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— Merde, ça vous dit donc rien de tâter du mec ?

— Absolument pas, pouffe le Mastar, lequel se complaît dans les quiproquos avec autant de volupté que Feydeau soi-même.

— Est-ce que vous avez essayé, au moins ? insiste le baroudeur de charme.

Je me réfugie dans un gloussement évasif, propre à toutes les interprétations.

— C’est la maladie du siècle, quoi, l’homosexualité, commente notre driveur. J’arrive pas à piger. Je préfère l’inceste. Moi, si je vous disais, ma première conquête, ç’a été ma tante Olga. J’avais quinze ans à peine, elle, elle n’avait pas franchi la barre des quarante. Son mari a dû faire un déplacement à l’étranger. Pour tromper l’ennui, elle est venue à la maison. On habitait un logement de trois pièces, mes vieux. On s’embarrassait pas de préjugés. Il a été décidé que tatan Olga pieuterait dans mon plumard, et moi par terre, sur un matelas. De la sentir là, de nuit, près de moi, j’en tremblais… Depuis des années déjà je me luxais le poignet à me tailler des rassis à sa santé. Et tantine, croyez-moi, elle était excitante : potelée comme Madame, là derrière… La seconde nuit, je n’y ai pas tenu. « J’ai froid ! ai-je déclaré en la rejoignant dans mon plumard… » Elle n’a rien dit. Je continuais à grelotter, pas de froid, d’émotion. Je me suis pelotonné contre elle. J’avais une queue d’âne. J’ai toujours eu une queue d’âne. C’est héréditaire chez les Monminet : la queue d’âne. Tous, de père en fils. Grand-père avait une queue d’âne, papa a une queue d’âne, j’ai une queue d’âne, quant à mon fils Julien, il bat les records : lui c’est de cheval ! Bon, quand tantine a senti remuer ce mandrin, contre sa cuisse, elle s’est demandée s’il n’y avait pas un boa sous les draps. Elle a voulu vérifier. Une fois qu’elle a tenu l’outil en main, vous parlez que c’était trop tard ! Ah, mesdames, si vous saviez ce que ça a été, le séjour d’Olga. Les troussées que je lui ai foutues, à ma gentille tatan ! « Tu es mieux monté qu’un homme, mon petit chou, me gazouillait-elle à l’oreille. » Car son bonhomme arborait le petit module de sous-officier de carrière, lui.

Il a un grand sourire extatique par rétrospection sous-cutanée.

— Vous vivreriez des moments pareils, ma petite, je vous fous mon bif que vous ne boufferiez plus de gigot de votre vie, même avec une mayonnaise.

Je le laisse à ses rêves…

— Vous faites souvent le trajet de Port-Jules à l’île de Foumizi ? coupé-je court.

— Ça dépend… Quand les autres pétasses sont arrivées, je me suis payé plusieurs navettes. Et aujourd’hui ça fait la deuxième fois que je m’y rends…

— Ah oui ?

— Oui, j’ai déjà amené deux bonnes femmes.

— Deux ! m’exclamé-je.

— Pas mal, une surtout, châtain croquignolet, avec plein de taches de rousseur. J’aime les taches de rousseur, ça me fait triquer. D’ailleurs n’importe quoi me fait triquer, je pense que c’est consécutif aux trépidations de l’appareil, non ?

— C’est vrai, renchérit étourdiment le Gros, ça fait vachement goder, votre zinc, comme si qu’on aurait un vibrator dans l’oignon.

Heureusement, l’hydravion commence à dévaler la pente et le ronflement des moteurs se fait plus puissant.

* * *

Quand t’amerris (de ton arrondissement) à bord d’un hydravion, t’as la sensation de te planter au sein profond des eaux, comme l’étoile du soir à Musset (t’as d’ailleurs le bonjour d’Alfred). La tisane monte en geyser plus haut que le pare-brise, les hublots. Oui : tu sembles t’engloutir. Et tu peux pas retenir une angoisse. Et puis l’eau dégouline, le pilote branche ses balais d’essuie-glaces et le soleil t’est rendu, avec des horizons rassurants.

