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Dans sa voiture, après le bavardage de rigueur avec son chauffeur, il appelle l’Élysée. Le président n’est pas là, mais on peut prendre un message. Cyprien compose le numéro de téléphone portable qu’il utilise le moins souvent possible.

— Cher ami, comment allez-vous, faites vite, parce que vous savez les abrutis qui travaillent pour moi m’organisent des journées doubles… deux usines dans la même journée, ça me paraît beaucoup mais mes conseillers en com me disent que ça donne l’impression que je n’oublie personne…

— C’est pour aujourd’hui, monsieur le président, tout à l’heure.

— D’accord, dites-moi quand ce sera fait.

*

Hichad entre dans le hall encombré de l’hôpital et demande Dina à la réception. On lui dit que ce n’est pas possible d’appeler comme ça les infirmières. Hichad rétorque qu’il s’agit du neveu de l’infirmière qui est malade. Il faut la prévenir d’urgence pour qu’elle puisse intervenir. La standardiste s’exécute.

À l’arrière du minivan, Aymard essaie de calmer le petit qui pleure sous son bandeau. Il évite de lui mettre du scotch sur la bouche mais là, s’il est obligé…

Le Delta s’attend à ce que Dina réagisse mal, bien sûr. La dernière fois, il n’a pas été particulièrement tendre. Il a du mal avec les femmes. Il les perd quand il les aime. Sa mère, sa sœur… Son premier amour aussi à Beyrouth, écrasée sous des éclats de béton.

Quand elle le voit, Dina s’énerve. Son visage est grave, elle est cernée et paraît préoccupée. Il s’excuse pour la dernière fois, il est désolé, il a fait ça parce qu’il s’en va, qu’il doit la quitter, il part de Libye. Il voulait lui dire au revoir et lui confier un enfant qu’il a trouvé dans la rue et recueilli mais dont il ne peut pas s’occuper, rentrant en France. Dina reste bouche bée. Tant de culot, tant de brutalité… Sur un ton cassant, elle le cloue d’un « Va-t’en, c’est mieux, tu crées trop de problèmes, tu fais des dégâts, oui, va-t’en. » Elle lui demande ensuite d’aller chercher l’enfant. Comme Hichad s’éloigne, Dina sourit tristement.

L’agent attrape l’enfant dans la camionnette, le tient devant lui, dans une position où le petit garçon lui tourne le dos. Il dénoue vivement le bandeau de ses yeux et le dépose devant les portes vitrées de l’hôpital. La visière de sa casquette est baissée devant ses yeux et il se retourne en une seconde et grimpe dans le minivan. Aymard démarre tranquillement pour ne pas attirer l’attention et file ensuite.

Une fois libéré du fils, un quart d’heure plus tard, Hichad va voir le père. Salem est censé le retrouver dans un parc, l’Evacuation Park, où il lui a donné rendez-vous à dix heures pétantes pour lui remettre l’équipement d’écoute. L’avantage du point de rencontre est de se trouver sur la trajectoire de l’aéroport, la nationale qui relie Benghazi à l’aéroport international Benina où, dans quelques heures, la convention de terroristes se tiendra.

Hichad a prévenu Salem qu’il lui faudrait être bien sage, venir seul, et ne pas imaginer une quelconque manœuvre. Le temps a été calculé pour que l’espion contraint des Delta puisse rentrer chez lui et poser son micro sous sa chemise. L’agent doit croiser sa « victime » sur l’un des bancs du square, l’endroit parfait pour continuer d’opérer une pression psychologique sur elle. Quelques arbres entourent l’aire de jeux, pas assez pour dissimuler un espion. Salem devrait être seul.

Lunettes de soleil et casquette cachent le visage d’Hichad. Il est assis sur le seul banc ombragé et attend en lisant « La Vérité », le journal de Benghazi relancé après la fin de Kadhafi. Dans l’allée en face de lui, il remarque une silhouette qui correspond à celle de Salem, vu en photo, en vidéo, de loin.

Vêtu à l’occidentale, Abdelakim presse le pas vers le bac à sable. La consigne est qu’il doit chercher un type avec un sac en plastique vert. Il repère Hichad, s’assoit à côté de lui, ne dit rien, prend le sac posé entre eux, se lève et s’en va, trop vite. Il était censé rester quelques minutes sur le banc, histoire de ne pas éveiller la curiosité des gens dans le parc. Le Delta a noté qu’il transpirait, que sa barbe recueillait toutes les gouttes qui glissaient le long de ses joues. Une odeur d’humidité émanait de lui, de vêtements mal séchés. Dans le sac, Hichad a glissé un papier avec le lieu de rendez-vous en photo, de faux rendez-vous, pour le soir. Salem croit pouvoir récupérer son fils.

*

Annie et Aymard viennent de sortir de l’hôtel avec leurs sacs contenant leurs caméras. Sans les glocks 26 et le minivan qu’ils ont laissés à Hichad tout à l’heure. Ils ne repasseront pas, mais n’ont pas fait de check-out. Personne ne sait qu’ils sont partis. Sauf Mouna qui, du hall, les a vus filer.

Décompte

Mai 2011, Benghazi, Libye

Il n’est pas loin de seize heures. Dans une rue adjacente de la guérite de l’entrée de l’aéroport, Hichad patiente dans sa camionnette. Des bandes tournent déjà, bien qu’il ne se passe pas grand-chose encore. L’agent a exigé de Salem qu’il allume son micro HF un kilomètre avant d’atteindre l’aéroport. Un bon signal de leur arrivée. Il ne s’attend pas à ce qu’il voit maintenant. Une succession de voitures noires se pointe. À l’intérieur, Hichad remarque des Libyens en tenue militaire qu’il a déjà croisés dans la ville. Ce sont des combattants de la Katiba du 17 février. Vraisemblablement, ils viennent un peu avant sécuriser la zone pour le sommet islamiste.

Les Delta n’avaient pas prévu un comité armé aussi important. Et Hichad, comme Henry et Vincent dans les buissons, ne pouvaient plus rien y faire. Il était trop tard pour annuler l’opération.

Ils sont donc une dizaine à débarquer aux abords de la tour de contrôle. Les deux camouflés n’apprécient que moyennement cette apparition. Ils vadrouillent autour de l’immeuble pour vérifier que personne n’est embusqué. Au cours de leur ronde, ils passent à cinq mètres de Vincent et Henry qui cessent de respirer.

Dans le minivan, Hichad remarque une autre voiture noire qui s’avance dans l’allée principale. Les vitres fumées l’empêchent d’identifier ses occupants.

A priori, ce n’est pas Salem, il entendrait dans le micro les bruits de la barrière, la fenêtre qui s’ouvre, la courte conversation entre le conducteur et le gardien. Et puis, quand le véhicule est passé à proximité de la camionnette, Hichad a disposé d’une seconde pour voir sa plaque et croit bien avoir repéré une plaque qatari. Le premier arrivé serait-il Akmar Al-Marfa avec son acolyte, le borgne vu à International Food Help ? Le Delta n’a pas le temps de creuser ses hypothèses, une autre voiture se pointe. Et, celle-ci, il la connaît bien et l’entend de surcroît, c’est celle de Salem. Il n’est pas seul, il est accompagné d’un autre type avec lequel, manifestement, il discute le moins possible, ce qui fait penser à Hichad qu’il est son bras droit. À l’avant, un chauffeur et un garde du corps.