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Le ksill était rentré dans l’espace normal. L’écran fourmillait d’étoiles. Une d’elles, toute proche, bleutée, était accompagnée d’un cortège de planètes.

« Ialthar, qui sera notre soleil ! Voici Ella, Mars, Réssan ! Et cette étoile, là-bas, est le soleil de Novaterra. Et, dans cette galaxie comme dans d’autres, des terres, par milliers, avec leurs humanités ! Et tous ces mondes sont nôtres, chérie, nôtres à jamais ! »

À propos de l’origine de Ce monde est nôtre…

Ce monde est nôtre parut en 1960, au paroxysme de la guerre d’Algérie. Compte tenu du sujet, il était tentant pour les commentateurs et critiques d’alors de voir dans ce conflit la source d’inspiration de l’auteur, ce qui ne manqua pas d’être fait. Francis Carsac eut beau affirmer à plusieurs reprises en public, et très souvent dans des discussions privées, que ce n’était pas le cas, rien n’y fit. La légende, car s’en est une, a perduré. Dans l’« Hommage à Francis Carsac » publié par Fiction peu après son décès{Claude Cheinisse : À la mémoire d’un ami, Fiction, n°320, Juillet-Août 1981}, Claude Cheinisse écrivait : « Il me reste à parler de tes pudeurs, qui te conduisirent à prétendre que « Ce monde est notre » n’avait rien à voir avec le drame algérien… » Et dans la rubrique « La vie littéraire » du journal Le Monde{Le Monde, 8 Mai 1981, p. 22} Philippe Curval estimait que « l’un de ses récits les plus achevés est sans doute Ce monde est nôtre, parabole douloureuse sur la guerre d’Algérie »…

Qu’en est-il en fait ?

I. Chronologie

D’abord, à moins de doter Francis Carsac du pouvoir de « projeter son esprit dans l’avenir », comme Sian-Thom le Voyant, le prophète Hiss, la guerre d’Algérie ne peut pas « matériellement » avoir inspiré « Ce monde est nôtre » pour la simple raison que le plan du roman existait déjà en 1952 (dates probable : octobre ou novembre) et que les 82 premières pages{Les pages indiquées sont celle du manuscrit originel (avant révision pour publication), qui en compte 190.} ont été écrites entre Décembre 1953 et Février 1954. De façon plus précise, « Ce monde est nôtre » a été écrit en quatre périodes :

Décembre 1952-Mai 1953 : prologue et pages 1 à 14 ; et surtout, établissement d’un premier plan de l’ouvrage qui était (je recopie ce que mon père avait écrit alors…) :

Prologue : rapport d’éclaireur sur planète isolée

Première partie : La planète perdue

I) Arrivée du coordinateur

II) La « citée médiévale »

III) Le château

Deuxième partie : Les montagnards

I) Un village dans les cimes

II) Le premier jour de Mai

III) Les terres dans le ciel…

Troisième partie : Ce monde est nôtre

I) Les autres

II) La trace de nos os

III) La loi d’acier

Epilogue

Décembre 1953-Février 1954 : pages 15 à 80 (p. 80 : Akki Kler arrive chez les Vasks. La dernière phrase écrite, le 25 Février 1954 vers 23 h 10, est : « Il s’exclut lui-même, et nul ne lui parle plus jusqu’à ce qu’il ait obéi »).

Mars 1959 — Juillet 1959 : pages 80 à 190 (Le texte reprend le 3 Mars 1959 par : Ils mangèrent un moment en silence).

Fin 1959 : Réécriture du manuscrit pour envoi à l’éditeur (avec corrections portant essentiellement sur la forme).

Or la guerre d’Algérie a commencé à la Toussaint 1954, date à laquelle le roman était déjà en quelque sorte « écrit » dans la tête de l’auteur qui a suivi, au détail des péripéties près, jusqu’à la fin le plan qu’il avait établi en 1952.

