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Je le regarde, il me sourit avec vingt-huit dents blanches, trois dents en or, et une dent gâtée qui ressemble au bleu du fromage bleu. Cette particule de pourriture suffit à me le rendre horrible. J’oublie ses soixante-quinze kilogrammes d’individu normal pour ne penser qu’à quelques milligrammes de carie. Il me dégoûte. Je voudrais lui bourrer le pif d’un monstre taquet. Mais la prudence…

Le v’là qui accentue sa pression contre ma robe imprimée. Il guide mon regard, avec le sien, jusqu’à sa braguette tendue. Le chou, il veut me montrer comme il trique bien a mon côté ! S’il savait que j’en ai autant (au moins) à son service.

Il bat des cils. De très beaux cils pour séducteur de bonniche-bretonne-descendant-du-train-à-la-gare-Montparnasse.

— Vous êtes française, jolie madame ? me demande-t-il dans un français qui s’est trop attardé au soleil.

Son sourire devient une tranche de noix de coco dans laquelle on a planté la perle grise de sa carie.

Je me penche sur lui. Il en transpire d’émotion.

Sa godanche augmente.

Alors, moi, à voix basse, menue, mutine :

— Fais pas chier, sale con !

Sa main s’envole de ma cuisse, telle une alouette effrayée par un coup de fusil. Le dôme de sa braguette s’effondre au ralenti.

Ça y est : il est minuit.

Nous sommes le 3 juin.

DEUXIÈME PARTIE

SANS LAISSER D’ADRESSE

I

DÉBUT D’UN 3 JUIN DANS LEQUEL JE RACONTE, AVEC MON BRIO HABITUEL,

LA FIN D’UN INFERNAL 2 JUIN

Il est difficile de résumer une période confuse. Tu ne sais jamais par quel bout la choper, ni quel cheminement suivre à travers ses méandres. L’eau ne s’écoule pas toujours de la même façon. Pour un Rhône en équerre, tu as une Seine qui vermicelle.

Et pour vermiceller, elle vermicelle, cette affure, Dedieu de chose ! Il faisait des rêves un peu drôlement prémonitoires, le pauvre Cricri. Il l’a eu, son 2 juin, ce chéri. Et quel !

Une bombe dans son lit, à laquelle il échappa, grâce à la présence d’esprit de San-A. ! Un couple assassin planqué chez lui pour l’abattre, mais qu’il parvint à liquider en premier ! Enfin ces vilains cachets au cyanure qu’une main criminelle troqua contre les siens… Et qui eurent raison de lui. Et qui rendirent une certaine Mme Christian Bordeaux héritière, de ce fait, d’un milliard de francs…

Moi, tu peux croire, après les déclarations à la police, les dépositions, rapports, machins-trucs, j’ai décrété l’état d’urgence. Y’a eu remue-ménage à la Paris-Detective Agency. Chacun, je dois dire, a comporté de première…

La palme, pourtant, revient à Pinaud. C’est lui qui gagne les 500 balles du téléphone rouge d’Europun. Deuxième, Mathias. Plus un accessit à Béru. Faut dire que le Mastar a pas tiré la paille la plus courte… Quant à mézigue, depuis mon bureau où, entre deux invectives télexées du Vieux, je conduisais l’ensemble des opérations, je me suis payé l’une des plus moches dépressions de ma vie. À me demander si, vraiment, ça me convenait, le Secteur Privé. Si je ferais pas mieux de me reconvertir dans le petit négoce de sous-préfecture où tu deviens un gentil notable, avec des habitudes et des maîtresses bourgeoises, donc bien salopiotes. Et puis, je descendais si profondément dans la désespérance, que je rêvais de m’inscrire dans un mouroir, ce lieu où les vieux curés se retirent pour y claboter. Je m’imaginais, dans du monacal : murs blancs, haleine fraîche, face à un solide crucifix de croyant, à lorgner mon trépas par le petit trou de l’Infini.

Néanmoins (jadis, j’ajoutais : « comme aurait dit Cléopâtre », ou bien « et ce n’est pas fait pour m’embellir », à cause que néanmoins ça phonétise nez en moins, tu comprends ? Mais à présent je me surveille étroitement, pas trop faire honte à mon éditeur qui attend sa Légion d’Honneur à titre d’éditeur de San-Tantonio). Néanmoins, crois-je utile de répéter après cette parenthèse en accordéon, oui, néanmoins (je pleure pas la came, hein ?) néanmoins, donc, je continue de fonctionner. De faire mon métier. De centraliser les renseignements qui m’arrivent, reprenant tout juste, temps à autre, du poil de la bête dans la culotte de la jolie Claudette, l’une de nos dévouées secrétaires.

