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Attends, j’arrête. Si je m’écoutais, je te pondrais un autre zinzin qu’il faudrait vendre plus cher et qui serait moins marrant.

Simplement, je t’annonce qu’il va se passer des choses véritablement étonnantes.

Et dans pas très longtemps.

C’est tout.

Dame Bérurière tousse à s’en arracher les soufflets. J’ai beau lui tambouriner le dossard, il tire des rafales de quintes éclaboussantes. Ses yeux faits s’exorbitent. Son rimel est en crue. Son rouge à lèvres bave comme sur une image d’Épinal (Vosges).

— Qu’est-ce qui t’arrive, douce Adeline ? m’apitoie-je.

Entre deux expectorations, la chère mignonne m’annonce qu’elle a un chat dans la gorge et, pour preuve, me montre un ravissant poil blond qui tire-bouchonne sur sa langue.

— Cette conne de Judith… Un vrai fouinozoff d’artichaut… Devrait remplir son bidet avec Pétrole Hahn Bleu… Elle va devenir chauve du frottoir, cette doudoune… P’t’ être qu’elle mue, note bien… Le changement de climat… J’ sais qu’une fois, Berthe, ça y est arrivé… aux îles Balnéaires, à Pèlemoi-le-Majorque… Elle s’effeuillait des frisettes, Berthy… Une pure calamité… Je toussais pire qu’un vieux mineur de fond… Note que j’ai une dent d’ devant qu’accroche… Ça fait râteau, tu comprends ?… Quand je clapote dans le bonheur à la dame, je la plume sans qu’elle susse, au milieu de la jouisserie, fatal… Dedieu de Dieu, j’ m’en ai offert toute une botte… Doit z’avoir besoin de se faire stopper le trésor, maintenant… P’t’ être que si j’éclusais un kil de rouge ça y entraînerait, non ?… J’ me fais penser à grand-père, quand on bouffait du poisson et qu’ j’y cachais ses lunettes, pas qui voye les arêtes… Comme quoi qu’a une justice… Moi j’ peux tout de même pas mettre des bésicles pour croquer le prose d’une sœur, merde !

Et il tousse, tousse, à faire pitié. Touillant sa vaste bouche d’un médius pour toucher rectal dans l’espoir d’en extraire des pilosités engendreuses de quintes.

Judith, repentante, lui apporte une bouteille de champ’ qu’il boit au goulot, s’arrêtant toutes les deux goulées afin de trier les bulles et de les restituer à la brise du soir.

Après, ça va bien, on bouffe. Toutes les dix-sept (on est dix-sept en comptant la petite noirpiaute musicienne et pourquoi on la compterait pas, hein ? On n’est pas raciste au Fleuve). Repas charmant, bourré d’entrain, de rires apaisés, de facéties multiplement diverses. On se raconte des histoires de bonshommes, ces connards qui se prennent pour la bite de Jupiter. Des gausseries noires, que tu ne peux pas imaginer, toi qu’es un pauvre gonzier, combien elles sont garces et perfides, les frangines, surtout en groupe. Cette excitation mauvaise pour nous dénigrer. Leurs travers, aux julots, leurs naïvetés si pauvrettes, si mesquines… Et ce qu’ils racontent avant de baiser, et la manière stupide qu’ils baisent, et cette façon de comporter, après le coïtum, quand l’animal est triste d’avoir lâché sa fumaga dans leur tuyau d’orgue plein de délices et d’amours au féminin pluriel.

Ah oui, drôle d’étendage de linge sale lavé en grande famille. Le mâle renié, dénoncé, mis au pilori, découillé d’importance. Je les imagine, en ce moment, leurs ronfleurs à ces dames, gazouillant leurs sornettes de garçons coiffeurs à des pétasses loquées sublime ; chez Maxim’s ou ailleurs, contents d’eux, de leur situation, de leurs épouses qui s’entrelèchent à l’antipode. Cons enfoutraillés de sottise, les bonshommes. Ah ! comme elles le savent bien, ces jolies ! Comme elles exploitent rationnellement la bêtise des matous. Te les cultivent en ingénieuses agronomes consommées.

