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— Che bai zézayer de safoir ze gu’elle a fabrigué ces jours à Baris, promet Pinuskaya en conclusion…

Les notes s’accumulent sur mes ramettes de beau papelard. Pendant que je les rédige, Claudette s’installe entre mes jambes, sous le bureau, pour me primesauter l’engourdisseur à fourreau. Elle est choucarde tout plein en suppliante, Claudette. C’est la belle imploreuse d’abandon. Te permet de travailler à tête de nœud reposée. Elle te voluptise l’au sud de la Loire avec une tendre nonchalance qui te rend pacha, pour un moment. Une vraie secrétaire, quoi. Note que la Maryse aussi n’est pas mal. Dans un autre style. Plus fougueux. Elle y va moins volontiers à la langourance, elle. C’est le ramonage en force, l’arrachage de copeau péremptoire.

Un coup de tube de Mathias…

Il vient de passer une heure avec la gentille soubrette et l’a, prétend-il, confessée bien à fond. Il a eu l’idée de se rendre au dancing où le copain de Louisette prétend avoir aperçu sa patronne. Le personnel de l’endroit a reconnu celle-ci sur l’une des photos fournies par la bonne.

Ça paraît carburer. S’assembler vaille que vaille.

Ma belle écriture de magasinier dépose noir sur blanc ces précieux éléments, tandis que mon cerveau de génie à part entière les interprète admirablement.

Le petit écran de télex de mon bureau se garnit soudain de lignes rageuses, et qui n’ont pas besoin de signature pour révéler l’identité de leur expéditeur. « Avez-vous lu la presse du soir ? C’est le scandale. Les assureurs vous traînent dans la m… et je ne saurais leur donner tort. »

Nouvelle giclée de bile du Tondu. Heureusement que je n’ai pas à le rencontrer physiquement, ce schmurts. Madoué, quel shampooing il me passerait !

Je masque l’écran, histoire de couper aux prochaines invectives. Ce que j’ai envie de me carapater aux antipodes ! C’est rien de le dire… Je filerais bien à mon tour dans l’île enchanteresse qui…

Mais au fait… Mais… Mais…

……………………………………………

Imagine la donzelle de haulte volée. Piaffante, rugissante, seizièmante. Avec des cris, des mots, des jurons, des rires, des hennissements, des pouffades, des œillades. Bref, la panoplie de simagrées la plus complète, la plus perfectionnée de Paris.

Elle dirige l’Eva-Club, Mlle de Troufigne. Une idée à elle, cette espèce de mini-club Méditerranée féministe pour millionnaires. La libération de la femme par le retour à la nature. Quelques fumelles blasées, trop ou trop mal baisées, s’inscrivent pour la bagatelle d’une brique la cotisation annuelle. Et poum, elle te les expédie aux Caraïbes en un rien de temps, faites chauffer l’atoll. Les déguise en naufragées, ces belles dames d’Auteuil-Passy. Retour aux sources pures de la vie animale. Les v’là loin, coupées du monde, assurant elles-mêmes leur subsistance avec des cannes à pêche et des ouvre-boîtes, ces vaillantes. Réapprenant le monde à la base. Lisant l’univers dans le texte.

Elle me raconte son but, son œuvre, le devenir de sa mission terrestre, Mlle de Troufigne. Comment, lassée de tout, même de l’espérance après avoir pompé quinze pafs, une nuit de spleen et subi les assauts de douze messieurs, dont trois avaient la bonne fortune d’être arabes, elle avait saisi l’inanité des choses (de celles des messieurs en tout cas). Le brusque mépris de soi, d’une vie mondaine trop jerkeuse, à goût de foutre et de gin-tonic. La répugnance des aubes nauséeuses…

Tout ça, elle l’avait ressenti à la volée. Avait compris que son existence débouchait sur un carrefour. Elle devait choisir entre : le suicide, le Carmel, la prostitution, les lépreux de Lambaréné. Alors, courageusement, elle avait fondé l’Eva-Club. Un succès fulgurant. Tant et tant d’âmes en peine attendaient après une telle initiative ! Chère femme ! Bienfaitrice d’une humanité putrescible ! Seul le Nobel de la Paix saurait récompenser un jour action si noble.

