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— Il ne s’agit pas de punir, Otso, dit Akki. Je te l’ai expliqué maintes fois… »

Le Vask haussa ses épaules puissantes.

« Oui, tu m’as expliqué cela. Et ma tête a compris. Mais quand il s’agit de l’exil, la tête est un bien pauvre avocat contre le cœur, Akki ! Et tu le sais ! »

Le vieux brinn parla enfin.

« Je n’ai pas à défendre mon peuple. Nous sommes ici par droit de naissance. De tout temps, les brinns ont été ici, comme j’ai pu en montrer la preuve à vos envoyés. Mais je dois dire que nous ne désirons pas le départ des Vasks. Nous n’avons eu qu’à nous louer de leur présence, et de leur amitié. Quant aux autres, il est bon, je crois, qu’ils s’en aillent. Cependant, si Boucherand, Roan, Anne de Bérandie et quelques autres veulent rester, nous ne nous y opposerons pas. Ils nous ont montré que même chez les Bérandiens, il peut y avoir des hommes bons et sages.

— Les défenseurs ont-ils quelque chose à ajouter ? »

Anne eut un geste las.

« Ce serait, je crois, inutile.

— Dans ce cas, dit Elkhan, le verdict semble facile. Pour ce qui concerne la propriété de cette planète, il n’y a pas de problème, et… »

Hassil se leva.

« C’est ce qui vous trompe, et rend le cas particulièrement épineux. Les brinns ne sont pas non plus originaires de Nérat ! »

Anne se dressa, un espoir fou dans les yeux.

« J’avais quelques doutes, depuis que Kler m’avait rapporté quelques ossements fossiles du gisement de la falaise. Je ne suis pas un spécialiste en anthropologie cosmique, mais ces restes ne m’avaient pas paru pouvoir appartenir à un ancêtre, au moins à un ancêtre direct, des brinns. Les outils de pierre ne voulaient rien dire en eux-mêmes : à peu près toutes les humanités passent à leur début par des stades comparables. D’autre part, Akki m’avait signalé des impossibilités culturelles, que j’ai vérifiées et étudiées : un peuple de l’âge de pierre, qui possède des pointes de flèches trempées selon une technique très spéciale, et quelques outils de tungstène, entre autres anomalies. Aussi, dès que l’Ulna est arrivée, j’ai demandé à Brintensieorépan de faire quelques fouilles, afin de préciser ou d’infirmer mes doutes. À toi, Brinten ! »

Le petit h’rben à peau pervenche s’avança.

« Il n’y a aucun doute possible : les brinns n’ont pas évolué sur cette planète, et l’ont, d’après des mesures de radioactivité, envahie à une date qui se place entre deux et trois mille ans avant nos jours. Il y avait alors ici une espèce en plein développement, descendant probablement des orons, et qui fut exterminée, ou qui disparut sans que les brinns y soient directement pour quelque chose, à la suite d’une épidémie importée, ou de toute autre cause. Ce sont leurs restes que nous trouvons dans le sol, dans les dépôts anciens. Quoi qu’en pense Tehel-Io-Ehan, la trace des os des brinns ne se trouve que dans les terrains superficiels. Mais je comprends facilement qu’il ait pu, sans connaissances spéciales, prendre les ossements des autres pour les ossements de ses ancêtres. D’autre part, il existe chez les brinns une légende – à laquelle je n’aurais pas sans doute attaché trop de crédit car de telles légendes sont communes ailleurs aussi – qui raconte que les premiers brinns descendaient des dieux du ciel. Enfin, troisième point, les brinns possèdent des caractéristiques physiques et biologiques absolument identiques à celles des tibrinns de la troisième planète de l’étoile voisine, que nous sommes allés reconnaître, et qui, actuellement en déclin à la suite de guerres et d’épidémies, paraissent avoir été sur le point de découvrir le vol interstellaire, il y a justement deux mille cinq cents années moyennes. Oh ! Je sais qu’il existe déjà un cas d’identité de deux humanités, celui des hommes de la Terre et des sinzus. Mais il s’agit de deux galaxies différentes, ce qui force à admettre une simple coïncidence, si invraisemblable soit-elle. Ici, ce n’est pas le cas, l’étoile en question n’étant qu’à une année lumière et demie.

