— Moule-moi avec ton piano, Gros, et amène ta viandasse.
— Où ce que ?
— Au musée des horreurs. J’espère que tu n’as pas de crise de foie en ce moment car tu risques d’aller au refile, je te préviens.
Judith, réveillée par notre converse, s’inquiète de ce qui se passe. Je lui réponds qu’on va respirer le silence marin sur la plage, et elle se rendort.
Bérurier me suit en se grattant les noix, sa main passée dans la culotte baby-doll de son pyjama à fleurettes.
Au réveil, faut toujours qu’il entreprenne les fenaisons, Mister Babar, manière de remettre ses morbachs au pas. La nuit, ces petits messieurs s’en donnent à couille-joie et prennent le marécage du Mastar pour un terrain de sport. Alors, l’ongulé Béruréen rétablit le service d’ordre.
— Tel que j’ t’ connais, me dit-il, y’a dû se passer quelque chose de plutôt gratiné, non ?
— Plutôt, en effet.
— Quoi-ce ?
— Je préfère t’en laisser la surprise.
Je lui montre la case de Valérie.
— Si tu veux bien jeter un œil, mon Chéri.
La Grosse Adeline retire la main de ses steppes et pénètre, sans hésiter, dans la pagode du crime.
Quand elle en ressort, je la trouve plutôt pâlotte, la Bérurière. Un long gargouillement s’échappe de ses entrailles. Brusquement, elle pose sa culotte de pyjama et s’accroupit sur une plante grasse qui ne le sera pas moins après qu’il l’ait marquée de son sceau.
— Escuse, me dit-il en cueillant une feuille de cactus pour pallier l’absence du faf à train, mais ça m’a dérangé l’estom’, ce spectac’.
Je m’écarte pudiquement de sa tornade. Sa Majesté demande entre deux salves en comparaison desquelles le sabordage de la Flotte Française à Toulon ne fut que bombe surprise pour fin de banquet :
— Tu crois que c’est sa potesse qui l’a décapsulée ?
— Je l’ignore.
— T’as maté les paluches de la gonzesse ?
— Il s’agit peut-être d’une mise en scène.
— Elle est droguée à bloc.
— Je sais. Mais elle a pu se charger « après » le meurtre, pour faire croire que…
— Elle se serait lavé les pognes.
— Pas fatalement, au contraire, elle a pu prendre le parti fort astucieux de créer l’énorme mise en scène qui apparemment l’accable afin de mieux se justifier. Il paraît tellement insensé qu’elle ait décapité son amie et se soit recouchée les mains pleines de sang…
— Qu’est-ce que tu comptes faire ?
— Des vérifications. Nous sommes dix-sept personnes sur cette île. Valérie est la victime. Toi, moi, nos deux copines de case sommes innocents. Ça fait cinq. Ôté de dix-sept, reste douze. L’amie de Valérie est la suspecte number one. Nous devons examiner minutieusement les mains et les effets des onze autres filles restantes. Il est impossible de sectionner la tête d’un individu sans recevoir des éclaboussures. Même si la meurtrière (car je dis meurtrier, mais c’est FATALEMENT d’une meurtrière qu’il s’agit) a mis des gants et une blouse de maquignon, elle porte sur les pieds, dans les cheveux ou ailleurs, des traces de son meurtre. Aussi, voilà ce que nous allons faire…
Touchant tableau que celui montrant Antinéa et la musicienne noire, nues, enlacées, enchevêtrées presque, sur une couche de rêve, large et basse.
Ah oui ! Et comme en d’autres circonstances on profiterait du spectacle. Mais après avoir contemplé celui de la case voisine, on n’a pas tellement le cœur à découper les posters de « Lui » pour les fixer aux murs de sa salle de bains.
La lumière réveille ces deux créatures pour songe d’une nuit d’été. Antinéa délace sa jambe droite qui faisait des nœuds à la gauche de la yukuleliste.
— Que voulez-vous ? nous demande-t-elle, troublée par notre présence à son chevet, mais point inquiète.
— Un renseignement, mon petit.
— À cette heure !
— Si l’une de nous avait un accident, un accident grave, que feriez-vous ?
— Mon Dieu, je la soignerais.
— J’ai dit un accident très grave !
— J’enverrais des fusées rouges, c’est l’unique moyen que nous avons de donner l’alerte.
Je lui saisis les mains et les examine attentivement. Elles sont d’une netteté absolue.
— Que faites-vous ? demande la môme, interloquée.
