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Sa tactique était, en vérité, d’une extrême habileté. Il avait certaine façon de regarder longuement la princesse à la dérobée, certains soupirs artistement contenus qui entretenaient savamment l’émoi dans ce cœur de vieille fille. Et Mademoiselle, à peu près persuadée que son amour était payé de retour, pensait que la retenue de son amoureux était uniquement motivée par l’immense distance qui le séparait d’elle. Comment un simple gentilhomme pourrait-il seulement oser parler d’amour à une princesse du sang ?

Aussi, au cours de ses insomnies, qui devenaient de plus en plus fréquentes, Mademoiselle discutait interminablement avec elle-même.

C’est à moi de parler, se répétait-elle, à moi de faire le premier pas. Mais comment puis-je m’y résoudre ? Je ne suis pas n’importe quelle jouvencelle issue de n’importe où : je suis princesse et je dois choisir, dire ma préférence… mais c’est si difficile. Pourquoi ne le comprend-il pas ? Pourquoi ne m’aide-t-il pas ? Si au moins il me laissait entendre qu’il m’aime, tout serait tellement plus simple. En vérité, c’est une affreuse condition que celle des personnes de trop haute naissance.

Ces angoisses incessantes avaient au moins un avantage certain : elles coupaient à Mademoiselle son appétit, qu’elle avait très bourbonien. Du coup, elle maigrissait et devenait presque jolie.

De guerre lasse, un soir de novembre, la pauvre prit enfin son courage à deux mains. Alors qu’elle bavardait avec Lauzun dans un salon du château de Saint-Germain, elle posa par jeu son doigt sur une glace qu’elle avait embuée de son souffle, faillit écrire l’aveu qui la brûlait… et finalement ne le fit pas, s’éloigna de quelques pas et se traita de sotte. Allait-elle encore tergiverser longtemps ? N’avait-elle pas mûrement pesé sa décision ? Pourquoi attendre davantage ?

Alors, griffonnant fiévreusement deux mots sur un petit papier qu’elle plia étroitement, elle revint trouver son soupirant.

— Tenez, lui dit-elle. Prenez, mais surtout n’ouvrez pas. Promettez-moi de ne lire ce qu’il y a ici qu’une fois rentré chez vous.

— Je ne demande qu’à vous plaire, dit Lauzun en s’inclinant. Je ne lirai ceci qu’une fois rentré au logis.

Il n’allait pas tenir réellement parole car, à peine hors de vue de Mademoiselle, il ouvrit le message qui lui brûlait la poche. Qu’allait-il découvrir ?

Si brave qu’il fût, le cœur lui battait tandis qu’il dépliait le papier aussi lentement que s’il eût contenu une bombe. Mais à peine y eut-il jeté les yeux que ses traits se détendirent en même temps que sa poitrine laissait échapper un énorme soupir.

Mademoiselle avait écrit simplement : « C’est vous. »

Lauzun avait gagné.

Le dimanche suivant, il faisait très froid dans la chapelle royale, mais si Mademoiselle y tremblait comme une feuille sous ses fourrures et l’épaisseur de ses robes somptueuses, c’était moins à cause de la température qu’en raison de son angoisse : elle attendait le moment de rejoindre Lauzun qu’elle n’avait pas revu depuis qu’elle lui avait remis son message. Jamais service divin ne lui était apparu si mortellement long, jamais prédicateur ne l’avait ennuyée à ce point.

Quand, enfin, elle put rejoindre son ami, la voix lui manqua et elle put tout juste murmurer :

— Je suis transie.

— Je le suis encore bien plus que vous de ce que j’ai lu, grimaça Lauzun. Ce n’est pas bien de railler ainsi le dévouement d’un fidèle. Je vous aurais cru plus de cœur. Vous vous êtes moquée de moi.

— Moi ?

— Vous. Comment pourrais-je croire un seul instant que vous m’ayez choisi, moi qui, de tous, suis le plus indigne !

— Allons donc ! Vous avez tout ce qu’il faut pour faire le plus grand seigneur du royaume, et je vous veux tous les biens du monde.

