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— Walter Scott ! Dans la Grande Nuée de Magellan ! Qui aurait osé rêver cela, dit doucement Akki. Et les Vasks ? Que sont-ils ?

— Des Terriens, comme nous, arrivés une trentaine d’années avant nous. Ils sont là, à les en croire, les descendants d’un étrange peuple qui vivait dans la même nation que la majorité de nos ancêtres, mais qui avait conservé sa langue propre. Pendant longtemps nous avons ignoré leur présence, s’ils connaissaient la nôtre. Mais leur histoire est différente. Les fous ! Ils ont quitté la Terre sur quatre astronefs montés uniquement par des gens de leur race, à la poursuite d’une chimère : recréer sur une planète vierge leur antique mode de vie, menacé par l’unification des mœurs et des langues. Ils ont atterri tout à loisir, détruit leurs engins, et ils vivent actuellement dans les montagnes et sur les plateaux, de l’élevage des vaches et moutons qu’ils ont apportés, et du slobu indigène qu’ils ont domestiqué. Une partie habite les bords de la mer Sauvage, et pirate nos navires. Nous ne sommes pas assez forts – pas encore – pour les repousser plus loin. Comme armes, ils n’ont que des arcs et des frondes, dont ils se servent d’ailleurs très habilement. Quant à nous, il nous reste quelques armes venant de nos ancêtres, que nous gardons en cas de situation particulièrement difficile. Peut-être, après votre arrivée, aurons-nous bientôt à les employer, bien que je ne le souhaite pas. Mais quelle que soit votre mission, rappelez-vous bien que nous ne céderons jamais ce territoire que nos anciens ont payé de leur sang. Cette terre est nôtre, Kler, et malheur à qui voudra y toucher ! »

Il se tut un instant.

« J’ai dit ce que j’avais à dire. Maintenant, voulez-vous visiter la ville ? »

Ils déjeunèrent dans une taverne du port. Sur le conseil de Boucherand, Akki avait pris l’habit bérandien et dissimulé ses armes. Le capitaine avait quitté les insignes de son grade, et pouvait passer pour un soldat en permission.

« Il y a toutes chances pour qu’on ne me reconnaisse pas, avait-il dit. Non point que je ne sois pas connu, mais personne ne pensera jamais que je me promène sans escorte ! Au fond, je ne suis pas fâché de vous accompagner ainsi. Cela me rappelle le temps où j’étais écolier, et où nous rossions parfois quelque malheureux veilleur de nuit. »

Ils s’étaient assis à une petite table, derrière un pilier. Si l’aubergiste reconnut Boucherand, il eut la sagesse de ne pas le montrer. Quant au coordinateur, les hommes blonds de haute taille ne manquaient pas en Bérandie, un bon tiers des habitants descendant d’ancêtres normands ou anglo-saxons. Ils mangèrent de bon appétit des mets simples, mais savoureux, à base de poisson surtout. Tout en causant, Kler essayait d’obtenir le plus de renseignements possible.

« Vous me parliez du temps où vous étiez écolier. Vous avez donc des écoles ?

— Oui, certes. Nous ne sommes pas des sauvages. Tous les jeunes nobles sont tenus de fréquenter l’école jusqu’à dix-sept ans. Oh ! bien sûr, nous ne sommes pas très avancés en sciences, la catastrophe ayant tué la plupart de ceux qui auraient pu nous transmettre des connaissances scientifiques. Mais il nous restait des livres, et j’ai appris l’histoire, la nôtre et ce que nous savons de celle de la Terre, la géographie, le calcul, la langue des brinns, et même celle des Vasks.

— Et les enfants qui ne sont pas nobles ?

— Il y a une école spéciale pour ceux des conseillers, des médecins et des juges.

— Et vous n’avez pas de savants, de techniciens ?

— Si, parmi les nobles et les médecins, mais si peu ! Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu la possibilité de consacrer des hommes uniquement à la recherche des secrets de la nature. Et puis, il faut bien le dire, notre industrie n’est pas encore capable, de fournir le matériel nécessaire. Rappelez-vous, nous avons failli disparaître totalement. Nous connaissons l’électricité, par exemple, mais nous ne sommes guère capables de l’employer. Il nous reste un petit générateur en état de marche, qui ne sert que pour les illuminations lors des grandes fêtes, couronnement du Duc, ou son mariage. Et les ampoules électriques se font de plus en plus rares à chaque génération. En briser une est une offense capitale, passible de la prison !

