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« Eh bien, Anne, avez-vous bien dormi ?

— Oui. Tout cela me semble un rêve, comme vous me l’aviez promis. Tout, sauf ceci… »

Elle fit étinceler la bague dans les rayons du soleil.

— Ce n’est sans doute aussi qu’un rêve », dit-il mélancoliquement.

Un ordre bref jaillit des lèvres du vieux brinn. La pirogue vira, quitta le lac pour s’engager dans un bras pénétrant profondément dans les terres. Puis ce fut une étroite rivière aux eaux lentes qu’ils remontèrent pendant quelques heures. Nul ne parlait, on n’entendait que le halètement rythmé des brinns courbés sur leurs pagaies, le friselis de l’eau fendue par l’étrave, et, de temps en temps, le long cri désolé de l’oiseau keitenboura, juché sur quelque sommet d’arbre. La rivière s’encaissait maintenant entre de hautes falaises, et, deux ou trois fois, levant les yeux, Akki put apercevoir une fumée s’envolant en bouffées scandant un message, ou quelque tête minuscule, noire sur le fond bleu du ciel, qui les regardait passer : les postes brinns.

Ils arrivèrent à une cataracte et laissèrent la pirogue. Une pente les conduisit, à travers une broussaille enchevêtrée qu’il fallait fracasser à coups de sabre de bois dur, jusqu’à un grand éboulis qui montait à perte de vue au-dessus de la rivière, rejoignant une ligne de rochers abrupts. Puis ils redescendirent vers le cours d’eau, qui avait entaillé dans ses anciennes alluvions une gorge profonde. Tehel-Io-Ehan dévala par un sentier escarpé presque jusqu’au niveau des eaux rapides. Alors, montrant la base de la falaise qui s’élevait directement au-dessus de leurs têtes, falaise faite de grès et de conglomérats où galets roulés truffaient la roche, il cria :

« Vois ! »

Akki examine la coupe. Bien qu’il ne fût pas géologue spécialisé, il avait eu une formation scientifique très poussée. Là, devant lui, se trouvait un lit de fossiles d’une prodigieuse richesse. Les ossements, très minéralisés et à demi dégagés par l’érosion, ne lui étaient pas familiers. Mais il trouva facilement quelques grossiers outils de pierre taillée, et, un peu plus loin, un crâne fragmentaire. Une bonne partie manquait, mais le grès en avait conservé un excellent moulage externe. C’était un crâne humanoïde, sans contredit, encore très primitif, avec une lourde mandibule et un front bas. Le chef le montra orgueilleusement.

« Combien de temps a-t-il fallu à la rivière pour déposer tous ces sables au-dessus ? Vois ! Là, dans le sol même de notre monde, se trouve déjà la trace de nos os ! »

Chapitre III

La dernière bataille

Depuis quinze jours la bataille faisait rage aux défilés conduisant au pays brinn. Lentement, mais sûrement, les Bérandiens avaient repoussé l’armée, la horde plutôt, des brinns et des Vasks depuis la forêt, puis les larges savanes où avaient eu lieu les premières rencontres, jusqu’à ce resserrement où avait autrefois coulé une rivière. Là, la force de la position et le nombre supérieur des alliés avaient contrebalancé la puissance des armes et de l’organisation.

Akki avait établi son quartier général dans une caverne peu profonde, à l’abri des canons ennemis qui tonnaient parfois, labourant les lignes de leurs projectiles. Plusieurs fois, les Bérandiens avaient tenté de forcer le passage, laissant de nombreux cadavres entre les blocs éboulés. Les flèches brinns ne pardonnaient pas, et ne faisaient guère que des morts. Avec les Vasks et les brinns les plus disciplinés, Akki avait constitué une force tactique d’intervention, comptant six cents hommes, et qui n’avait pas encore été engagée, sauf une fois, en un raid infructueux contre l’artillerie. Les Bérandiens, instruits par leur désastre de Sare, la gardaient soigneusement.