II. L’Indochine

En Juillet 1954 se terminait la première guerre d’Indochine. En 1936, à l’âge de dix-sept ans, François Bordes avait passé plusieurs mois dans ce qui était alors l’Indochine française, parcourant le pays, ou plutôt les pays puisqu’il est allé aussi au Cambodge, où il a visité les temples d’Angkor, et au Laos, où il avait rencontré des gens des peuples montagnards qu’on appelait les Mois. L’Algérie, où il n’est jamais allé{II est allé, en 1938-39, une fois au Maroc et une fois en Tunisie, en camping avec des copains des Auberges de Jeunesses. Mais il s’agissait surtout de s’amuser, faire du camping, et de visiter les ruines de Volubilis et de Carthage, et il n’a eu que des contacts superficiels avec les populations…}, n’appartenait pas au vécu de Francis Carsac, mais l’Indochine oui.

À Villeneuve, chez lui, bien que son père ait eut été négociant à Dakar, il n’y avait pas vraiment de racisme. Certes, pour parler des sénégalais, le terme « nègre » était utilisé. Mais c’était sans connotations péjoratives : c’était le terme usuel, et de plus, dans le parler du Périgord et de l’Agenais, « nègre », negro, signifie tout simplement « noir ». Dans ce qu’il lisait, les récits de voyage de l’époque, les romans d’aventure, avaient assez souvent une coloration que nous qualifierions certainement de « raciste », mais c’était le plus souvent un racisme paternaliste, en quelque sorte bienveillant : le blanc venant apporter la civilisation. Il ne s’agissait pas, la plupart du temps, de haine ou de vrai mépris.

Arrivant en Indochine à la fin de 1936, il vit très vite ce qu’étaient racisme, colonialisme et xénophobie, et la multiplicité des formes qu’ils peuvent prendre, des plus évidentes aux plus subtiles.

Peu après son arrivée, une scène l’a marqué profondément. Il me l’a racontée plusieurs fois{La première fois, j’avais 7 ou 8 ans, et j’étais en train de lire Le Lotus bleu d’Hergé. Les tintinophiles comprendront pourquoi.}. Il allait à la poste (à Saïgon ?). Au guichet, une courte file d’attente. Un vieil homme effectuait une opération (envoi de mandat ? de colis ? de lettre recommandée ? je ne sais). À part mon père, tout le monde était « indochinois ». Entra une femme française d’une quarantaine d’années qui, négligeant la file d’attente, se dirigea vers le guichet, bouscula le vieil homme qui manqua de tomber, qui serait tombé si quelqu’un ne l’avait retenu, et dit au préposé : « Je suis pressée, tu t’occupes de moi » ou quelque chose approchant… Le préposé protestant, elle l’injuria et exigea de nouveau qu’il le serve immédiatement. Ce qu’il fit dans un silence de mort. Mon père était horrifié, d’autant plus que la femme était l’épouse d’un fonctionnaire de la République française, qui venait apporter en Extrême Orient la civilisation européenne, et que l’homme bousculé était un vieillard et un lettré, ce qui le rendait doublement respectable…

Mais à côté de ce racisme individuel, et disons-le « stupide », il y existait surtout, à l’époque, une situation explosive et complexe, pour ne pas dire inextricable{Dans ce qui suit, je vais être, par nécessité, très — trop, beaucoup trop — superficiel. Mais sauf à écrire au moins 20 pages sur le sujet, je ne vois pas comment je pourrais faire autrement.}.

En un sens, la « Guerre d’Indochine » n’a pas commencé en 1946, mais au moins 20 ans avant. Au début des années 30, l’armée française a bombardé des villages, procédé à des déportations et à des exécutions sommaires, en représailles contre des grèves. Le « Parti colonial » (le baron Nétal…) – aussi bien à Paris qu’en Indochine – voyait dans le pays une mine d’or qu’il s’agissait de ne pas laisser échapper. Si certains gouvernements de la 3ème République avaient essayé d’introduire des réformes favorables aux « indigènes », elles furent pour la plupart sans portée réelle, étouffées sur le terrain. Certes il existait parmi les colons ceux qui étaient favorables à un développement « indigène », que ce soit pour des raisons humaines (le comte de Roan…), ou par simple bon sens. Mais ils étaient semble-t-il une minorité et de toute façon « la mèche de la bombe était déjà allumée », si je peux m’exprimer ainsi.