« Il me semble très probable qu’il y a environ deux mille cinq cents ans, une expédition interstellaire des tibrinns, probablement la première et la dernière, atterrit sur Nérat. Pour des raisons que j’ignore, ils ne repartirent jamais, mais firent souche, comme devaient plus tard le faire Bérandiens ou Vasks. Mais alors que les Vasks retournaient volontairement à un état pastoral, alors que les Bérandiens retenaient une bonne part de leur civilisation originelle, et en tout cas la connaissance de leur histoire, les tibrinns devenus les brinns, régressèrent jusqu’au niveau de l’âge de pierre, ne gardant que quelques outils de métal, une technique avancée du verre, quelques notions de physiologie, telle que la circulation du sang, mais leur histoire se dégrada rapidement en légende.

— Pour quelle raison ? demanda Elkhan.

— Le nombre, probablement. Les Bérandiens ou les Vasks étaient plusieurs centaines. J’estime le nombre des tibrinns à une douzaine seulement. Cette origine relativement proche explique qu’un seul continent soit peuplé, entre autres choses inexplicables autrement.

— Mais les indigènes ? Pourquoi n’ont-ils pas survécu ailleurs ?

— Ils n’y existaient probablement pas. Sur H’Rba, notre race se développa sur une grande île, et n’a peuplé le reste de la planète que relativement tard.

— Il en fut de même sur Terre, intervint Akki. L’homme n’apparut que sur une partie des continents. Il semble que, par malheur, les tibrinns débarquèrent au seul endroit peuplé, et anéantirent, volontairement ou non, l’ébauche d’humanité qui s’y trouvait.

— Si je comprends bien, Akki, les brinns n’ont rien à nous envier, intervint Anne. Il me semble que, dans ce cas…

— Je vous ai souvent dit, et je viens de le redire à Otso, il ne s’agit pas de justice absolue.

— Doit-il donc s’agir d’injustice absolue ? Voici un peuple qui, vous le dites vous-même, a anéanti une humanité, peut-être volontairement ! Nous n’en avons pas fait autant !

— Nous ne devons pas juger les descendants sur les fautes de leurs ancêtres, comme vous le fîtes remarquer, avec raison. Or, aujourd’hui, les brinns sont, étant donné leur état actuel de civilisation, et malgré certaines de leurs coutumes que nous ne connaissons que trop bien (Anne frissonna), les brinns sont, du point de vue anthropologique, innocents. Il n’en est, hélas ! Pas de même de votre peuple, qui, malgré quelques esprits élevés, et beaucoup de braves gens, j’en suis sûr, se trouve dans un état sociologiquement dangereux, pour lui-même et pour les autres. Non, Anne, la décision est déjà prise. Elle aurait pu être différente, en d’autres circonstances.

— Et nous ? demanda Otso.

— Voici la décision. Elkhan, lisez d’abord la Loi d’Acier. »

Le vieux sinzu commença d’une voix haute et claire :

« Ceci est la Loi de la Ligue des Terres humaines. Il ne doit y avoir qu’une seule humanité par planète, exception faite de Réssan, siège de la Ligue. Dans le cas où une humanité chercherait à en conquérir une autre, la force de la Ligue s’abattra sur elle. Dans le cas où deux races coexisteraient de bonne foi sur le même monde, deux coordinateurs seront envoyés pour résoudre le problème, sans appel possible. La Loi ne peut subir aucune exception. Si les deux humanités sont de bonne foi, le sort désignera celle qui héritera de la planète. Ceci est la Loi de la Ligue des Terres humaines, et lie toutes les humanités, celles qui sont encore en dehors de la Ligue comme celles qui lui appartiennent.