— Merci, Akki. J’appelle cette nouvelle planète Bérande !
— Quel statut ?
— Membre de la Ligue, si elle nous accepte.
— À la troisième génération, alors. On ne vous permettra pas d’astronefs interstellaires avant que tous les Bérandiens qui vivent actuellement aient disparu.
— Une prison ?
— Non. Nos navires vous visiteront régulièrement, et vous pourrez, sur eux, circuler librement.
— Eh bien, adieu, Akki. Quand serons-nous… transportés ?
— La flotte est déjà en route.
— Si tôt ! J’espérais pouvoir revenir en Bérandie, voir une dernière fois la presqu’île, nager dans cette crique où, tout enfant… »
Elle renonça à cacher ses larmes.
« Mais vous le pourrez ! Vous allez tous être ramenés en Bérandie pour faire vos préparatifs de départ. Vous ne partirez que quand vous vous jugerez prêts, dans des limites raisonnables.
— Encore une chose ! Pourrions-nous… »
Elle se redressa, les yeux subitement étincelants, redevenue telle qu’il l’avait vue sur sa terrasse, au sommet de sa tour, il y avait si longtemps, lui semblait-il.
« Pourrions-nous faire sauter nos villes avant de partir ? Je ne voudrais laisser, de nos maisons, que des ruines ! Je sais que c’est un sentiment barbare, mais je souffrirais trop à l’idée qu’un brinn puisse vivre là où j’ai vécu.
— Cela va mal avec une demande d’appartenance à la Ligue, Anne !
— Oh ! Je sais ! Mais ne croyez pas que c’est parce que je les estime inférieurs ! J’ai vu les brinns, et je les crois nos égaux, maintenant, dans le bien comme dans le mal ! C’est plutôt un sentiment de jalousie, à l’idée que d’autres jouissent maintenant de ce que je fus forcée d’abandonner !
— Soit ! Mes hommes placeront des explosifs, et, au moment de votre départ, vous n’aurez qu’à appuyer sur un bouton.
— Merci, Akki ! »
Elle rougit, et demanda, d’une voix brisée :
« Puis-je garder votre bague ?
— Oui, en souvenir de votre ami le coordinateur. »
Elle se précipita contre lui, l’embrassa, longuement, sauvagement.
« Adieu, Akki. Je préfère ne pas vous revoir avant mon départ. Faites-moi cette dernière amitié !
— Adieu, Anne ! »
Il écouta ses pas s’éloigner sur le plancher métallique. Puis, d’un geste fou, il balaya d’un revers de main le fichier des planètes vierges.
Épilogue
Akki Kler, ex-coordinateur galactique, professeur de sociologie comparée à l’université de Réssan attira, au travers de son bureau, la boîte carrée du communicateur.
« Akki ? Ici Hassil !
— Comment vas-tu ?
— Bien. Je rentre juste de Tilhoé, Soleil Sphen, Cent-vingtième Univers.
— Les fouilles ont-elles été bonnes ?
— Oui. Il y eut là une race extraordinaire, qui disparut il y a sans doute cinq ou six cent mille ans, alors que nos humanités sortaient à peine de l’animal. Mais ce n’est pas à ce sujet que je t’appelle. Je viens du palais des Mondes. Cela semble aller mal sur Bérande !
— Que dis-tu ?
— On est sans nouvelles de l’équipe d’instructeurs depuis plus de dix jours.
— Officiel ?
— Je le tiens de Khardon lui-même !
— Grand Mislik ! Anne est là-bas ! Ne sait-on rien de plus ?
— Non. Une expédition se prépare, mais il se passera bien quatre ou cinq jours avant qu’elle parte.
— Bien sûr ! Procédure N ! Ah ! Les bureaux !
— J’ai mon ksill et mon équipage prêts. Veux-tu que nous y allions ?
— Hassil, tu es un vrai frère !
— Je t’attends à l’astrodrome Sept. Triangle de départ 33-47.
