— Amollis ? Pas tellement, Otso, et c’est là le danger.
— Oh ! Ils sont courageux à la bataille, c’est vrai. Mais en dehors du combat, ils ne font rien ! Ils ne chassent que par plaisir, point pour manger, et quand la chasse est mauvaise, ils rentrent ! Ils ne labourent pas la terre, ils ne gardent pas leurs troupeaux, ils ne tissent pas leur toile ! Tout cela, ce sont leurs esclaves qui le font pour eux !
— Pas seulement les esclaves, les hommes du peuple aussi. Ils ont de braves matelots, je crois.
— Oui, c’est exact. Les nôtres sont plus braves, cependant, qui pillent leurs vaisseaux à l’abordage.
— Ils ont aussi quelques sages, tels que Roan, qui cherchent les secrets de la nature… »
Otso hésita.
« Ont-ils raison ? L’Ancêtre disait que les secrets de la nature ne doivent pas lui être arrachés, que rien de bon n’en peut sortir pour l’homme.
— Nous essayons d’arracher à la nature le plus possible de ses secrets, et c’est fort heureux. Sinon, les misliks… Mais j’en parlerai à votre Conseil. Vous-même, ne sentez-vous pas en vous la curiosité de savoir pourquoi et comment les plantes poussent, par exemple ?
— Si, parfois. Mais l’Ancêtre disait que la connaissance rend l’homme avide et méchant.
— Je ne le crois pas. L’homme méchant le sera, qu’il soit savant ou ignorant. Évidemment, s’il est savant, il sera plus dangereux. Mais l’homme bon aura aussi plus de puissance pour le bien.
— Peut-être. Ce n’est pas à moi de décider. Combattras-tu avec nous ?
— Non, Otso. Je n’ai pas le droit de me mêler des querelles des planètes sur lesquelles je suis, sauf pour les faire cesser. Mais je puis vous promettre une chose : si les Bérandiens emploient contre vous des armes techniques, je m’arrangerai pour que ces armes leur deviennent inutiles. C’est tout ce que je peux faire, à moins d’être attaqué moi-même, auquel cas, bien entendu, je me défendrai. Mais je voulais, avant le Conseil, vous poser quelques questions. Quelles sont vos relations avec les brinns ? Est-il vrai qu’ils soient cannibales ? »
Le Vask réfléchit un moment.
« Nos relations ? Bonnes. À nous les montagnes et la mer, à eux la plaine et la forêt. L’Ancêtre fit alliance avec eux, au tout premier début. Depuis, cette alliance a tenu. J’ai chassé plusieurs fois avec eux. Certains des animaux qu’ils tuent peuvent être mangés par nous. Pas tous. Je les crois fidèles à leurs amitiés. Quant à être cannibales, c’est possible. Ils n’ont jamais mangé de Vask, en tout cas. Ils ont aussi des sacrifices humains, dit-on, mais je n’en ai jamais vu de traces.
— Ils vivent en village ?
— Parfois. Plus souvent dans des grottes, à côté des Trois Lacs. Leurs armes sont de pierre. »
D’autres trompes retentirent, les délégations arrivaient maintenant en nombre. Sur la place, une foule dense les attendait. De grandes tables avaient été sorties pour le repas en commun qui devait précéder le Conseil, sous l’ombrage d’un énorme arbre touffu.
« J’ai encore une chose à vous demander, Otso. Je vous ai expliqué comment je puis me faire comprendre de vous. Mais, pour parler à plusieurs personnes à la fois, il me serait plus commode de connaître votre langue. J’ai dans mon avion un appareil qui me permettra de l’apprendre en trente secondes, si vous coopérez. Il mettra nos cerveaux en communication, et si vous pensez à ce moment-là à la manière dont on dit ceci ou cela en vask, j’aurai accès à vos centres de langage, et saurai le vask immédiatement. Acceptez-vous ?
— Et moi, saurai-je votre langue ?
— Si vous le voulez, mais à quoi cela vous servira-t-il pour le moment ?
