« Nettoyage d’une planète avant colonisation ou simple malfaisance ?
— Si ta première hypothèse est juste, prenons garde, Akki. Ils sont peut-être déjà en route.
— Oh ! J’aimerais bien en rencontrer quelques-uns ! Ce monde sera vôtre à jamais, ai-je dit ! C’est moi qui ai suggéré Bérande ! Je suis responsable de toutes ces morts !
— Tu ne pouvais prévoir cela.
— Tiens, des traces de fulgurateur. Et une arme des autres. Grand Mislik, voilà Ethel Theon ! »
Le cadavre d’un des instructeurs tenait encore dans la main un fulgurateur. Il ne portait pas de blessures apparentes.
« Tué par une arme sans doute analogue à nos rayons abiotiques ! Où sont donc les autres ? »
Akki haussa les épaules.
« Là-dessous, je suppose. Avec Anne ! »
La recherche continua, macabre. Les inconnus avaient, semblait-il, fouillé méthodiquement la ville en ruine, achevant les blessés et tuant les survivants. Akki sentit monter en lui une colère froide, une haine implacable pour cette race d’assassins.
« Pires que les Théransi ! Il faut à tout prix écraser cette race, si elle ne se révèle pas amendable ! »
Le communicateur sonna à la ceinture du hiss.
« Quelque chose bouge près d’une construction en ruine, là-bas sur la colline.
— Atterrissez ! Nous venons ! »
Ils sautèrent dans le sas à peine la porte ouverte, se précipitèrent vers le poste de commande. Sur l’écran, des silhouettes agitaient un drapeau blanc. Akki augmenta le grossissement : trois hommes, deux femmes, quelques enfants… Déjà le ksill se posait.
— Oh ! Akki, Akki, vous êtes venu ! »
Bouleversé de bonheur, il tenait Anne dans ses bras, insoucieux des bribes de conversation qui lui parvenaient. Il fallut que Hassil lui tapât plusieurs fois sur le bras pour le faire sortir de son rêve.
« Il faut partir ! Ils peuvent revenir d’un instant à l’autre. Et il y a un prisonnier de leur race qui parlera, je te le jure ! »
Akki regarda autour de lui : Anne, Clotil, le vieux Roan, deux jeunes Bérandiens inconnus, cinq enfants.
« Que s’est-il passé ?
— Dans le ksill, Akki, le temps presse ! »
Déjà l’équipage hiss revenait, tirant sans ménagement un être bleu aux membres liés.
« Boucherand ?
— Mort, comme les autres. Nous sommes sans doute les seuls survivants de la Bérandie !
— Dans le ksill, Akki, par le Mislik ! Ou je te laisse ici ! »
Il se laissa entraîner. Plus tard, dans l’Ahun, Anne fit son récit, appuyée pour certains détails par Roan.
« Quand nous sommes partis de Nérat, après avoir fait sauter nos villes, nous étions désespérés. Mais rapidement nous nous habituâmes à notre nouveau monde, et je crois que nous y aurions été heureux si… Vos instructeurs avaient commencé à faire des merveilles, quand, il y a quinze jours, parrain annonça qu’il avait détecté, avec son télescope, une flotte d’astronefs qui approchaient. Nous ne nous inquiétâmes pas, attendant justement quelques navires venant de Helk, qui devaient apporter des machines. Mais je jugeai l’occasion bonne de visiter l’observatoire, et je partis avec mon fils, Akki Boucherand, âgé de deux ans, Clotil et ses deux enfants. Je trouvai parrain préoccupé. Il avait fait un voyage sur Ella l’an passé…
— Je sais, je l’y avais vu.
— Tu ne m’avais pas dit cela, parrain !
— À quoi bon ranimer les peines, Anne ?
— Soit. Il était donc allé sur Ella, et y avait vu des modèles variés d’astronefs en service dans la Ligue, mais aucun n’était biconique, comme ceux, énormes, qui approchaient. Je ne sais quel démon me prit de lui soutenir qu’il ne connaissait certainement pas tous les types, et nous perdîmes ainsi un temps précieux. Quand nous nous décidâmes enfin à prévenir vos instructeurs, les premières bombes pleuvaient déjà, et leur ksill fut immédiatement détruit.