— Par pitié ! Je serais désespéré si vous aviez pris de l’amour pour moi, parce que j’ai un si affreux caractère et que, malgré tous les sentiments que je vous porte, vous ne sauriez être heureuse avec moi.

Les sentiments qu’il lui portait ? Mais c’était l’aveu si longtemps attendu ! Enfin, enfin Lauzun avouait qu’il l’aimait.

Transportée de bonheur, Mademoiselle oublia toute retenue.

— C’est vous que je veux, et nul autre ! s’écria-t-elle, et je ferai d’ici peu part au Roi de mon choix.

C’était là langage de princesse auquel nul n’avait le droit de résister. Mademoiselle avait dit « Je veux ». Lauzun s’inclina avec le frémissement de joie que l’on devine.

Au soir du 8 décembre, Mademoiselle demeura tard au coucher de la Reine. Le Roi allait venir et elle voulait lui parler, en dépit des allusions de Marie-Thérèse qui, ne comprenant rien à cette espèce d’occupation de sa chambre par sa cousine, faisait tous ses efforts pour l’envoyer se coucher.

À vrai dire, en ce qui concernait le Roi, le moment n’était peut-être pas très bien choisi, car Sa Majesté avait ses vapeurs et son humeur s’en ressentait. Mais la Grande Mademoiselle se retrouvait l’héroïne de la Bastille et se sentait d’humeur à affronter le Grand Turc en personne, ainsi que toute son armée s’il le fallait.

— Sire, commença-t-elle fermement en se relevant de sa révérence, l’honneur que j’ai d’être la cousine de Votre Majesté me met si fort au-dessus des autres que je pense pouvoir choisir un époux selon mon cœur parmi vos serviteurs les plus fidèles sans pour autant déchoir puisque j’ai du bien et des titres pour deux.

Elle avait débité sa petite tirade d’un seul jet, sans s’y reprendre à deux fois et presque sans respirer. Le Roi réprima un sourire. Jamais il n’avait vu Mademoiselle aussi déterminée.

— Ma cousine, répondit-il, vous êtes d’âge à savoir ce que vous voulez. Pourtant, je vous prierais de ne point prendre de décision hâtive que vous pourriez être amenée à regretter. Qui donc avez-vous choisi ?

— Sire, c’est Monsieur de Lauzun. Je l’aime et ne veux aucun autre époux que lui.

Louis XIV garda le silence un instant. Il aimait Lauzun, appréciant aussi bien son esprit que sa folle bravoure, mais il avait peine à croire qu’il se fût mis à brûler d’une folle passion pour Mademoiselle.

— C’est un homme de cœur, articula-t-il enfin sans trop se compromettre. Mais, encore une fois, il vous faut faire réflexion.

— Sire, il y a un an que je ne fais que cela ! Par grâce, accordez-moi le bonheur que je vous demande. Comme vous le dites vous-même, je ne suis plus tellement jeune et je n’ai plus de temps à perdre.

Le Roi alors s’inclina.

— Qu’il soit fait selon votre désir, ma cousine. J’espère que vous serez heureuse.

Heureuse ? Mais elle l’était déjà. Elle était même si folle de joie qu’elle crut pouvoir négliger le bon conseil que des amis avertis lui donnaient : « Mariez-vous cette nuit même, sans tambour ni trompette… »

Hélas ! Elle voulait non seulement le bonheur mais, pour celui qu’elle aimait, la plus éclatante consécration. Quelques jours plus tard seulement la nouvelle était annoncée à la Cour en même temps que la fiancée publiait la liste des fabuleuses donations qu’elle entendait faire à son bien-aimé : duché de Montpensier, comté d’Eu, principauté de Dombes… tout y passait, ou presque.

Éperdu de joie et d’orgueil, Lauzun crut toucher au Paradis sur terre. Dès qu’il serait marié, ses anciens compagnons devraient lui donner du Monseigneur, et cette seule idée le plongeait dans un nirvana de vanité satisfaite. Sans compter la prochaine possibilité de puiser tout à son aise dans les coffres si bien garnis de sa future épouse. Déjà, les deux fiancés préparaient les magnifiques équipages qui allaient être ceux du nouveau duc de Montpensier.