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— Quatre cents pas.

— Les leurs n’atteignent que trois cents ou trois cent cinquante, si je me souviens bien. Il va falloir que je fasse quelque chose. Otso, mon grand fulgurateur, vite ! »

Là-bas, l’homme visait maintenant le long du fut de son arme. Un mince rai bleu en jaillit, qui tâtonna, se fixa sur la muraille. Les pierres éclatèrent violemment, le mur s’effondra en partie. Puis le rayon balaya le sommet des falaises, et un Vask imprudent qui avait levé la tête fit un saut et retomba mort. Akki montait son engin.

« Je suis bon tireur, heureusement, et mon arme est bien meilleure que la leur. Je vais essayer de la toucher et de faire détoner le magasin. Une très brève décharge peut passer inaperçue, et ils penseront que leur arme a explosé, ce qui arrivait parfois, avec ces modèles primitifs. »

Il visa longuement, pressa le contact une fraction de seconde. Là-bas, dans la vallée, il y eut un aveuglant éclair.

« J’ai réussi. Cela doit nous donner quelque répit. »

Comme pour le démentir, trois obus tombèrent en plein sur les fortifications, puis, accompagnés du roulement d’armes automatiques, les Bérandiens foncèrent. Akki posa sa main sur le dos d’Otso.

« Attends qu’ils soient à cinquante mètres ! »

L’ennemi approchait, à l’abri d’un barrage de flèches décochées sans arrêt par les deuxième et troisième lignes d’assaut. Quand ils furent à bonne portée, Otso donna le signal. Les Vasks sortirent de leurs trous, et commencèrent à tirer. Les traits croisaient les traits, les pierres de fronde ronflaient, rebondissant avec fracas sur les boucliers, ou avec un terrible bruit mat sur les chairs. De part et d’autre, des hommes tombèrent. La vague bérandienne atteignit la base du premier mur, et, écrasée de blocs, reflua. Sans être venu au corps à corps, l’ennemi recula jusqu’au-delà de la prairie.

« Première attaque repoussée. Attendons la suite, dit Akki. Je suppose qu’ils ne vont pas tarder à recommencer. »

À la jumelle, il examina la vallée.

« Cela grouille d’hommes, là-bas, derrière les arbres. Ils sont au moins quatre à cinq mille. »

Une exclamation étouffée le fit se retourner. Otso regardait monter, derrière les monts, un lourd nuage de fumée, gris et rose sous les rayons obliques du soleil.

« Ils brûlent Sare !

— Ne risquons-nous pas d’être tournés ?

— Non. Le seul passage qui mène à Sare depuis mon village traverse un très étroit défilé. Les Sarois se sont certainement repliés par-là, et le défendront.

— J’ai bien peur que ce ne soit qu’une question de temps avant que nous soyons obligés de nous replier nous-mêmes. »

Le grand Vask haussa les épaules.

« Eh ! Je le sais bien !

— Ne crois-tu pas qu’il vaudrait mieux évacuer maintenant, en ordre, que plus tard, dans la panique ?

— Oui. Aramburu ! »

Un jeune homme accourut.

« File au village, et commande l’évacuation. Que les femmes et les enfants partent immédiatement vers la forêt des brinns, le long du plateau et de la vallée d’Erreka. Qu’on libère les bêtes et qu’on les chasse vers la montagne. Peut-être en retrouverons-nous quelques-unes plus tard. »

Pâle, Aramburu fit face à son chef.

« Alors, nous fuyons ?

— Regarde ! Sare brûle déjà. Nous sommes quatre cents contre plus de cinq mille ! Que pouvons-nous faire d’autre ? »

Le messager partit, de sa souple allure de montagnard.

« Les voici qui reviennent, Otso. »

L’ennemi attaquait en force. Il parvint au premier mur, le sauta, fut pris entre lui et le second. Encore une fois, les Vasks brisèrent l’attaque. Mais, les Bérandiens à peine partis, un déluge d’obus s’abattit. Les artilleurs ennemis avaient trouvé la bonne portée, et, les unes après les autres, les fortifications ne furent plus qu’un amas de pierres croulantes. Au son des trompettes déferla la troisième vague d’assaut.