J’écoute et renchéris prudemment.

La nuit s’avance.

Nous avançons dans la nuit.

* * *

Grisées de mots, de mets épicés, de vins délicats et d’odeurs suaves, nous nous mettons au plumard. Des insectes moulinent des élytres dans le silence entier de la nature éteinte.

Il y a encore quelques parties de lichette, de-ci et là. Et puis c’est la grande dorme.

Pour les autres, car Mlle San-Antoniote ne roupille pas, elle.

Mais pense.

L’affaire Christian Bordeaux me tournique au fond des mémoires, si lointaine, si improbable, que je me demande s’il ne s’agit pas d’un rêve ou, pour le moins, d’une chose lue quelque part, voici fort longtemps.

J’ai du mal à évoquer le comédien, ce type triste et menacé qui divorce d’avec son épouse, puis la répouse sans s’occuper d’elle, mais en lui laissant une fortune colossale. À trois cases de la mienne, son héritière repose, nantie, entre autres biens, d’un confortable milliard. Sait-elle qu’elle est veuve ? Est-elle impliquée dans le meurtre ? Tout porte à le croire. Ne jamais perdre de vue le vieil adage : « cherchez à qui le crime profite ». Non, jamais ! Il te conduit immanquablement sur les sentiers tortueux de la vérité.

Je bâille dans le noir. Béru, quant à elle, ronfle, selon sa belle habitude. Chère Adeline…

Histoire d’un 2 juin. Pourquoi a-t-on assassiné Cricri ce jour-là ? À cause de l’assurance. Mais lui, pourquoi avait-il contracté cette assurance pour le 2 juin ? À cause de son rêve ? Ça me paraît branlant. Savait-il au contraire qu’on devait le tuer le 2 juin ?

Il va falloir, dès demain, que je me lie d’amitié avec Valérie. Elle m’intéresse, cette étrange épouse. Est-elle réellement tout terrain, au plan de l’amour ? Men and women ? Le godelureau de bal musette, et la copine gourdasse, ça veut dire quoi ? Elle vivait pratiquement séparée de son mari, de corps du moins. Pourtant, il lui lègue un milliard. Elle devrait se trouver dans l’île depuis plus de huit jours, cependant elle s’y est pointée après l’assassinat de Bordeaux…

Et puis, qu’est-ce que c’est que ce couple débarqué des U.S.A. qui se la radine chez Bordeaux pour le trucider, mais que lui bute en priorité. Les Fleep ont-ils partie liée avec les deux installateurs en téléphone ? N’aurais-je pas mieux fait de me rendre à Red Ox Farm pour tâcher d’apprendre des choses sur ces gens, plutôt que de venir ici ?

Et Bébert, Ludo, Éléonore ?… Trio pittoresque, personnages scabreux, sortis du cirque et de la boîte de travelos, dont Bordeaux faisait sa compagnie. Bordeaux le triste, glorieux mais blasé, adulé mais impuissant. Que trouvait-il d’intéressant à ces bouffons ? Pourquoi préférait-il leur société à celle de gens plus normaux, et surtout plus intelligents ?

Le cas m’intéresse. Chose surprenante, il me pousse une sorte de tendresse pour le comédien mort. Il avait peur, il était fragile, c’était un homme perdu dans les plis de sa gloire, et malgré tout, quelque chose en lui m’inspire un obscur respect. Est-ce sa mort, cette mort qu’il avait prévue et annoncée, qu’il avait « exploitée », est-ce cette mort shakespearienne qui le grandit ?

Bon, c’est râpé, malgré la douceur de l’îlot, son climat envoûtant et les délices qu’on y goûte, je ne pourrai pas dormir.

Alors je me lève, en chemise de nuictée. Je vais tourner pédoque, mézigue, si je continue. La grande Toinette !