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Vite, on fouille, explore, sonde, photographie (Mathias avait sa panoplie dans sa pompe). Frénétiques…

Pendant ce temps, Cricri est prostré sur son pageot, avec ses nymphettes à poils longs, continuant de glapir, et trembler, et chialer, et implorer, et rebuffer, et dire des incohérences.

Nous autres, Béru, le rouquemoute et mézigue-pâte, on est partout à la fois : omniprésents, comme on dit dans les journaux. La big cavalcade. Pinder vous l’offre ! Merci, m’sieur Loyal.

J’inventorie avec une fébrilité qui aiguise mes sens déducteurs. Je suis une antenne vibrante. Une sorte de génial appareil à capter l’invisible et à l’interpréter. Des trucs s’élaborent dans ma tronche phénoménale, se mettent en tas, en faisceau, en société à responsabilité limitée.

Parfois, je pose une question au Rouillé. Brève, sagace. Il répond net, pertinemment. On est à l’unisson. On opère dans l’inspiration. Ça nous vient commak, naturellement. Une chose, l’autre. « Tu crois pas que ?… » « Si, patron. » Voilà tout. Voire, un simple geste. Il me désigne. Je bats des paupières. On s’est compris. On a enregistré. Le beurre s’étale sur la tartine, l’espoir dans nos cœurs… Ça vient.

Nous sommes dans le dressinge, la Rouille et moi, à quatre pattes dans la penderie immense, lorsque le cri nous chope par les trompes d’Eustache.

— Non ! Cricri ! O mon Dieu !

On arrête d’investiguer, la tête dressée, une patte avant repliée, la queue droite, dans la position du setter irlandais sur le sentier du faisan.

Et puis des stridences retentissent, émanant de Ludo, je crois, et d’Eléonore. On se met droit sur nos pattes de derrière et on se précipite dans la chambre.

Dur et sombre spectacle.

Fin de programme. Terminus. Tout est consommé, consumé, foutu ! La déroute. La faillite nette et définitive de la Detective Chose Paris Lyon Marseille en voiture, agency. J’en perds mes facultés, j’en perds le boirélmangé, j’en pearlarebour.

Christian Bordeaux gît sur son lit.

Le visage bleui, la langue sortie, les yeux presque défenestrés.

Tu sais pas ? Mort !

Indubitablement mort !

Mort pour de bon, pour toujours.

Mort ce 2 juin, comme il l’avait annoncé.

La compagnie d’assurances Tousanrisque vient de paumer la coquette somme d’un milliard d’anciens francs.

Anciens, certes.

Mais un milliard de centimes cela fait tout de même pas mal de francs nouveaux.

Et même de francs futurs.

Non ?

Les trois parasites sont anéantis. Comme trois poux sur la carcasse d’un chien crevé. Fin d’un rêve. Plus duraille est leur chute.

Mathias se penche sur l’acteur défunt. Lui écarte la bouche, farfouille à l’intérieur, examine.

— Cyanure ! annonce-t-il.

— Que s’est-il passé ? demandé-je aux trois tordus, d’un ton tellement froid que la fenêtre s’opacit de givre.

Patache bégaie.

— Il a pris un de ses remèdes…

— Quel remède ?

— Dans sa poche, pour les palpitations… Une pilule… On causait. Il commençait de récupérer un peu. C’est Éléonore qui lui a conseillé de prendre un médicament.

— Je ne savais pas ! Je ne savais pas ! hurle la travelette. Comment pouvais-je savoir ?

On la fait taire d’un silence féroce. Le camarade Bébert continue.

— Il a continué de parler un moment, et puis d’un seul coup il a ouvert grand la bouche, ses yeux se sont orbités et il est tombé en arrière. J’ sus sûr que c’est cette pilule…

Mathias a déjà fouillé les poches de la robe de chambre du mort. Il examine un tube jaune de Sympathyl, l’ouvre, prend une pilule blanche qu’il fend en deux à l’aide de son canif.

— Cyanure ! répète mon docte collaborateur.

— C’était donc ça, murmuré-je. L’invasion de la maison… Pour remplacer sa boîte de Sympathyl normale par une autre contenant des pilules empoisonnées.

Le Gravos qui avait disparu depuis un moment, réapparaît, la bouche pleine.

— V’là les bourdilles, annonce-t-il.

Il n’en dit pas plus, car le cadavre de Bordeaux est un spectacle qui couperait la parole à un mainate élevé par Floriot.

Et puis, il a une phrase toute petite, un peu laconique, mais qui peut servir d’oraison funèbre à ce pauvre Christian :

— Alors, ça y est quand même ?

— Oui, dis-je, ça y est quand même.

Le Gros se penche sur l’homme mort.

— On s’ l’a payé à la mort aux rats ?

— Ou l’un de ses dérivés, oui.

Des pas martèlent le hall, en bas.

— Tu sais pas, déclare le Mahousse. Tu devrais, pendant que tu as trente secondes devant toi, turluter au Vieux pour y demander d’ouvrir le grand parapluie au-dessus de nos tronches, m’est avis qu’y en aura de besoin.

FIN DE LA FUNESTE JOURNÉE DU 2 JUIN

Y’en a eu besoin.

Les heures qui ont suivi l’arrivée des matuches chez Bordeaux, on a vécu une sacrée corrida.

La journée la plus démente de ma carrière.

Et puis maintenant, il va être minuit, enfin…

Donc on va passer au 3 juin. Si je te disais que je me sens confusément libéré.

L’avion ronronne paisiblement. C’est pas exactement un ronron, mais un immense soupir continu. Il exhale sa vitesse, comme un être vivant son gaz carbonique.

— Je pourrais-t’il z’avoir encore un p’t’it gorgeon de champagne, mon trésor ? demande Bérurier à l’hôtesse de l’air, de l’air de quelqu’un qui ne voudrait pas déranger.

— Mais certainement, Madame, lui répond la ravissante fille blonde. Non, c’est pas une coquille, elle lui dit « madame ».

Et comme tu n’es pas foutu de comprendre les choses tout seul, je vais t’expliquer pourquoi.

FIN DE CETTE ÉTOURDISSANTE
PREMIÈRE PARTIE
(en anglais : END OF THIS FIRST PART)

ENTREMETS (ou INTERMÈDE)

J’en ai ma claque. Je suis fatigué. Sommeil. Épuisé. Me fous de tout. Emmerde de façon générale, approximative. L’anéantissante vie. Vive la crèverie ! Vive la fin, quoi ! Peux plus. Je sème ma combativité comme un branleur sa monnaie par sa poche trouée. J’ai l’âme trouée. Ils m’indigestent, tous. M’auront magnifiquement détruit de leurs simagrées. Il n’y a plus de berceau, seulement des toboggans. La déboulade accélérée.

Je m’endors…

Mal, comme chaque fois qu’on se sent pas heureux. Le sommeil du malheureux, c’est encore du malheur. Tu crois qu’il soulage ? Simplement, la désespérance se fait subconsciente, donc pire. On s’abîme aux puanteurs du mystère.

Un contact ténu, contre ma jambe, me déclenche un rêve érotique. La bandaison me réveille. Où suis-je ?

Ah, oui : l’avion. Le magnifique Jumbo-jet qui me jette par-dessus l’océan.

À ma droite, Béru…

« Elle » ronfle.

À ma gauche, un bonhomme huileux, levantin, qui frotte le dos de sa main contre ma cuisse.