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Un peu rassuré, Akki courut vers le village. Au moment où il y arriva, les brinns posaient la civière devant la hutte, et Otso se mit immédiatement au travail. Aidé du coordinateur, qui dessina rapidement un schéma de l’ossature hiss, peu différente de l’humaine, il réduisit les fractures, et bientôt Hassil reposa paisiblement sur un lit de fourrures.

« J’ai mis dans le paquet tout ce que j’ai pu atteindre, Akki. Il y a un fulgurateur lourd…

— Il est hors d’usage, mais les trois légers et les batteries arrivent à point. Le mien est presque déchargé.

— L’Ulna ne reviendra guère avant un mois. Et je suis là, cloué au lit, sans pouvoir t’aider ! Dis-moi, quelle est la situation ?

Akki la lui exposa.

« Tu as raison, ce n’est pas brillant ! Et ces brinns sont, pour le moins, curieux. Enfin, d’ici quelques jours, on pourra me porter au-dehors, et je verrai de mes yeux. Dis-moi, Akki, y a-t-il des orons aux environs des Trois Lacs ?

— Oui, je crois. Pourquoi ?

— Peux-tu en tuer un ou deux et faire préparer les os ? J’ai une idée.

— À quel sujet ?

— De tous les animaux de cette planète, ce sont les plus proches des brinns, n’est-ce pas ?

— Il y a sur le continent équatorial une sorte de gros oron qui marche sur le sol, dit Otso.

— Faute de mieux, je me contenterai des petits arboricoles d’ici. »

Anne attendait Akki sous l’auvent de l’abri, entourée d’une dizaine de jeunes filles brinns, jacassantes.

« Pouvez-vous me traduire ce qu’elles disent ? »

Le coordinateur sourit.

« Elles veulent savoir pourquoi, si vous êtes une jeune fille, vous avez le torse couvert, et si vous êtes mariée, pourquoi vous portez les cheveux dénoués.

— Dites-leur que nos coutumes sont différentes. »

Il y eut un rapide conciliabule parmi les brinns. Cette fois, Akki rit franchement.

— Qu’y a-t-il ?

— Je ne sais si je dois vous le traduire.

— Faites !

— Eh bien, elles disent que votre peuple doit être bien barbare pour ignorer les vrais usages ! »

Anne rit à son tour.

« Allons, je n’ai que ce que je mérite ! Depuis que je suis ici, depuis que ce vieux chef brinn, qui n’ignorait rien de ce qui se passait en Bérandie, m’a accueillie avec tant de noblesse – savez-vous, il me fait penser à parrain ! –, je commence à comprendre votre point de vue. Et, ce matin, Eée, la fille du chef, m’a donné ceci. »

Elle indiqua à son bras un bracelet d’ivoire finement ciselé de dessins géométriques.

« Et pourtant ils savent que je préparais la guerre contre eux, et leur réduction en esclavage, avant que vous veniez me montrer ma folie. Sont-ils donc meilleurs que nous ?

— N’allez pas d’un extrême à l’autre, Anne, vous risqueriez d’être déçue ! Il n’y a pas plus de bon sauvage, en soi, que de bon civilisé. Quand nous aurons vécu plus longtemps avec eux, sans doute découvrirons-nous leurs vices !

— Peut-être. En attendant, ils préparent tout pour recevoir les Vasks. Voyez ! »

À quelque distance du grand abri sous roche, sur la plaine, les brinns construisaient de grandes huttes longues de joncs tressés reposant sur une charpente de branches. Sur le lac, une longue file de pirogues remontait du lac inférieur.

« Elles portent des provisions, à ce que m’a dit Otso.

— Je dois aller voir le chef à ce sujet. Venez-vous ? »

Le vieux brinn les accueillit avec courtoisie, les traitant en égaux, donnant même à Anne un des sièges de bois sculpté réservés aux conseillers.

« Comment vas-tu faire pour nourrir les Vasks, demanda le coordinateur.

— Ne resteront ici que les hommes en état de combattre. Les femmes et les enfants partiront vers la côte, avec les nôtres.

— Où penses-tu essayer d’arrêter les Bérandiens ?

— Au grand défilé, à environ un jour de marche en amont du lac supérieur. Il y a là un passage resserré, que l’on doit franchir pour pénétrer dans notre terre.

— Et la rivière ?

— Comme tu l’as vu, elle traverse une gorge où les falaises surplombent le courant. Quelques hommes avec de gros blocs arrêteront tout radeau qui tenterait de passer.

— Sais-tu où est l’ennemi ? »

Le chef saisit, derrière son siège, un ballot de peau et l’ouvrit. Anne eut un cri d’horreur. Une tête coupée, sanglante, avait roulé à ses pieds, la tête d’un Bérandien.

« Mes éclaireurs ont surpris hier une petite troupe. Voici la tête du chef. L’ennemi doit marcher encore six jours avant d’atteindre le défilé.

— Et comment as-tu eu cette tête en un jour ?

— La rivière est rapide, l’homme marche lentement dans les bois. »

Le silence tomba. Anne le rompit enfin.

« Je dois te remercier, chef, de l’accueil fait à une ancienne ennemie.

— L’ennemi désarmé n’est plus un ennemi. Et, de toute façon, les tiens devront quitter ce monde !

— Le destin n’a pas encore parlé, chef.

— Celui-là qui vient de loin a dit : une seule race par monde.

— Il n’a pas dit quelle race restera !

— Nous étions là de tout temps quand tes ancêtres ont débarqué de leurs pirogues célestes.

— Au point où nous avons atterri, il n’y avait pas de brinns. Quel droit y avez-vous de plus que nous ?

— Celui du plus ancien sur un monde qui est nôtre !

— Il y avait probablement les orons avant vous, chef. Ce monde appartient-il aux orons ? Je reconnais que mes ancêtres se sont mal conduits envers les vôtres. Cela ne recommencera pas ! Mais nous aussi avons des droits sur cette terre. N’est-ce pas, Akki ? »

Elle se tourna vers lui, presque implorante.

« Je vous ai dit déjà que la décision n’est pas encore prise. Mais il y a peu de chances qu’elle vous soit favorable, si les brinns peuvent, et je crois qu’ils le feront aisément, prouver qu’ils étaient sur Nérat avant vous, puisqu’ils y ont évolué. Quelques fouilles dans les grottes, quelques datations par le radiocarbone…

— Et les Vasks, Akki ?

— Ils devront partir, eux aussi. Pour la même planète que vous, si vous vous entendez, sinon pour une autre.

— Mais pourquoi ? Pourquoi ? Je suis prête à reconnaître que nous nous sommes trompés sur les brinns, à leur donner droit de cité en Bérandie, à…

— On n’efface pas quelques siècles d’histoire si facilement, Anne. Je crois en effet que vous avez reconnu votre erreur. Je crois que Boucherand ou votre parrain, ou même Clotil, sont prêts à accepter les brinns comme des égaux. Mais la grande masse de votre peuple ne le reconnaîtra jamais, ou alors après tant de sang versé ! C’est mieux ainsi, croyez-moi. Ah ! Si des mariages étaient possibles entre vos deux races, la question se poserait tout autrement. Mais ce n’est pas le cas.

— Et si… si, après tout, les brinns n’étaient pas plus indigènes que nous ? Si eux aussi venaient d’ailleurs ? Vous m’avez dit que leur civilisation présente des traits anachroniques…

— Dans ce cas, peut-être, les choses pourraient-elles changer. Mais n’y croyez pas. D’où voulez-vous qu’ils viennent ? »

Le vieux brinn s’était levé.