— Un contrôle, ma belle. Car un accident très grave s’est produit au camp des délices, et j’aimerais savoir qui l’a provoqué.
— Quel sorte d’accident ?
— Je vous le dirai dans un instant.
Je fais un signe au Mastar, lequel se met en devoir d’explorer les effets de ces demoiselles. Moi, à tout seigneur tout honneur, je me réserve leur peau exquise. Pas un millimètre carré n’échappe à mon zœil de faucon authentique. Je suis aussi minutieux qu’un horloger réparant une tocante extra-plate.
Rien ! Rigoureusement rien.
— Rien ! me renvoie Bérurier.
Alors Antinéa pousse un cri identique à celui d’Euréka découvrant le pistolet à fléchettes.
Puis, comme si son exclamation n’avait fait qu’ouvrir une porte, elle s’exclame :
— Mais ! Mais ! Mais c’est un homme !
Et son index tremblant me montre le dargibus à Pépère. La culotte a crevé pendant les investigations de mon ami. Il a le monumental à l’air libre avec, par en dessous, sa joyeuse panoplie de bougre. Comme il ne serait pas crédible de prétendre que Béru est en réalité une pompe à essence, force m’est de convenir qu’il appartient au genre masculin.
Alors, faut que je te raconte, la donzelle me file la menine aux ciseaux. La vraie saute-au-paf impétueuse !
— Et vous aussi ! déclare-t-elle en palpant tout ça.
— Je ne vous le fais pas dire, réponds-je penaudement.
Tu crois qu’elle va me conspuer, Antinéa ? Me traiter de mâle ? Me décréter en quarantaine ? M’émasculer ?
Penses-tu, mon mignon !
Elle part au braque à cent trente à l’heure. Me cigogne la manette des gaz comme une effrénée qui freinerait pas. En gloussant des désirades. Si bien que, moi, homme de peu de retenue, je me retiens plus.
L’escalade comme un zouave escaladait un mamelon tenu par des Prussiens sanguinaires.
Après tout, hein, c’est pas parce que Valérie a été décollée que ma vie sexuelle doit tomber en rideau. J’ai des glandes exigeantes, moi, l’aminche. Des vraies, dodues comme du poulet de Bresse. Leur faut de l’espace bital. Elles ont besoin de gambader. Alors je leur lâche la bride, à ces chéries. Qu’elles folâtrent à leur guise. Et c’est la très belle prestation, digne du Cadre Noir de Saumur. Je me paie un sans faute dans la première manche, malgré que je n’eusse pas primitivement reconnu le parcours.
Ce que voyant, la Bérurière redevient officiellement Bérurier. Se débarrasse de ses oripeaux féminins. Il a un glorieux ventre sombre, drapé d’astrakan. Son manche à baratte est au beau-fixe comme un baromètre dans le Sud Marocain.
— Faut jamais rien faire devant les enfants, déclare le digne personnage, aussi je te vais me payer la noiraude. Si vous voudriez bien tourner vot’ cul du côté de Villejuif, mon trognon, je vous promets qu’ensuite l’idée viendra plus à personne de vous appeler Mademoiselle !
Toute description devenant impossible, question de décence, je me contenterai de t’annoncer qu’on se fait un doublé carabiné, digne de la romantique Rome antique. Que nous leur jouons Ramone-Moi, à ces bergères tropicanales. Le Petit-Voyou des Faubourgs, édition non expurgée. On les prend, deux points : à la cosaque, à la hussarde, en levrette, en point de mire, en grippe, en trombe, en trompe, sous notre protection, en marche, en long, en large, en travers, par devant, par derrière, par côté, par le haut, par le bas, par le bon bout, à pleines mains, par la taille, par les cornes, avec des pincettes, au sérieux, en croupe, sur nos genoux, comme pensionnaire, à notre compte, à contre-poil, par la queue, à cœur, au tragique, à la légère, de haut, en mauvaise part, en amitié, en considération, à notre service, à témoin, à partie, pour d’autres, pour des connes, vivantes, argent-comptant, par leur point faible, en flagrant délit, sur le fait, au dépourvu, de court, la main dans le sac, à l’improviste, à leur aise, avant le repas, dans nos rêts, dans nos raies, pour ce qu’elles sont ; on les prend comme des fous. On leur prend tout : leur temps, leur argent, leur pouls, leur température, le rond. On en prend et on en laisse, on les laisse sur de tendres effusions, des serments, des promesses, des râles, des attends-que-je-te-jagoute-encore.