— Notre Ligue peut vous fournir matériel et techniciens instructeurs. Vous n’êtes plus perdus. Mais ce sera vraisemblablement au prix de profondes modifications sociales. Il n’existe pas de noblesse dans la Ligue, sauf chez les sinzus, et là, tout le monde est noble !

— Oh ! Pour ma part, cela me serait égal. Mais le Duc et les autres n’accepteront jamais. Et si l’on doit en venir à la guerre, souvenez-vous : même si mon peuple a tort, je combattrai avec mon peuple !

— Mais vous faites partie des privilégiés. Que diraient les gens du commun ?

— Vous pourrez leur poser la question. Nous ne les opprimons pas !

— J’ai pourtant rencontré des proscrits. L’un d’eux était un ancien capitaine marin, banni parce qu’il avait refusé d’abandonner son épouse aux caprices d’un favori de la cour.

— Ah ! Vous avez rencontré Vernières ? Oui, il était capitaine dans la flotte. Je ne nierai pas que des cas semblables se produisent parfois. N’en existe-t-il donc pas dans votre Ligue ? D’ailleurs Vernières, tout banni qu’il est, reste loyal à la Bérandie. Je ne suis même pas sûr qu’il haïsse le Duc. Évidemment, s’il pouvait mettre la main sur le baron Dussaut ! Mais nous sommes plusieurs dans son cas, et si Son Altesse ne m’avait pas interdit de le provoquer en duel…

— Et si vous êtes souvent en guerre avec les Vasks ?

— Toujours. Ils pillent nos navires, incendient nos villages. Et nous ne leur pardonnerons jamais de ne pas nous avoir secourus lors de nos malheurs. Ils détestent notre mode de vie, et auraient voulu que nous devenions des pasteurs comme eux. Et ils sont alliés aux brinns !

— Et ceux-ci ?

— Ce ne sont pas des hommes, Kler. Je sais, votre ami leur ressemble étrangement. Mais c’est un civilisé, comme vous et moi. Les brinns sont des sauvages. Avec les Vasks, la guerre est encore à peu près propre. Mais les brinns ! Tout leur est bon : poison, trahison, mensonge, guet-apens ! Jamais un prisonnier n’est sorti vivant de leurs mains ! On dit, et c’est probablement vrai, qu’ils sont cannibales. Et ils nous haïssent. Même ceux que nous avons réduits en esclavage sont dangereux. Il y a deux mois, trois d’entre eux se sont jetés sur une femme et l’ont égorgée avant qu’on ait pu intervenir. Non ! Il nous faut soumettre les Vasks, et anéantir les brinns. Alors seulement pourrons-nous avoir le temps de songer à une vraie civilisation. »

La vieille histoire, songea mélancoliquement Akki. La vieille histoire des conquérants et des conquis. Les différences engendrent la méfiance, la méfiance engendre la peur, et la peur la haine. Le conquis craint et hait le conquérant, matériellement supérieur. Le conquérant déteste, méprise et craint le conquis, plus nombreux. Et, probablement, d’un côté comme de l’autre, une majorité de braves gens honnêtes et sincères ! Allons, encore un cas où il faudra appliquer la Loi d’Acier !

La porte s’ouvrit avec fracas, et trois jeunes marins vinrent s’asseoir à la table voisine. Kler écouta un moment leur conversation. Ils parlaient du cap des Tempêtes, de l’archipel des Pirates, d’îles perdues, de la côte nord du continent équatorial, de sa jungle impénétrable, d’aiguades sous les flèches brinns, de fabuleuses contrées où l’or roulait dans les rivières comme les galets dans les fleuves de Bérandie. Nostalgiquement, Akki songea à la salle des pas perdus, dans le palais des Mondes, là-bas, sur Réssan, où les jeunes coordinateurs, de retour de leur première mission, se racontaient des histoires ni plus ni moins vraisemblables. Seule changeait l’échelle. Le fond était le même, ce désir de merveilleux, de nouveau, qui poussait les jeunes gens de toutes les humanités vers les pays lointains, les planètes miraculeuses. Un des marins paraissait particulièrement intelligent, faisant la critique des racontars, distinguant le vrai du vraisemblable, du possible et du faux. Avec un entraînement approprié, il aurait fait un remarquable coordinateur, pensa Kler.