Les pertes avaient été lourdes aussi, au début, chez les brinns, et bien des guerriers trop hardis reposaient entre les lignes, fauchés par les mitrailleuses ou les fulgurateurs, ou enterrés sous des tas de pierres, là où les obus les avaient atteints. Maintenant, les deux camps s’observaient, mais, si les journées étaient calmes, les nuits ne l’étaient guère, avec des deux côtés des coups de main destinés à tâter la force de l’ennemi.

Avec un sifflement prolongé, trois obus allèrent fouiller les bois, en arrière des défilés. Akki haussa les épaules.

« Trois obus perdus ! Malheureusement, ils ne semblent pas en manquer.

L’arsenal de Vertmont en fournira autant qu’il leur sera nécessaire, répondit Boucherand. Je me souviens d’avoir entendu dire à mon père que nous avions assez de munitions pour soutenir un siège de plusieurs années », intervint Anne.

Elle portait à la ceinture un des trois fulgurateurs légers, et, au dos un carquois plein de flèches. Il avait été impossible de la persuader de rester à l’arrière. Excellente tireuse à l’arc, elle avait été une aide précieuse l’unique fois où un assaut des Bérandiens avait pour un moment crevé les lignes, et était parvenu près du poste de commandement.

« Enfin, nous tenons, dit Otso. Mais crois-tu que nous pourrons résister jusqu’à ce que ton astronef revienne ?

Je l’espère. Où est Tehel ?

Occupé à haranguer ses démons, comme d’habitude.

Les brinns se battaient comme des enragés, mais étaient sujets à de soudaines crises de découragement, et il fallait toute l’éloquence du vieux chef pour les maintenir en place, en ce genre de combat en ligne très différent de leur habituelle tactique d’embuscade.

« Nous n’avons aucune nouvelle de Biarritz, dit le Vask. Cela m’inquiète. Le dernier message ne parlait d’aucune attaque ennemie, pourtant. »

Biarritz était le port de pirates que les Vasks possédaient sur la mer Sauvage, très loin des Sept Vallées.

« Le messager n’a encore qu’un jour de retard. Il a pu rencontrer des vents contraires. »

Une violente série d’explosions lui coupa la parole. Ils se ruèrent vers l’entrée de la grotte. Dans le défilé, au niveau des premières lignes s’élevaient des geysers de terre. Jumelles aux yeux, Akki put voir que brinns et Vasks appliquaient la tactique indiquée, glissant en rampant vers l’arrière. Du côté ennemi, au-delà de l’étendue herbeuse qui séparait les lignes, rien ne bougeait encore. Puis, de derrière un bosquet, sortit une masse indécise, peinte de couleurs bariolées.

« Par le Grand Mislik, comme dirait Hassil ! Ils ont réinventé les chars d’assaut ! Mais quel moteur utilisent-ils donc ? »

Le tank avançait maintenant doucement, à peine plus vite qu’un homme au pas. Sur lui se fracassèrent vainement les pointes de verre des brinns, et les flèches vasks se plantaient inutilement dans le bois dur de sa carapace.

« Cette fois, il nous faut intervenir, Otso. Rassemble les hommes. Anne, vous restez ici ! »

Ils descendirent la pente au pas de course. L’engin primitif était déjà profondément enfoncé dans le dispositif des alliés, crachant par une meurtrière le feu bleu d’un fulgurateur, tandis que dans les hautes herbes brinns et Vasks se repliaient en toute hâte.

« Attends mon signal pour tirer, Otso. Que tes hommes se tiennent prêts à boucher les trous dans nos défenses. »

La vague d’assaut bérandienne approchait maintenant, à peine gênée par les flèches partant des deux flancs. Akki rampa, le grand Vask à quelques mètres à sa droite. Ils parvinrent à bonne portée. « Maintenant, Otso ! » cria le coordinateur.

Le feu des deux fulgurateurs légers se concentra sur le char. Le bois se carbonisa, puis flamba. Akki baissa la tête comme un rayon bleu enflammait violemment le sommet des végétations, mais continua son tir. Il y eut une grande flamme dévorante, et du flanc de l’engin monta un hurlement déchirant, qui cessa vite. Deux silhouettes essayèrent de fuir dans la fumée, cueillies par une volée de traits.