Bon, on se stabilise. Le zoizeau de mer enrogne de trop ronfler sur place. Il devient gros canard jaune, se dandine sur la baille, pataud et souple à la fois. J’avise un long ponton de bois, tout branlant et de guingois. L’appareil s’y dirige. Stoppe. Pas commode de descendre d’un hydravion. Avec des jupes surtout. Béru manque se filer à la tasse, comme de bien entendu, et il aurait eu droit à son plongeon si le pilote et moi ne l’avions opportunément cramponné chacun par une anse. Le juron qu’il pousse ferait saigner le tympan d’un charretier ivre.

Aussi, lorsqu’il se retrouve en équilibre stable sur le ponton, l’hydraviateur laisse-t-il tomber d’un ton cinglant :

— Si toutes les bonnes femmes se comportent comme des julots, moi je vais finir par embroquer des vaches !

* * *

Tu connais le paradis ?

Tu connais pas le paradis ! Ben qu’est-ce qu’on t’a appris au catéchisme ? Viens avec nous, gars, que je te montre à quoi il ressemble, même quand le Seigneur Bon Dieu n’est pas là pour t’accueillir. Vise un peu cette plage au sable presque blanc. Cette mer plus bleue que le ciel bleu, et frangée d’une écume d’argent. Mords-moi ces cocotiers nonchalants, dans lesquels ramagent des oiseaux que tu peux toujours chercher les pareils au jardin du Luxembourg ! Respire cet air embaumé qui flanquerait la diarrhée verte à mes copains de chez Printil, lesquels transpirent tant à te mettre en bombine le parfum des îles Borromées. Vois (urinaire) combien bellement scintillent ces milliers de coquillages parsemant le sable. La vie est là, simple et hors de prix. Tranquille ?

Nous l’allons constater bientôt.

Nos deux valoches sont déchargées à la volée par le pilote à queue d’âne (Si Queue d’âne m’était montée !).

L’hydravion fait glissade arrière, manœuvre, flot avant, décarrade superbe entre une double magistrale colonne d’eau irisée. Nous restons seuls — pardon : seules — avec nos bagages, nos jupes claquant dans la brise odorante, comme des drapeaux au bout de leurs mâts. On regarde, on écoute… Impressionnant, cette paix béatifique. Parfums capiteux, zoiseaux chanteurs, siffleurs, interjecteurs.

— Bon, ben, hein ? me fait Béru.

Situation brillamment résumée. La concision poussée à son squelette.

— Eh ben, oui ! je lui réponds.

Chacune chope son paquetage.

On s’avance vers la terre ferme. Une sente éclatante continue le ponton, qui plonge dans la forêt de cocotiers.

— Ben où qu’elles sont, nos bien chères sœurs ? ricane la Gravosse. Tu voyes pas qu’on soye seulâbres dans cette île : Sugar Robinson et Vendredi saint !

Comme pour le rassurer, un long cri harmonieux retentit, en provenance des frondaisons.

— Haou ou ou ou…

Aloha, le chant des îles !

Nous, on se confectionne d’urgence des voix d’eunuques pour répondre :

— Haou ou ou…

Et puis on voit s’avancer à notre rencontre une créature que je ne saurais trop te recommander pendant que ta bonne femme est en vacances au Touquet avec les mômes. Brune, les cheveux longs dénoués, vêtue d’une sorte de paréo imprimé que ça représente de la peau de panthère. Elle est bronzée au point que tu pourrais la croire colored woman. Elle nous arrive contre avec un immense rire d’une blancheur immatriculée dans les îles du soleil.

— Bonjour, bonjour, mes sœurs, gazouille la douce créature.

Elle sent bon la peau chaude, l’embrocation délicate, les fleurs tropicales.

Et de se presser sur nos poitrines de caoutchouc, en nous embrassant fougueusement, ivre de liberté, de bonheur d’être, de printemps. Que le Béru, déconcerté, pris au débotté, tiens voir, se met à shooter du mandrin, le bougre. Lui, tu penses, un attouchement furtif, le v’là qui interprète l’hallebardier. Alors une déesse de cette catégorie, si souple, si chaude, si appétissante, pour se contenir, va lui falloir des sangles à toute épreuve. La ceinture de sécurité à enrouleur automatique.