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Par moments, je me dis que tu vas être content. Une impression. Un nuage. Bon, il est passé.

Alors je passe dans la pièce qui succède au séjour, et je tombe sur une vaste chambre qui fait bureau en même temps. Elle peut être coupée en deux par une fermeture à soufflet comme il en existe dans les restaurants pour rendre la salle plus petite pendant la morte-saison, pas que les rares clients deviennent agoraphobes. Mais on devine que ce système de séparation n’est pratiquement pas utilisé ici et que les propriétaires emploient (employaient) la totalité de la surface.

Un qui agit avec dextérité, c’est San-Antonio, mon Canard. Hou you youille, tu le verrais, preste et prompt, calme, méthodique, tout ça, bien comme il faut. À la fois, tu comprends ? Sans fébrilité qui te pousse à la foirade malencontrueuse. Un tiroir, boum. L’exploration scientifique, taclantaclantaclan. On referme. Zou. Un autre… Ainsi de suite… Dossiers… Paperasses… Feuilletage expert. L’œil de lynx après l’action Lissac. Ça, c’est quoi ? Rien d’intéressant. Et ça ? Pas mieux ! Ce coffre ? Du flouze. Actions, obligations, pognon ; reconnaissances de dettes, de Sudètes, des bijoux… Et cette boîte tendue de tissu à mignonnes jolies petites fleurettes rose pâle ? Des lettres. Ah ! Ah ! Des photos ! Les lettres ? Merde ; écrites en français. In my pockett. Photos aussi. Je trierai plus tard… Ça fait combien de temps que je suis ici ? Deux minutes trente, déjà ? Tu crois que Béru aura suffisamment d’autonomie de connerie ? Faudrait pas exagérer.

La fenêtre de la chambre-burlingue étant ouverte, je saute à l’extérieur.

Regagne la voiture où le vieux Chmoll au chapeau frappé du sceau béruréen somnole dans une odeur d’huile surchauffée.

À la Red Ox Farm, le chahut continue. Des cris se sont joints au tintamarre. Enfin Ben Moy sort, courroucé, et désigne notre guimbarde d’un index chargé de malédiction. Béru apparaît, chiffonné, blanc comme un yaourt roulé dans la farine.

Go home ! Go home ! hurle Moy.

Les Amerloques qui nous crient go home, à c’t’ heure !

Ah, je te jure… On aura tout vu, tout entendu, tout subi.

* * *

— Alors, donc, pour t’en revenir à ce petit singe dans sa cage, je m’ai amusé à y attacher un fil d’étendage à la queue. L’autre bout du fil… casseroles… qui… ce ouistiti de mes deux… la cuisinière électrique… alors la négresse… le sac de farine… juste la pile de vaisselle… le chaudron de confiture… l’autre bougne est arrivé… le vilain pas-beau en renaud… d’abord j’ sus plus français que vous, je lui ai répondu…

Il parle. Ronron. Ça doit être drôle, puisqu’il se marre. Mais je l’entends à peine, par bribes disloquées, sans lien. Je lis les bafouilles trouvées dans le coffret de Steve Fleep. Je m’interromps pour regarder les photos, comme on fait quand on bouquine un livre illustré de planches auxquelles on a besoin de se reporter de temps à autre…

— …été ?

Je lis, je lis… La voiture cahote. Le chauffeur radote, glaviote, capote…

— …été ? répète Béru.

Je m’arrache à mon extase.

— Hein ! Quoi, l’été ? Quel été, Dunœud ?

— J’ te demande si ça a été, ma fiesta. T’as pu usiner à ta convenance ?

— Magnifiquement.

— T’as du positif ?

— De l’intéressant.

— Il a l’air de te passionner c’t’ intéressant-là.

Je continue à lire. Puis je m’abîme encore dans la contemplation d’une photographie. Enfin je range le tout dans ma poche.

Le vieux chauffeur rechante sa mélopée vouesterne de l’aller.

Un truc qui fait comme ça : « dangdingdingding, dangdingdingdang », à peu de chose près.