« Puis vinrent quatre jours de cauchemar. L’observatoire fut bombardé le deuxième jour, mais nous étions dans les grottes sur lequel il est construit, et où parrain avait ses appareils de mesure. Le troisième jour, les envahisseurs débarquèrent, et commencèrent leur œuvre d’extermination. J’appris la mort de Hugues le soir même, par les deux jeunes gens qui sont là et qui arrivèrent avec trois enfants. Je ne l’aimais pas d’amour, Akki, mais il était le père de mon fils, et a toujours été pour moi un appui sûr et fidèle. Folle de douleur et de rage je sortis de la caverne à l’insu de parrain et me dirigeai vers la ville. En descendant le sentier, je vis, en dessous de moi, un des êtres maudits qui se dirigeait vers l’observatoire. J’avais un fulgurateur et j’aurais pu le tuer. Mais j’étais sûre que vous viendriez, et je voulais un prisonnier, afin que vous puissiez savoir quels étaient ces monstres, et leur origine. J’ai donc attendu, et, quand il a été juste en dessous de moi, je l’ai assommé d’un coup de pierre, désarmé et traîné jusqu’à notre cachette. Et nous avons attendu dans les grottes. Deux fois les envahisseurs ont fouillé les ruines, sans trouver l’entrée que nous avions dissimulée. Enfin, hier, ils sont partis. Et, tout à l’heure, Clotil qui guettait les ruines de la ville où son mari est mort a signalé votre astronef. Parrain a reconnu un ksill hiss, et nous avons fait des signaux.
— Qu’allez-vous devenir, Anne ? La Bérandie n’existe plus.
— Obéir à Hugues, Akki, si vous le voulez bien. Voici sa dernière lettre !
Elle tira de son sein un papier plié en quatre, hâtivement déchiré d’un carnet. Il lut :
Anne chérie,
La Bérandie n’est plus ! Le dernier instructeur vient de tomber à mon côté il y a une minute. Je ne vis plus que par miracle et, avant longtemps, j’aurai à mon tour disparu dans les ténèbres. Je vous ai aimée depuis votre adolescence, et pourtant, je sais que vous ne m’aimez pas. Essayez de survivre en vous cachant. Klin le sinzu m’a encore dit tout à l’heure qu’une interruption de dix jours dans les nouvelles qu’envoient les instructeurs déclenchera immédiatement une expédition d’enquête. Rejoignez Akki, que vous n’avez pas cessé d’aimer, et demandez-lui de veiller sur notre fils. Je souhaiterais qu’il devienne à son tour un coordinateur, s’il en a les capacités, un des hommes chargés d’extirper à tout jamais le fléau des guerres. C’est le plus beau sort qu’on puisse rêver. Adieu, Anne. L’ennemi revient. J’ai encore un fulgurateur, et je vais leur faire payer cher ma mort. Adieu bien-aimée.
Il rendit le papier, essuyant sans honte une larme.
« C’était un homme, Anne, et son fils pourra être fier de lui. Je veillerai sur son avenir. Nous veillerons sur son avenir. Qu’y a-t-il, Hassil ? »
Le visage du hiss exprimait une joie féroce.
« Il a parlé, ou plutôt nous avons extrait de son crâne les renseignements nécessaires. C’est une race qui vient juste de découvrir un mode primitif de vol interstellaire, et qui, après avoir massacré les habitants d’une planète voisine de la leur, a l’intention de continuer ce petit jeu.
— Rééducables ?
— Non ! Type Z. Foncièrement mauvais.
— Alors ?
— Comme tu sais. Un kilsim sur leur monde.
— Je suis heureux de ne pas avoir à prendre cette décision. Théran me suffit !
— Moi aussi, Akki. Mais elle est inévitable.
— Qu’est-ce qu’un kilsim ? interrogea Anne.
— L’engin dont nous nous servons pour rallumer les soleils que les milsiks ont éteints, chérie. Leur planète sera transformée en une boule de gaz surchauffés.
— Eh bien, moi, Akki, je n’hésiterais pas !
— Laissons donc la haine, elle est stérile. Voyez plutôt ! »