers ? S’enquit-elle. La place ne nous manque pas, malheureusement.

— Volontiers », répondit Akki.

Étant donné la révolution de palais à Vertmont, le temps pressait, et tout ce qui pourrait le rapprocher des Vasks était bienvenu. Il sentit un frôlement contre sa jambe, se pencha, saisit un petit animal.

« Un missdol ! Non, un chat terrestre. »

Le félin protestait, moustaches en arrière, canines découvertes.

« Ne lui faites pas de mal, étranger, cria la jeune fille. C’est mon chat !

— Je n’en ai pas l’intention ! Tenez, regardez. »

Rassuré, le matou se roulait en boule sur ses genoux.

« Nous avons aussi des chats sur notre planète.

— Et où est votre planète ? dit le vieillard.

— Loin, très loin. Je l’expliquerai devant votre Conseil des Vallées, puisque tel est le nom de votre gouvernement.

— Point notre gouvernement ! Nous n’avons pas de gouvernement ! Les Vasks sont un peuple libre !

— Et comment réglez-vous les différends entre villages, ou entre hommes ?

— Le Conseil fait comparaître les parties adverses, et prend la décision.

— Et elle est respectée ?

— Oui et non. Si non, tant pis pour celui qui désobéit. Il s’exclut lui-même, et nul ne lui parle plus jusqu’à ce qu’il ait obéi. »

Ils mangèrent un moment en silence. Akki se sentait gagné par l’atmosphère de force tranquille qui émanait de cette maisonnée. Hassil le sentit aussi, et transmit :

« Ceux-là font honneur à ta race, Akki.

— Ne jugeons pas témérairement. Il y a aussi de braves gens en Bérandie. »

Le repas fini, ils s’installèrent près de la grande cheminée, où craquait un feu de bois. On était au printemps, et l’altitude rendait la nuit froide. La porte s’ouvrit, et un jeune homme entra. De haute taille lui aussi, il présentait au maximum le type ethnique particulier de leurs hôtes. Irigaray le présenta.

« Otso Iratzabal, qui sera bientôt mon petit-fils. »

Il s’assit à côté de la jeune fille, et une vive conversation s’engagea immédiatement. Otso rentrait d’une reconnaissance dans les basses terres, près de la frontière bérandienne, et il avait pu voir des armées se concentrer en Bérandie, vers l’entrée de la vallée qui menait au village.

« Ne craignez-vous pas d’être attaqués cette nuit même ? demanda Akki.

— Non. Il faudrait d’abord qu’ils forcent les passes d’Arritzamendi, qui sont toujours gardées. Ou alors, ils devront faire le détour par le col d’Urchilo et le plateau d’Ordoki. Plus au nord, il y aurait le passage par l’Ezuretakolepoa, mais les brinns y sont en force, c’est un lieu sacré pour eux, bien qu’il soit situé chez nous. Avec notre accord, ils y entretiennent une forte garde. Non, il faudra bien quinze jours aux Bérandiens avant qu’ils deviennent dangereux. D’ici là, le Conseil se sera réuni, et nous les battrons une fois de plus.

— Je me le demande », dit tranquillement Hassil.

Une onde de colère passa sur le petit groupe des Vasks. Akki, surpris, interrogea le hiss du regard.

« Les armes des ancêtres, Akki. Maintenant que Nétal est duc, il a les clefs de l’arsenal. Ce fut sans doute la première chose dont il s’assura. »

Akki fit une grimace.

« En effet, Irigaray, nous n’avions pas pensé à cela. Il leur reste, à ce que m’a dit le Duc, quelques armes apportées de la Terre, bien que j’ignore ce qu’elles sont.

— Ils ne les ont jamais employées contre nous, et les brinns qui en ont subi les effets ne sont jamais revenus dire ce qu’elles étaient, dit le vieux Vask, soucieux.

— Je le sais, moi, intervint Roan. J’ai pénétré dans l’arsenal du temps du vieux Duc, le grand-père d’Anne. Il y a là des armes analogues à vos fulgurateurs, Akki, mais il est possible qu’elles soient hors d’usage, bien que la rumeur publique de Bérandie prétende le contraire, bien entendu ! Mais il y a aussi des fusils, des mitrailleuses, des canons, et pour ceux-là, les munitions ne manqueront pas !

— Mais vous serez de notre côté n’est-ce pas ? » Dit Iratzabal, se tournant vers Akki.

Gêné, celui-ci essaya de gagner du temps.

« Dans cette guerre, vous avez, pour le présent, toute notre sympathie. Mais nous devons d’abord mettre votre Conseil au courant de notre mission, et entendre sa version de l’histoire. Les Bérandiens vous accusent de ne pas les avoir secourus quand ils firent naufrage sur ce monde…

— C’est un mensonge ! Nous leur avons proposé notre aide, sous condition, bien entendu, qu’ils reconnaissent notre souveraineté sur cette terre, qu’ils abandonnent leurs machines, et qu’ils suivent la Voie de la Vie !

— Et aussi qu’ils ne massacrent pas nos alliés brinns, comme ils avaient commencé à le faire, ajouta la jeune Argui.

— Est-ce exact, Roan ?

— Partiellement. Il y eut en effet des négociations entre nos ancêtres et les leurs, négociations qui échouèrent. Les conditions que mettaient les Vasks étaient dures, comme vous avez pu vous en rendre compte. Nos ancêtres étaient fiers, ils refusèrent.

— Ils furent stupides », intervint Iker.

Le vieux Vask se dressa de toute sa hauteur.

« Paix, Iker ! On n’insulte pas un proscrit qui a clamé refuge, et qui plus est, un ancien ! »

Le jeune homme s’inclina, très digne.

« Pardonnez à ma jeunesse, seigneur Roan.

— Vous avez pourtant raison. Ils furent stupides, non point de ne vouloir accepter vos lois, mais de vouloir vous imposer les leurs, et surtout de maltraiter les brinns.

— Le passé est mort ! Il est tard, et nos hôtes sont fatigués. Demain, la lumière brillera sur les cimes. Allons dormir », coupa le vieux Vask.

Akki se réveilla lentement, examina avec curiosité les poutres brunes du plafond, les murs blanchis à la chaux, les meubles massifs. Il avait bien dormi, dans un lit aux draps de rude toile, très propres. Dans un autre lit de la même pièce, Hassil sifflotait doucement un air hiss, agaçant par sa complexité. La lumière était déjà forte, et le village semblait debout depuis longtemps. Ils s’habillèrent rapidement, passèrent dans la salle commune. Irigaray les y attendait.

« Le Conseil aura lieu dès que possible, ici, en votre honneur. Cette nuit les feux d’appel ont brillé, et les membres du Conseil sont avertis.

— Combien de temps mettront-ils pour arriver ?

— Relativement peu de temps pour ceux des vallées. Les Sept Vallées sont disposées en étoile, et les villages sont tous dans la partie haute. Les passes, à cette époque de l’année, sont faciles. Mais ceux du port de Biarritz mettront bien une dizaine de jours. Mangez-vous le matin ? Argui ! »

La jeune fille entra, et Akki put la voir pour la première fois à la lumière du jour, et non plus des lampes à huile. D’une manière très différente, elle était aussi belle que la duchesse Anne ; à peu près du même âge, elle donnait la même impression de force sûre d’elle-même, mais avec plus de sérénité. Elle disposa devant eux venaison et pain noir, avec une carafe de la boisson que les Vasks tiraient des fruits d’une liane à feuilles rouges.