À Pinaud, qui relève de grippe, — je crois te l’avoir dit machinalement quelque part ? — j’ai confié la rubrique Valérie Bordeaux. À Mathias, j’ai confirmé qu’il doit me retrouver les deux faux installateurs. Béru a la charge d’enquêter sur le couple américain refroidi par Cricri.

J’ai étalé des feuilles de papier immaculé, par petites ramettes, devant moi. Quatre. Je les ai ainsi répertoriées : Pinuche, Rouquin, le Gros, Puzzle. Puzzle, c’est l’ensemble. C’est l’enquête. C’est le brouillon de vérité. C’est la dynamo en fabrication qui, je l’espère, nous donnera la lumière un jour.

Rien de plus enivrant que du papier blanc. Le papier blanc, c’est le possible qui te fait de l’œil, c’est l’horizon sans limites, c’est la liberté. Il te promet, te convie, t’incite, te dope. Il t’attend comme une maîtresse t’attend, l’oigne bien briqué, le frifri parfumé Rochas.

Je me retiens d’y faire des dessins. Ce que je gribouille, surtout, c’est des tronches. J’aime bien tracer des caricatures, à partir de rien : d’un cercle, tiens. Tu y fais des yeux, tu y fous des poils et t’as un mec. Mais là, faut pas souiller. Si tu respectes pas des dossiers en puissance, tu dérapes dans la gabegie, tu molestes tes chances de réussite. Alors je réserve mon beau faf vergé sup’ pour les choses sérieuses.

Le premier turlu est made in Béru.

— Mec ? J’ sus t’à l’hôtel… Les deux Ricains sont arrivés d’hier, en providence des Zuhessas. Y z’avaient loué une des meilleures piaules depuis quéqu’ semaines déjà, par correspondance. Y z’habitent dans le canton du Nez-braquemard, dans le centre des Zétazunis, près de Lincon qu’est la capitale. Leur plantation de bœufs s’appelle Red Ox Farm. À cause du décalement horaire, en se pointant, hier soir, y’s’ sont pieutés dare-dare et d’après ce dont je conclu, y’ n’ sont levés que juste pour aller chez Cricri. Paraît qu’y z’ont reçu un coup de turlu ce matin. D’après l’estandard, y z’en écrasaient ferme et y’a fallu les carillonner un bout de temps avant qu’ils décrochassent. Je m’ai permis de mater leurs bagages. J’ai trouvé leurs biftons d’avion. D’après les retours, y s’raient rentrés à tome demain. D’ailleurs, y n’avaient qu’une valoche pour deux, avec pas lerche de change. Y n’avaient pas d’enfants. T’as d’autres éducations à m’ donner, Capitaine ?

— Va faire un tour chez les aminches d’Interpol et tâche d’en apprendre sur ce couple. Ce qu’ils sont, comment ils vivent aux States, s’ils avaient des relations en France, surtout s’ils connaissaient Christian Bordeaux, etc.

Le deuxième grelot, c’était la Pine. En plein catarrhe, Baderne-Baderne. Le tout beau rhume inguérissable qui te fait une saison complète. Chacune de ses phrases s’achevait en éternuement et il parlait tellement du nez qu’on se demandait à quoi lui servait d’ouvrir la bouche.

— Zan-Hantotchoum ?

— Alors, la Vieillasse, queue de novice ?

— Che biens te dégoufrir guelgue chose d’indérézant…

À croire qu’il est devenu Teuton, l’Ancien ; un vrai alboche, bien bavarois d’avant 1870, débarqué en France reich en tant qu’uhlan.

Il m’annonce qu’il est allé au siège du club féministe auquel appartient Valérie Bordeaux. Les douze amazones du voyage robinsonesque se sont embarquées à la date fixée, mais Valérie est descendue à l’escale technique de Madrid et a repris un avion pour rentrer à Paris. Elle est repartie cet après-midi même, c’est-à-dire après la mort de son époux, pour l’île enchanteresse où ces dames hyper-féministes goûtent aux joies de la vie primitive et, probably, à celles non moins ancestrales du gigot à l’ail.