Je la laisse tartiner, comprenant qu’avec une cavale de ce genre, tu ne peux pas causer sérieusement si au préalable elle ne s’est pas vidée du plus gros. Faut qu’elle s’évacue le torrentiel. Ensuite on s’installe dans son essoufflement, on s’hâte de lui banderiller l’essentiel.

Je lui pose mon problo très nettement.

Ô merveille : elle en reste sans voix, enfin ! Puis, son naturel de jument revenant au galop :

— Vous ! Un homme ! Aller là-bas… Avec mes « chères sœurs »… Êtes-vous fou ?

C’est alors que je lui ai fait la réponse qui allait décider de tout :

— Fou, non. Mais folle… peut-être.

II

NOUVELLE VERSION DU JARDIN DES SUPPLICES

(LA MEILLEURE !)

Elle est belle, la grosse Béru, avec sa jupe carrée de cheftaine, son chemisier jaune à impressions rouges, sa perruque acajou, en parfaite harmonie avec ses yeux pourpres, ses longs cils façon Carmencita et les fards vifs répandus en abondance sur sa frite harmonieuse. Elle a un « genre », comme disent les bonnes gens ternes auxquels il n’arrive que la vie dans la vie. Un genre singulier, piquant, presque mystérieux. Ses belles lèvres sensuelles, surtout… Croûteuses d’un rouge passé à la truelle.

Non seulement son sexe, non seulement son faciès, mais son identité a changé, à cette jolie petite chérie. Par la grâce de nos ressources en faux fafs, elle est devenue la baronne Adeline de Beauprose de la Ray-Fendhu. Ses boucles d’oreilles, ses bracelets, ses bagouzes étincelantes, la transforment en une sorte de traîneau tyrolien, riche en sonnailles de toutes tailles. Un vernis onguleur, carmin foncé, dissimule opportunément les ébréchures et l’endeuillage de ses ongles. Bref, c’est de la personne de classe, bourrée de beaux restes.

À propos de restes, je ne suis pas en reste, moi non plus. Charogne, tu verrais la belle gonzesse que j’eusse fait si ma Félicie ne m’avait pas doté d’un pousse-au-crime. En brune ardente, les loloches pointées, la taille bien prise, la jupe fendue, je te jure que je suis mon genre. Je me rencontrerais dans un bar ou à un enterrement, aussi sec je me ferais du rentre-in.

Le vieil hydravion que nous avons pris à Port-Jules quincaille à tout va. Il pue l’huile chaude et le crin moisi. Son pilote, un solide dragénaire aux cheveux blancs, chemise bleue à épaulettes, manches roulées, style baroudeur en état de précirrhose, louche sur moi fréquemment, me rassurant ainsi quant à la qualité de mon travesti.

— Alors vous allez rejoindre les autres sauteuses ? il m’hurle pour dominer le boucan de ses pistons en déroute.

J’opine d’un très gracieux mouvement de menton.

— Quelle idée d’aller faire la conne avec ces maboules ? insiste-t-il, une jolie fille comme vous… Vous êtes gougne ?

— Quelle idée !

— Vous avez une gueule à aimer les femmes.

Je souris mystérieusement. Pour aimer les femmes, ça tu peux le dire !

Béru qui a entendu éclate d’un rire qui manque quelque peu de féminité, depuis le siège arrière.

— Elle ! gazouille cette gente matronne, c’est la plus grande bouffeuse de frifris qu’on aye homologué depuis Noisy-le-Grand jusqu’à la planète Mars.

L’hydraviateur me balance une moue néfaste.