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Chapitre IV

La bataille des défilés

À dix kilomètres environ en aval du village, la vallée se rétrécissait en défilé, entre deux falaises basses creusées de cavernes. Au milieu des deux parois rocheuses se dressaient trois murs de blocs, hauts de deux mètres, avec d’étroites portes en chicane. Plus bas s’étendait une pente herbeuse, jusqu’à des bosquets d’arbres. Otso avait disposé ses hommes, la majorité derrière les murs, les autres sur les falaises.

« Aucune possibilité de mouvement tournant ? demanda Akki.

— Aucune. Il faudrait escalader des pentes que même les Vasks redoutent, et en haut de celles-ci il y a des guetteurs, et des blocs prêts à être poussés sur l’assaillant.

— Fais creuser des trous profonds et étroits dans la terre, là, à trente ou quarante pas en arrière du dernier mur.

— Pour quoi faire ?

— Pour abriter tes hommes, si l’ennemi emploie ses armes techniques. Dans ces trous, ils seront protégés contre les balles, les éclats d’obus et, dans une moindre mesure, contre les fulgurateurs. D’autre part, ils pourront cueillir l’ennemi, s’il tente de franchir les murs.

— Merci, Akki. Je vais le faire immédiatement.

— Combien as-tu d’hommes ?

— Ici, ceux de la vallée. Quatre cent quarante environ.

— Et combien en tout ?

— D’hommes en état de porter les armes ? Environ quinze mille.

— Vous êtes si peu que cela, vous, les Vasks ? Pourtant, vous avez colonisé ce monde trente ans avant les Bérandiens !

— Nous étions moins nombreux au départ, et surtout il y a eu la grande épidémie, qui a dépeuplé les vallées il y a soixante-dix ans !

— Les Bérandiens peuvent facilement mobiliser cent mille hommes, mais je ne crois pas qu’il y en ait plus de trente mille entraînés à la guerre. Cela fait deux contre un, cependant. Pour le premier assaut ! Car si la guerre dure… As-tu fait prévenir les brinns ?

— Oui, mais ils ne sortiront pas de leurs forêts et de leurs basses terres.

— Tant pis. L’ennemi nous battra donc en ordre dispersé. C’est commode… pour lui ! Où vas-tu placer ton poste de commandement ? Au village ? Et quels sont tes moyens de communications avec les autres groupes ?

— Les trompes. Les coureurs. Mais qu’entends-tu par poste de commandement ?

— Tu as bien été élu chef suprême ? »

Le Vask éclata de rire.

« Mais ça ne signifie pas que je commande à tout le monde ! Je commande les hommes de ma vallée. Simplement, si nous sommes victorieux, ou vaincus, c’est moi qui discuterai avec l’ennemi. Mais commander les hommes d’une autre vallée ! »

Akki haussa les épaules.

« Si j’avais vu cela ! Ce qui m’étonne, c’est que les Bérandiens ne vous aient pas écrasés depuis longtemps. Et je suppose que pour vos navires, c’est la même chose ?

— Bien sûr !

— Ce seront donc de petits combats chacun pour soi. Eh bien, je vous prédis, pour cette fois, un beau désastre ! Un détail : les Bérandiens connaissent-ils bien vos vallées ?

— Quelques-uns y sont venus, comme prisonniers, lors des autres guerres. Mais pas pour longtemps.

— Pas de marchands ?

— Non. Nous n’avons que faire des marchandises bérandiennes. Pourquoi ?

— Donc pas ou peu d’espions. C’est bon. Sans cartes précises, l’ennemi aura du mal à régler son artillerie, et ne pourra tirer qu’à vue, ou presque.

— Où doit-on disposer tes armes, Akki ?

— Je ne sais encore. Tout dépendra de l’emplacement de celles de l’ennemi. Une autre chose : quand je crierai : « Couchez-vous », tout le monde à terre ou dans un trou, sans discuter. Compris ? Fais circuler le mot d’ordre. Cela diminuera l’efficacité des armes ennemies.