« À moi de jouer », dit calmement Akki.

Il actionna le fulgurateur, faucha, de droite à gauche, carbonisant l’ennemi ligne après ligne. Les attaquants se plaquèrent sur le sol, se dissimulant comme ils pouvaient dans les moindres replis de terrain. Les Vasks hurlaient de joie.

Méthodiquement, Akki pilonna les abris naturels à coups de grenades. Lancées par le mortier, elles montaient haut, petites boules noirs sur le ciel pâle du soir. Une brève explosion sèche, une gerbe de terre, de pierres et de chairs lacérées marquait chaque fois la fin d’un ou de plusieurs ennemis.

Mais la riposte vint, rapide et terrible. Les obus se mirent à pleuvoir sur le promontoire rocheux, et Akki, Otso et leurs compagnons eurent tout juste le temps de sauter à l’abri dans une crevasse. Une violente explosion marqua la fin du petit stock de grenades. Quand la canonnade se tut, Akki jeta un coup d’œil.

Seul le fulgurateur semblait intact. Il l’attira à lui, essaya, à toute portée, de balayer l’orée du bois, là où les langues de feu qu’ils jetaient dans le crépuscule avaient trahi la présence des canons. À si grande distance, le rayon du fulgurateur perdait presque toute sa puissance, et c’est sans grand espoir qu’il visa. Deux terribles détonations, un jet de fumée et de flamme sur lequel semblaient se balancer en équilibre des arbres arrachés le surprirent agréablement.

« Voici la fin de l’artillerie bérandienne dans notre secteur, Otso ! Il ne leur reste plus qu’une ou deux mitrailleuses, et nous avons encore mon fulgurateur lourd, avec environ dix minutes de feu encore, en plus de mes armes légères. La partie n’est pas encore perdue.

— Que devons-nous faire, à ton avis ?

— Les retarder le plus longtemps possible, pour donner aux villages le temps de se replier vers le pays brinn. J’ai d’ailleurs l’impression que notre accueil les a quelque peu refroidis, et qu’il se passera du temps avant le prochain assaut, ajouta-t-il, regardant les cadavres épars en avant des retranchements. »

Le communicateur sonna à sa ceinture.

« Ello, Hassil. Ici, Akki. Qu’y a-t-il ?

— Rien de neuf. La forêt est toujours la forêt. L’avion est moins endommagé que je ne l’avais cru d’abord, et je vais essayer de le réparer suffisamment pour pouvoir vous rejoindre ; oh ! Dans dix ou quinze jours, si j’y réussis.

— Le grand communicateur ?

— Complètement détruit. Le projectile bérandien l’a traversé. Et de ton côté ?

— Mauvais. Très mauvais. Ils attaquent en force, avec des canons. J’en ai détruit deux, et un grand fulgurateur, mais j’ai l’impression que dans les autres vallées les choses tournent très mal. J’ai demandé l’évacuation des villages. Nous allons essayer de rejoindre les brinns. Là, si les conditions sont bien ce que je crois qu’elles sont, nous pourrons tenir jusqu’à ce que l’Ulna revienne. Je me demande ce que deviennent Anne, Boucherand et leur suite ?

— Je n’en ai vu aucune trace.

— Tiens-moi au courant du progrès de tes réparations. À bientôt. »

Le crépuscule tombait maintenant très vite, et le fond de la vallée était noyé d’ombre, sauf à l’endroit où les bois, incendiés par l’explosion des canons, brûlaient encore.

« Cette nuit même, Otso, nous allons nous replier sans bruit, laissant quelques hommes en arrière-garde, qui nous rejoindront dès l’aube, à un point de rendez-vous que tu vas leur fixer. Il est peu probable que l’ennemi attaque dans l’obscurité une position qu’il ignore. Il faut que demain, au lever du soleil, le village soit vide, et que les non-combattants soient déjà loin. Nous les suivrons en dressant des embuscades pour retarder l’avance bérandienne.