— J’arrive. Merci ! »
Il ramassa ses papiers, les jeta pêle-mêle dans un tiroir, prit à peine le temps d’entasser dans une valise de plastique quelques vêtements de rechange, saisit ses armes, et se rua hors de son habitation. Pilotant son réob à vitesse maximale, il fonça vers l’astrodrome.
Le hiss l’attendait à côté de la lentille du ksill. Sas à peine clos, l’appareil décolla à la verticale.
« C’est une chance que, en tant que chef du service archéologique, tu aies toujours un ksill à ta disposition. Est-il armé ?
— Tu sais que mes expéditions m’amènent souvent en zone inconnue, ou, ce qui est pire en zone mislik. Il est armé autant qu’un ksill peut l’être. »
Le voyage dans l’Ahun, le non-espace, fut pour Akki une terrible épreuve. Il avait beau savoir que le ksill dévorait des années-lumière par seconde, rien ne pouvait le lui faire sentir. Il se souvenait d’Anne telle qu’il l’avait quittée quatre ans plus tôt, dans la bibliothèque de l’Ulna, triste, mais décidée. Selon son vœu, il n’avait pas cherché à la revoir.
Puis, brusquement, le ksill émergea dans l’espace normal, à peu de distance d’un système solaire.
« Bérande est la quatrième planète, Hassil !
— Je le sais.
— Excuse-moi. Je suis rongé d’anxiété. As-tu essayé d’appeler les instructeurs ?
— Oui. Aucune réponse.
— Plus vite !
— Il nous faut décélérer, au contraire. »
Le hiss maniait le réglage du grand écran télescopique. La planète y apparut, énormément grossie, tournant lentement sur elle-même.
« Où se trouve la nouvelle ville, Akki ?
— Sur une baie de la grande île de Roan. Cette île est en forme de triangle. Tiens, la voici ! Augmente-le progressivement.
— Curieux. La ville semble en ruine. Que s’est-il passé ?
— Nous le saurons bientôt. Nous ne sommes plus qu’à dix mille kilomètres. »
Le ksill atterrit sur une place, toutes armes prêtes. Les maisons, construites trois ans plus tôt, n’étaient plus que décombres. Akki et Hassil sautèrent à terre, suivis d’une douzaine de hiss, fulgurateurs au poing. Rien ne bougeait, mais une épouvantable odeur enveloppait les ruines, une odeur de cadavre.
« La guerre !
— Un bombardement. Par explosifs chimiques. Pas trace de radioactivité. Qu’est-ce que cela veut dire ?
— D’après les instructeurs, le palais du gouvernement se trouvait sur cette hauteur. Il ne semble pas en rester grand-chose… »
Un appel d’un des hiss les fit accourir. Derrière un mur écroulé gisaient une vingtaine de corps humains, et un autre, différent. Élancé, bleu foncé, il possédait une tête conique avec trois yeux, deux longs membres supérieurs terminés par des mains à quatre longs doigts, deux jambes courtes et massives. Il tenait dans une main une arme étrange, et portait sur le tronc la trace d’une décharge de fulgurateur.
Les deux anciens coordinateurs se regardèrent. Une race guerrière capable de vol interstellaire, puisque les autres planètes du système n’étaient pas habitées. Le cas ne s’était plus rencontré depuis longtemps. Hassil lança un ordre :
« Alssion, au ksill ! Couvre-nous. Si nous sommes attaqués par des forces supérieures, laisse-nous, et file au poste de la Ligue le plus proche ! Il faut à tout prix que le Conseil des Mondes soit averti !
— Il existe un avant-poste terrien sur Helk, à deux années-lumière », ajouta Akki.
L’appareil s’envola et vint se placer au-dessus d’eux. Ils continuèrent leur patrouille dans la ville morte. Le palais du gouvernement était entièrement démoli. La destruction avait été systématique. Si les cadavres humains en décomposition abondaient, ils ne trouvèrent plus trace de ceux des envahisseurs.