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Le vieux sinzu se leva.

« Nous allons examiner, suivant la loi de la Ligue des Terres humaines, le cas de la planète Nérat, sur laquelle nous sommes actuellement. Cette planète se trouve supporter à la fois trois groupes humains différents, dont deux, quoique ennemis jusqu’à ce jour, appartiennent à la même humanité mère. Lecture va être faite du rapport des coordinateurs envoyés pour régler cette situation. »

Il portait un puissant casque amplificateur de pensée, et son discours fut compris par tous, bien que fait en sa langue maternelle.

Le rapport exposait, avec une objectivité parfaite, les conditions que les coordinateurs avaient trouvées lors de leur arrivée, et leurs conséquences : esclavage, guerres, haines raciales. Puis venait un résumé précis du déroulement des événements, et enfin la conclusion : il y avait là cause d’intervention de la Ligue.

Elkhan reprit la parole.

« Un des défenseurs conteste-t-il les faits ? »

Anne se leva.

« Je constate qu’il y a là présentation des faits, mais non des causes lointaines, et en toute justice… »

Elkhan l’interrompit.

« Cela viendra tout à l’heure. Les faits sont-ils exacts à votre avis ?

— Oui.

— La Loi s’applique donc. Vous avez maintenant la parole pour défendre votre peuple. »

Coiffée à son tour d’un casque amplificateur, elle commença sa plaidoirie. Elle raconta l’odyssée des astronefs perdus qui cherchaient une autre planète, un monde vierge et vide, l’accident qui les précipita sur Nérat et laissa les équipages démunis, sur une terre hostile.

« Car elle était hostile, cette terre ! Nos ancêtres eurent à lutter contre les fauves, les éléments, les maladies, et contre ceux-ci ! »

Elle montra les brinns du doigt.

« Oh ! Je ne veux pas dire que nous n’eûmes aucun tort ! Mais combien des nôtres tombèrent sous les flèches, alors qu’ils labouraient leurs champs pour essayer de survivre ! Qui peut dire aujourd’hui qui fut responsable du premier meurtre ? Qui peut dire qui fut le premier, Bérandien ou brinn, qui leva la main dans la colère rouge ?

« Quoi qu’il en soit, nous nous établîmes en Bérandie. Et, de cette contrée impitoyable, couverte de forêts et de marais, nous fîmes une province humaine, puisque vous semblez aimer ce mot, où il faisait bon vivre, et où, lentement, dans la mesure de nos moyens, nous avions recommencé l’ascension vers la vraie civilisation.

« Vous avez étudié nos archives avec Roan, vous, Akki Kler ! Vous pouvez dire s’il n’y eut pas de progrès entre les loups affamés que furent nos ancêtres et cette Bérandie que vous avez connue ! On nous accuse d’avoir réduit les brinns en esclavage ? C’est vrai ! Comment aurions-nous pu faire autrement, au début, alors que nous étions si peu, avec tout à faire ? Que nous reproche-t-on ? D’avoir survécu ? Les civilisations de la Terre ont toutes commencé ainsi, et, si je crois ce que m’en a dit une fois Akki Kler, il semble en être de même sur presque toutes les planètes. Vous devez savoir sans doute, par une amère expérience, combien il faut de temps pour abolir cette institution, alors même que le besoin économique ne s’en fait plus sentir. Mais, déjà, dans le comté de Roan, l’esclavage n’existait plus. Et, s’il était bien dans mes intentions de battre une bonne fois les brinns et leurs alliés vasks pour assurer la tranquillité de nos frontières, j’avais résolu de le supprimer sur toute l’étendue de la Bérandie. Et Akki Kler pourra vous dire que, mise en face des conséquences possibles de mes actes, j’avais renoncé à toute idée de conquête, quand mon père fut assassiné, et toute cette terre jetée dans un train de sang par les ambitions d’un homme comme il en existe, j’en suis sûre, sur toutes vos planètes, au moins au stade de développement où nous étions.

