Une ombre se découpa dans la porte, et Otso parut. Il s’adressa respectueusement au vieil Irigaray.
« Père, voulez-vous demander aux étrangers s’ils pourraient déplacer leur oiseau de métal qui est devant le fronton ? »
Le vieillard expliqua : la place où ils avaient atterri était réservée à un jeu de balle et, comme c’était jour de repos, à part les veilleurs dans leurs nids d’aigle et les forgerons préparant les armes, nul ne travaillerait parmi les hommes.
« Bien volontiers. Où pouvons-nous le poser sans qu’il soit une gêne ?
— Sur le pré.
— J’y vais », dit Hassil.
L’avion décolla à la verticale. Quatre jeunes hommes s’avancèrent alors, et se mirent à jouer. Akki admira leur souplesse et leur adresse. C’étaient vraiment de beaux types d’hommes que ces Vasks, et, bien qu’il n’eût aucun goût pour les philosophies primitivistes, il préférait la leur à celle des Bérandiens. Le plus vif, le plus rapide, le plus sûr était sans contredit Otso, le plus calme aussi. Il ne lui échappait ni geste de dépit ni juron, quand par hasard il manquait la balle.
La partie s’acheva, et Akki se leva.
« Puis-je essayer ? »
Surpris, ils se regardèrent, puis l’un d’eux, rieur, tendit la balle. Akki la soupesa, la tâta. Très dure, elle était enveloppée de cuir. Il la lança en l’air, la cueillit d’une volée sèche. Elle s’écrasa contre le fronton, rebondit. Il était où il fallait, pour la renvoyer. Un des jeunes gens entra dans le jeu, et pendant quelques minutes, ils échangèrent rapidement des pelotes.
Otso s’avança.
« Le jeu semble vous être familier.
— Il vient de la Terre, n’est-ce pas ?
— Oui, mais ce fut toujours notre jeu. D’autres Terriens l’avaient adopté, et le jouaient plus ou moins bien…
— Nous le connaissons aussi, sur ma planète.
— Voulez-vous faire une vraie partie ?
— Quelles sont vos règles ? »
Otso les exposa.
« Elles ne diffèrent pas beaucoup des nôtres. J’accepte. »
Bien que sur Novaterra Akki eût été champion de jeu de pelote, il s’aperçut vite qu’il avait affaire à forte partie. Il avait dans son équipe un très jeune homme, et affrontait Otso et un Vask plus âgé. Longtemps le jeu fut indécis. À la fin, il perdit mais de façon très honorable. En nage, il se dirigea vers un banc pour s’asseoir, et s’arrêta, stupéfait. Une bonne moitié du village était là, à le regarder. Otso vint à lui, souriant.
« Vous êtes très fort ! Vous mériteriez d’être Vask ! »
Et il partit rejoindre Argui dans la foule.
« Savez-vous que vous avez résisté au champion des Sept Vallées ? demanda le vieil Irigaray. Et si Arambitz, votre partenaire, n’avait pas été aussi jeune, peut-être auriez-vous gagné. Je ne sais quel est le but de votre mission près de nous, mais vous l’avez bien commencée. »
Akki sourit à part soi : « Instructions pour les jeunes coordinateurs. Chapitre II, paragraphe 6 : Un des plus sûrs moyens de gagner la confiance d’un peuple primitif est d’exceller dans un de ses jeux. Il convient cependant de ne point trop exceller, et de ne point battre le champion local, sauf si c’est une question de prestige nécessaire. » À vrai dire, il n’avait pas feint la défaite, Otso était réellement plus fort que lui. Mais il l’avait assez inquiété pour gagner sa considération, sans exciter sa jalousie.
D’autres les avaient remplacés au fronton quand Hassil revint.
« L’avion est posé, prêt au départ si cela est nécessaire. J’ai fait une petite reconnaissance au-dessus de la forêt. Impossible de rien voir, mais j’ai repéré quelques fumées de camp. Il y en a cinq importantes, au bas de cette vallée, du côté de la Bérandie, et une petite, très loin. Peut-être est-ce Boucherand et la duchesse ?