— Bon. J’accepte. »
Le repas finissait. Akki avait été surpris de sa frugalité : viande rôtie, eau claire. De toute évidence, les Vasks ne voulaient pas aborder un Conseil avec l’estomac lourd et la tête fumeuse. Les femmes avaient desservi les tables, et celles-ci étaient maintenant disposées en arc de cercle, avec leurs lourds bancs. Petit à petit, un vide se fit autour de l’ombre de l’arbre, jeunes filles, femmes et enfants se retirant. Akki se leva, ainsi que Hassil, et ils firent mine de partir. Un vieux Vask colossal les en empêcha.
« Toi, étranger aux cheveux dorés, tu as sauvé la vie d’un Vask au prix de ton sang. Toi qui ressembles à nos amis brinns, tu es son compagnon. De par notre loi, vous pouvez assister au Conseil. D’ailleurs, si j’en crois Irigaray, vous avez beaucoup à dire. »
Akki se rassit et se trouva à côté d’Otso.
« Pourquoi tenez-vous votre assemblée dehors ? N’avez-vous pas de salle assez grande ?
— Dans la maison, les femmes commandent. Dehors, ce sont les hommes, et c’est bien ainsi. L’Ancêtre l’a voulu, dans sa sagesse.
— Et s’il fait mauvais temps ?
— Alors il y a la grotte, là-haut. Mais tais-toi, le Mainteneur va parler. »
Irigaray occupait, en tant que Mainteneur du village invitant, la place d’honneur au milieu du fer à cheval. Il se leva :
« Frères, au commencement, sur la vieille planète était le peuple vask, fier et libre. Mais, tandis qu’il restait fidèle à la sagesse des Anciens, les autres peuples autour de lui firent alliance avec les démons, et, leur empruntant leur magie, construisirent des machines qui supprimaient le travail des hommes. Mais en même temps ces machines supprimaient leur dignité. Les hommes devenaient leurs esclaves, passant leurs jours à les nourrir, ou à la conduire, au lieu de vivre simplement, au grand air, comme doivent vivre les hommes. L’attrait de cette vie sans efforts se fit sentir jusque chez les Vasks, et, petit à petit, ils désertèrent eux aussi la Vérité.
« Alors, un homme se dressa parmi eux. Sur la vieille planète, la bataille était perdue. Il emprunta à son tour la sorcellerie des démons, construisit une grande machine capable de franchir les abîmes du ciel, et, choisissant avec soin ses compagnons et ses compagnes, il partit avec eux à la recherche d’une terre libre !
« Ils errèrent longtemps sans trouver, atterrissant çà et là, prenant parfois sur une autre planète des animaux beaux ou utiles (« voilà l’origine du cerf sauteur », pensa Akki), avant d’arriver à un monde qui leur convienne, celui-là même que nous habitons. Ils débarquèrent sur le plateau d’Ordoki, et construisirent le premier village. Alors l’Ancêtre lança la machine toute seule vers l’infini, afin que nul ne puisse revenir à l’ancienne Terre, et que nul ne sache où étaient allés les Vasks !
« Ils vécurent ainsi pendant une génération, libres, luttant contre une nature hostile. Sur le soir de sa vie, l’Ancêtre découvrit les brinns, et fis alliance avec eux, une alliance qui n’a jamais été rompue.
« Un jour, dans notre ciel, parurent cinq machines. Mal dirigées, elles s’abattirent sur la côte est, et l’une d’entre elles, tombée dans les marais Salés, explosa. Mais tous les étrangers ne furent pas tués, et ils commencèrent à construire des villages.
« Nous aurions pu les écraser quand ils étaient encore faibles, mais la Loi dit : « Tu ne verseras pas de sang humain ! » Nous ne les tuâmes donc pas, au contraire, nous leur offrîmes de nous rejoindre, de prendre avec nous le chemin de Vie. Ils refusèrent, nous proposèrent de nous unir à eux pour construire leurs cités. Bien entendu, nous n’acceptâmes pas, mais nous les laissâmes en paix, en leur demandant seulement de respecter nos hautes terres.
« Mais bientôt nous vîmes l’abomination de leurs buts. Les tribus brinns qui vivaient sur le domaine où ils étaient tombés furent détruites ou réduites en esclavage. Certains de leurs citoyens devinrent aussi des serfs, et leurs chefs, au lieu d’être nommés et acceptés par le peuple furent vite des tyrans héréditaires.