— Des nôtres aussi. On tire mal à l’arc ou à la fronde, couché !

— Tes hommes apprendront vite quand on peut être debout, et quand il vaut mieux être couché. Envoie en avant des éclaireurs, qui devront se replier, sans être vus, et nous rapporter les mouvements de l’ennemi. »

Une heure plus tard, comme le soleil déclinait, Iker, parti en reconnaissance, revint.

« Ils arrivent, ils ont passé l’Urchilo.

— Quelle distance ?

— Cinq mille pas.

— Préparez-vous. Otso, aide-moi à disposer le lance-grenades sur cette plate-forme. Maintenant, tout le monde caché. Comme s’il n’y avait personne ici. »

Otso s’étendit à côté de lui.

« Tu espères les tromper ?

— Non, j’espère protéger nos hommes quand. »

Un sifflement aigu vint du bas de la vallée, mais, au lieu de se diriger vers eux, passa haut sur leurs têtes et continua vers l’amont.

« Les salauds ! Gronda Akki. Ils bombardent le village ou tout au moins ils essaient. »

Deux explosions sourdes se répercutèrent en échos. Derrière les murs, quelques hommes se levèrent.

« Couchés, nom d’un ancêtre ! »

Deux fois encore les projectiles les survolèrent pour aller exploser plus loin.

« Otso, envoie un homme là-haut voir s’il y a du dégât. En tirant ainsi à l’aveuglette, ils peuvent tomber juste aussi bien que passer à des kilomètres. Attention, c’est pour nous ! »

Les deux obus explosèrent trop haut dans le défilé, projetant vers le ciel des gerbes de terre et de rocaille. Akki avait tiré de sa poche une jumelle puissante, bien que minuscule, et scrutait le paysage en aval.

— Je les vois. Ils arrivent en longeant les falaises.

— Quand vas-tu user de tes armes ?

— Au dernier moment possible. L’effet de surprise sera plus grand, et je n’ai pas une réserve inépuisable de munitions. Penses-tu pouvoir repousser le premier assaut ?

— Oui, sans doute.

— Alors, je n’interviendrai qu’au second, à moins que les choses ne tournent trop mal. Attention ! »

Cette fois le tir fut plus précis, et une partie du premier mur monta vers le ciel pour retomber en pluie. Abrités dans les trous, les Vasks n’eurent qu’un blessé, légèrement atteint.

« Heureusement que tu as empêché de garnir les fortifications ! Mais ces armes sont terribles !

— Peu de chose ! Oh ! Combien je voudrais être sûr qu’ils n’ont pas de fulgurateurs ! Tiens, qu’est-ce que c’est ? »

Des explosions assourdies faisaient trembler la montagne.

« Ils attaquent aussi les autres vallées. Ton coureur est-il parti ? Pas encore ? Dis-lui de les prévenir de se tenir prêts à évacuer. Oui, à évacuer ! Qu’ils envoient quelques gamins garder les passages vers les autres villages. Au premier signe de l’ennemi, qu’ils se replient vers la forêt des brinns, et qu’ils nous préviennent.

— Tu crois vraiment nécessaire…

— Dans quelques jours, Otso, nous serons tous dans la forêt, ou prisonniers, ou morts ! Nétal est sans doute un boucher, mais ce n’est pas un crétin, et il a compris que pour vaincre, il faut une campagne de grande envergure. Aussi la fait-il. Eh là ! »

Les projectiles étaient tombés en plein sur les lignes de défense, et cette fois il y eut deux morts et des blessés. L’ennemi était maintenant visible, avançant prudemment. Il ne fut plus qu’à cinq cents mètres. Alors trois hommes se couchèrent à terre, et montèrent un tube de métal brillant sur un trépied.

« Une mitrailleuse ? »

Akki prit ses jumelles.

« Nous n’avons pas cette chance. Non, c’est un fulgurateur lourd d’un modèle ancien. Quelle est la portée extrême de vos arcs ?