— Tu aurais dû descendre t’en assurer. La forêt en ces temps-ci, n’est pas un endroit pour une jeune fille, même si c’est un petit démon comme Anne, et si elle a avec elle deux ou trois hommes sûrs et dévoués.
— Impossible, il n’y avait pas de clairière, la fumée filtrait entre les branches. »
Quinze jours passèrent ainsi, pendant lesquels Akki se familiarisa avec la vie simple de ses hôtes. Bien que l’ombre de la guerre planât sur la communauté, rien ne semblait changé à sa vie. Chaque matin les petits bergers partaient vers la montagne toute proche, les travaux des champs continuaient. Seule la cheminée de la forge, fumant du matin au soir, et le clair tintement des marteaux mettaient une note d’activité un peu fébrile. Le soir, cependant, les hommes se réunissaient et s’entraînaient à l’arc ou à la fronde. Akki prit souvent part à ces exercices, et gagna encore une fois l’estime des Vasks en plaçant presque toutes ses flèches au but. De temps en temps des éclaireurs remontaient la vallée, et venaient porter les dernières nouvelles. En Bérandie, les troupes ennemies se concentraient. Plusieurs fois, un des coordinateurs prit l’avion dans l’espoir de repérer Anne et sa suite, mais le couvert végétal était trop dense, et ils ne trouvèrent rien.
Puis vint le jour du Conseil. Akki, ce matin-là, regardait quatre Vasks disputer une partie endiablée de pelote. Un son de trompe s’éleva dans la vallée, des hommes coururent.
« Les délégués du village de Sare, dit Irigaray. Ce sont nos plus proches voisins. »
Le jeu avait cessé, et les hommes étaient passés à des préparatifs plus sinistres. Assis devant leurs portes, ou sur des bancs, ils examinaient leurs armes : longs arcs, frondes de cuir, courts casse-tête, haches de combat, lourdes épées tranchantes. À la forge, le tintement des marteaux sembla s’accélérer.
Otso arriva, et posa sa main droite sur l’épaule d’Akki. De même taille, ils présentaient deux types bien différents, le Vask, mince bien que large d’épaules, avec sa face étroite malgré les pommettes saillantes, son nez busqué, ses yeux perçants et foncés ; Akki, blond pâle, les yeux gris, avec une obliquité qui trahissait son ascendance en partie sinzue, non humaine, sa face maigre au nez droit, mais à la mandibule large. Il devait peser vingt bons kilos de plus que l’autre.
— Étranger, c’est la guerre ! Nos guetteurs ont repéré l’armée bérandienne. Elle s’est divisée en deux, une partie monte vers nos vallées, le plus gros passera au nord et va attaquer les brins, puis revenir vers nous par les plateaux. Le Conseil va se réunir pour vous écouter mais, de toute façon, il aurait été obligé de s’assembler pour la guerre. Votre venue nous fait gagner du temps. »
Puis, brusquement, il le tutoya.
« Combattras-tu avec nous ? Tu as vécu en Bérandie, et tu as été obligé de fuir ces chiens. Tu sais ce qu’ils valent. S’ils triomphaient, ce serait, dans la libre terre des Vasks, l’esclavage pour nos femmes, la mort pour nos vieillards et nos enfants ! Oh ! Nous serions sûrs de vaincre, une fois de plus, s’ils n’employaient que des armes loyales. Mais s’ils emploient les armes d’enfer que leurs ancêtres maudits leur ont léguées, useras-tu des tiennes contre eux ? Je suppose que les leurs seraient comme les dents d’un chien, comparées à une épée ?
— Les dents d’une souris seraient une meilleure comparaison. Mais j’espère qu’il n’y aura pas de guerre. Je suis venu pour que les guerres cessent sur cette planète. »
Otso éclata de rire.
« Et tu as vécu en Bérandie ! Nous nous passerions volontiers de la guerre ! Mais eux ? Que feraient-ils sans leurs esclaves ; ces citadins amollis ?