« Vous pouvez nous priver de notre monde, de ce monde que nous avions fait nôtre, partiellement au moins, par notre travail, nos larmes et notre sang, ce monde qui porte aussi, Tehel-Io-Ehan, la trace de nos os, même si elle est moins profonde que la vôtre ! Vous en avez le pouvoir, étant les plus forts. Vous le ferez au nom d’une loi qui nous est étrangère, d’une Ligue que nous ne pouvions pas connaître, et qu’on ne nous a pas demandé de joindre d’ailleurs, nous trouvant trop barbares ! Que n’êtes-vous venus plus tôt, alors que, jetés sur un sol hostile, nos ancêtres étaient encore des civilisés, autant que ceux restés sur cette Terre qui allait entrer peu après dans votre Ligue, avant que la peur, la faim, la souffrance et le désespoir les aient ravalés à l’état de bêtes sauvages, de bêtes qui tuent pour ne pas être tuées ! Mais, en nous exilant, en déracinant un peuple entier, en lui enlevant ce qui fait le fondement de ses traditions, sa terre, son pays, sa patrie, ne craignez-vous pas de commettre à votre tour un crime ? Ne pourrions-nous rester sur ce monde qui est nôtre, je le répète, nôtre, puisque, depuis que nos yeux se sont ouverts à la lumière, nous n’en connaissons pas d’autre ? Avec votre aide, nous pourrions franchir rapidement les degrés qui séparent notre sauvagerie de votre civilisation. Allez-vous, enfin, punir les enfants pour les fautes de leurs pères ? »

Elle se rassit. Akki lui fit transmettre un message.

« Bien parlé, Anne. Cela ne peut modifier la décision, hélas ! Mais peut changer bien des choses pour le futur. Courage. »

Déjà, Otso se levait.

« On m’a demandé de défendre mon peuple, et je ne sais pourquoi. Nous n’avons pas conscience d’être coupables. Quand nous avons atterri ici, il y a bien longtemps, nous fuyions une civilisation qui nous était odieuse, peut-être à tort, pour sauvegarder ce que nous considérions comme le plus sacré, nos traditions, notre voie de vie. Akki m’a expliqué que ce mode de vie était anachronique, que, quoi que nous fassions, nous ne pourrions pas le sauver. C’est possible. Mais nous avons essayé, et nous n’en avons pas honte.

« Quand nous débarquâmes sur Nérat, nous croyions y être seuls. Nous nous installâmes sur les monts. Puis, un jour, longtemps plus tard, un des nôtres trouva un chasseur brinn blessé. Il le soigna. De là naquit entre nos peuples une amitié qui ne s’est jamais démentie, et qui s’est scellée maintes fois dans le sang. Jamais conflit n’éclata entre nous. Puis, nous apprîmes que nous n’étions pas les seuls à être venus de la Terre. Les Bérandiens s’étendaient vers nos montagnes, en guerre perpétuelle avec les brinns. Nous leur offrîmes notre aide pour conclure la paix, et ne reçûmes en réponse que haine et mépris. Cependant, ces dernières années, il y eut une lueur d’espoir. Sous l’influence d’hommes sages, tels que le vieux Duc, Boucherand, Roan, il semblait que les guerres allaient enfin cesser. Puis vous êtes arrivés, et, malheureusement, la situation a évolué très vite, et dans le mauvais sens.

« Si votre Ligue décide que nous devons quitter Nérat, ce Nérat qui est nôtre, aussi, nous accepterons, sans haine, mais avec une infinie tristesse. Quand on a connu dès l’enfance la forme des monts familiers, les vallées, les sentiers, les herbes et les arbres, il se forme entre l’homme et sa terre des liens subtils que vous ne pouvez peut-être pas comprendre, vous qui passez d’un monde à l’autre et dont la patrie est l’espace ! Et qu’importe si l’occupation de cette planète n’a pas été, au début, légitime ! Nous aussi avons laissé la trace de nos os dans les monts ! Nous sommes fils de ce sol, autant que n’importe quel brinn. Et, comme l’a dit tout à l’heure la duchesse de Bérandie, je ne vois pas de justice à punir dans les descendants les fautes des ancêtres, en admettant qu’il y ait eu faute !