— Dis donc, ça te fait de l’effet, ta pomme, cette visite à Red Ox Farm ? À quoi qu’ tu songes ?

— Au milliard que va carmer la Compagnie d’assurances Tousanrisque, Gros.

Il fait la moue.

— Parce qu’ils vont le douiller ?

— Un contrat, c’est un contrat !

— Il avait testiculé en faveur de sa femme, Bordeaux, non ?

— Exact.

— Et elle est morte, que je suce ?

— Tu suces bien, ricané-je (tu me diras qu’il n’y a pas de quoi, soit, mais si on se fendait pas le pébroque pour des riens, on rigolerait de quoi, hein ?). Oui, elle est morte, mais elle a des héritiers.

— Ah bon ?

— Du moins, un. Un héritier important…

Je ressors les documents piqués à la ferme, sélectionne l’une des photos.

— Le voici.

Bérurier regarde, renifle, avale.

— Il est mignon, admet-il.

VII

NE CONFONDS PAS : POMPE L’AIR ET POMPES EN L’AIR !

Il m’a l’air de se délabrer à vue d’œil, l’hydro-avion du camarade Monminet, dit Queue-d’âne. Je te parie qu’il a perdu une chiée d’écrous, d’essieux, de moyeux, de pistons et autres engeances depuis l’autre jour. Tu parles d’une grole ! Mais, plus fort que le ferraillement de l’appareil, est la rumeur qui moutonne en ses flancs disloqués. Les huit élèves de l’école de Port-Jules, ravis de se payer un baptême de l’air, jacassent comme une boutique d’oiseleur. Leur ramage s’amplifie. Ils se marrent si fort que le pilote finit par hurler un grand coup :

— Vos gueules, la vermine !

Le silence revient. Pour combien de temps ?

— J’entendais plus mes moteurs, explique Monminet, s’il m’en tombait un en rideau, je ne m’en apercevrais même pas. Quelle idée vous a pris d’emmener ces petits gueux dans l’île ?

— J’ai besoin de main-d’œuvre.

— Pour ramasser des coquillages ?

— Quelque chose dans ce genre.

— Vous m’avez bien eu, l’autre fois…

— C’est-à-dire ?

— Je vous ai bel et bien pris pour des gonzesses…

— C’était le but recherché.

— Vous êtes flics ?

— Un peu.

— Et vous traquiez l’assassin qui a zigouillé la petite dame ?

— On a essayé, mais…

Monminet n’est pas un mauvais cheval. Il ne réclame pas la mort du pêcheur de crevettes.

— Que voulez-vous, dit-il, c’est comme à la chasse au faisan : on en rate. Toujours est-il que ç’a été le sauve-qui-peut à la suite de l’assassinat. Ces dames ont pris les chocotes et se sont fait rapatrier dare-dare. Comme quoi elles n’avaient pas le tempérament si bien trempé que ça, hé ? Vous voulez le fond de ma pensée, Vieux ? Une gonzesse, c’est une gonzesse et c’est pas parce qu’elles se boufferont l’oignon de mère en fille que ça y changera quoi que ce soit.

Il rigole :

— Elles avaient tellement besoin de protection que je m’en suis payé une à chaque voyage dans le hangar, à Port-Jules. Facile. À l’embarquement, je repérais la plus salope et je la faisais s’asseoir près de moi, là où vous êtes. Je lui proposais de manipuler les commandes. Y’en avait une supplémentaire : le zob à Monminet. Moi, les trépidations, je m’habituerai jamais. C’est physique. Une queue d’âne, on n’y peut rien. Ce qui me turlupine, c’est la retraite, un jour. Quand je ne volerai plus, vous croyez que je banderai encore ?

— Y’a pas de raison…

— J’ai peur des méfaits de l’accoutumance. Plus de trépidations, plus de tricotin ! Merde…

— Faut pas cristalliser votre pensée là-dessus, Amigo. Vous risqueriez de faire une fixation, comme disent les psychiatres. Et puis on vend des vibrators pour délasser, il vous serait donc facile de reconstituer ce phénomène qui vous est bénéfique.