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« La piste est plus à gauche. Elle est assez difficile, et je passerai le premier pour te montrer les prises. »

La descente fut délicate, en effet, et plus d’une fois ils durent utiliser la longue corde de cuir qu’Otso portait enroulée à la ceinture. Comme la nuit tombait, ils campèrent sur un replat, à mi-hauteur. Le temps était frais, le ciel couvert de rares étoiles brillaient faiblement dans les trouées de nuages. Ils accommodèrent leur gîte tant bien que mal. Un faible surplomb les protégea de la fine bruine qui se mit à tomber, mais, même pour des hommes entraînés à la dure, la nuit fut pénible.

Dès que la lumière fut suffisante, ils continuèrent leur descente, et, un peu avant midi, arrivèrent au pied de la falaise. Au-delà de la pente d’éboulis, la forêt commençait, les premiers arbres ensevelis sous les rocailles jusqu’à mi-tronc.

L’orée était un enchevêtrement inextricable de lianes et d’arbustes, ils durent utiliser la hache et le sabre pour se frayer un passage et, au bout de quelques heures d’effort, parvenir à une clairière. Un animal de la taille d’une biche jaillit d’un fourré, et s’écroula, deux flèches au travers du corps.

« Une cerf sauteur ! Une jeune femelle. Excellent, dit joyeusement le Vask. Tellement excellent que, dans les forêts de Bérandie, ils sont réservés à la table des nobles. Tu vas voir, Akki. On n’en trouve pas dans nos montagnes. »

Pendant que son compagnon dépouillait l’animal, le coordinateur coupait des branches épineuses, les disposait en forme d’enclos autour de leur campement.

« Très bien, Akki. On voit que tu as vraiment connu la vie sauvage ! Il y a en effet des bêtes dangereuses dans cette forêt ! »

Le rôti fut délicieux. Ils s’étendirent ensuite sous un petit toit de larges feuilles plates, sur lequel la pluie se mit bientôt à crépiter.

« Il pleut presque chaque nuit, dans les terres basses », remarqua le Vask.

Akki ne répondit pas. Il avait sorti son communicateur et le réglait.

« Ello, Hassil ! Ello, Hassil !

— Ello, Akki. Je t’entends parfaitement. Où es-tu ? Quelle est la situation ? »

Rapidement, il le mit au courant des derniers événements.

« Et toi ?

— Je rebobine un groupe paragravitogène, si cela te dit quelque chose. »

Akki siffla : c’était considéré comme un travail délicat… quand il était effectué dans un atelier bien équipé.

« Et tu espères réussir ?

— Assez pour pouvoir m’envoler, et rejoindre, avec un peu de chance, l’endroit quelconque où tu te trouveras, si ce n’est pas trop loin. Ainsi, tu es déjà dans la forêt ? Méfie-toi, il y a ici quelques animaux assez remarquables, dont deux ou trois ont essayé de goûter du hiss !

— J’ai encore un fulgurateur. À bientôt, Hassil. Terminé. »

Ils ne prirent pas de tours de garde, la barrière d’épines empêchant toute attaque brusquée, mais dormirent cependant avec leurs armes à leurs côtés. Au matin, comme Otso rôtissait sur un feu sans fumée un des cuissots du cerf sauteur, il se releva brusquement, et tendit l’oreille.

« As-tu entendu ? »

Akki écouta à son tour. Loin, assourdie par la forêt, retentit une longue série de détonations.

« Les Bérandiens ! Ils attaquent ton peuple !

— Non, cela ne vient pas de ce côté. Peut-être Hassil ?

— Il est encore bien trop loin ! Nous n’entendrions pas !

— Alors ils ont rencontré un parti de brinns, ou…

— Ou Boucherand, ses hommes et Anne, acheva le coordinateur. Allons voir ! À quelle distance crois-tu qu’ils soient ?

— Difficile à dire, dans ces bois. Une heure, deux heures de marche ? Qui sait ? Soyons prudents, maintenant plus que jamais. »

Ils partirent dans la direction des coups de feu. La forêt les enveloppait, complice et ennemie à la fois. Ils se faufilèrent entre les troncs couverts d’épiphytes, Akki prenant le temps d’admirer de somptueuses fleurs naissant au creux des branches, et se promettant de revenir en chercher des échantillons pour le parc botanique du palais des Mondes, sur Réssan. Le Vask marchait en avant, arc prêt, flèche déjà encochée. Le sous-bois s’éclaircit, le sol monta, ils approchaient d’une éminence ensevelie sous la végétation. Otso s’arrêta net : un bruit saccadé brisait le silence relatif.

« Un chien, souffla-t-il. Il nous faut déguiser notre odeur. »

Il tira de son sac une petite boîte pleine d’un onguent vert pâle, très odorant, et ils s’en enduisirent les mains et le visage. Quelques minutes plus tard, dans un craquement de broussailles, un chien parut, hésitant, le museau prenant le vent. Une flèche lui traversa la gorge, et il tomba, dans un jappement que le sang étouffa.

« Viens ! »

Ils glissèrent entre les arbres comme des ombres, profitant du moindre abri, et butèrent presque sur un cadavre, maigre, en guenilles. À côté gisait un arc brisé.

« Un des hommes de Boucherand ! Tué par une balle en pleine tête ! »

Ils poursuivirent leur avance, le Vask tenant son arc à demi tendu, Akki serrant dans sa main la crosse du fulgurateur. Un bruit de voix se mêla aux murmures confus du sous-bois.

Les arbres s’espaçaient, et, au milieu d’une clairière, une douzaine d’hommes formaient un cercle autour d’un autre, étendue sur le sol, ligoté. C’était Boucherand. Akki chercha Anne des yeux, et l’aperçut, debout, attachée à un tronc, les bras au-dessus de la tête. À son côté, Clotil, également attachée, semblait épuisée, infiniment lasse et désespérée. La duchesse, au contraire, tenait haut la tête, la bouche méprisante.

Le plus grand des Bérandiens donna un violent coup de pied dans les côtes du captif.

« Eh bien, Boucherand ! Nous avons fini par t’avoir ! Le Duc va être content ! Alors, fier capitaine, on reste muet ? »

D’un sursaut, le captif s’assit, leva la face et cracha à la figure de celui qui venait de parler. Une volée de coups le fit retomber à terre.

« Alors, on joue au serpent cracheur ? Tu cracheras d’une autre manière, quand la justice du Duc s’exercera ! »

Otso attira doucement son compagnon en arrière.

« Combien peux-tu en tuer avec ton arme ?

— Tous, mais il faut que je change de place. D’ici, le rayon atteindrait aussi les jeunes filles.

— Bon, vas-y. Quand ma première flèche frappera, tire. Je vais compter jusqu’à deux cents pour te laisser le temps nécessaire. Si d’ici là ils bougent, nous ferons pour le mieux. »

Akki recula d’une dizaine de mètres, puis commença à contourner la clairière. Il était presque en position, quand un des hommes se détacha du groupe et appela :

« Ir-Hoï ! Ir-Hoï ! Où donc est passé ce sacré chien ?

— Il ne se perdra pas, lança le chef. Allons, ramassez-moi celui-là, et détachez ces dames ! Nous partons ! »

« Ir-Hoï ! »

Tout en appelant, le Bérandien s’approchait de la cachette d’Otso. Il eut un geste de surprise, posa sa main sur son épée. Un coup de sabre l’étendit à terre.

Akki bondit, traversant les branches pendantes. Il entendit une exclamation étouffée, se retourna. Anne l’avait vu. La seconde ainsi perdue faillit être fatale. Déjà les ennemis se dispersaient. Il faucha, et le rayon du fulgurateur carbonisa les torses et fit éclater les troncs des arbres. Trois ennemis tués, quatre, six, huit. Un autre tomba sous la flèche du Vask. Le rayon bleu cessa de jaillir.

Akki jura. Les fulgurateurs ne se déréglaient pour ainsi dire jamais, et il fallait que cela arrivât dans de telles circonstances ! Il le passa rageusement à la ceinture, leva les bras pour prendre son arc. Quelque chose le heurta avec violence, et il tomba dans les broussailles, une douleur sourde au côté.