— Je suis Madame de Miramion, je suis Madame de Miramion ! Prévenez les miens que des bandits nous enlèvent.
Le malheureux préposé à sa garde ne savait plus où donner de la tête car, lorsqu’il parvenait à la faire taire, la dame en profitait pour, de ses mains libérées, jeter par les portières, dont les mantelets avaient été arrachés dans le premier feu de la bagarre, force pièces d’argent sur lesquelles les paysans se précipitaient, en se posant tout de même quelques questions. Du coup, Guy de Rabutin crut devoir expliquer :
— C’est seulement une pauvre folle que nous emmenons à l’asile…
Mais cela ne suffit pas à calmer la curiosité. Et comme, après le relais de Meaux, Madame de Miramion criait toujours, le jeune chevalier décida de recourir aux grands moyens.
— Cela ne peut plus durer, grogna-t-il. Arrête, cocher !
Quand le carrosse s’arrêta, il ouvrit la portière et, d’une main ferme, tira l’irascible douairière sur la route.
— Croyez bien, Madame, dit-il poliment, que je suis au désespoir d’en arriver là mais, pour notre bien à tous, vous m’en voyez réduit à cette cruelle extrémité.
Et, avant d’avoir eu seulement le temps de se reconnaître, la vieille dame se retrouva seule au milieu de la route tandis que la voiture poursuivait son chemin dans un nuage de poussière.
Cependant, livrée à elle-même et désormais seule dans la voiture avec les deux gardiens, Marie de Miramion se croyait vouée à une mort certaine. La vue des tours noires de la commanderie de Launay acheva de porter sa terreur au paroxysme et, quand la voiture s’arrêta, elle demeura pelotonnée à l’intérieur, déjà à demi morte de peur.
Pourtant, ce ne fut pas le bourreau qui apparut mais un aimable garçon au visage souriant, portant sur son habit poudreux les insignes de l’ordre de Malte. Il commença par balayer les dalles de la cour des plumes rouges de son chapeau puis, courtoisement, aida la jeune femme à descendre en lui souhaitant une gracieuse bienvenue. Mais la voyageuse forcée refusa farouchement de descendre.
— Je ne bougerai point d’ici, Monsieur, dit-elle d’une voix tremblante, et si vous êtes gentilhomme, vous me rendrez compte de la singulière violence qui m’est faite avant de me faire ramener chez moi au plus vite !
Ces dignes paroles n’eurent d’autre effet que d’amener un sourire indulgent sur les lèvres de Guy.
— Allons, Madame, nous sommes seuls. Mon heureux frère est allé s’assurer qu’il ne manque rien dans votre appartement et il n’y a, près de vous, que moi. Inutile de continuer à jouer cette comédie.
— Comédie ? Quelle comédie ?
— Mais… celle de votre enlèvement. N’étiez-vous pas bien d’accord, mon frère et vous, pour hâter ainsi votre prochain mariage auquel vos parents mettaient des traverses ?
— Votre frère ? Mon prochain mariage ? Ah çà, Monsieur, mais vous êtes fou ? Et d’abord, qui êtes-vous et qui est cet « heureux frère » ?
Inquiet tout à coup, et commençant à soupçonner que Roger avait pu être abusé, Guy déclina ses nom et qualité puis ajouta.
— Je commence à croire qu’il y a eu méprise, Madame, mais je vous supplie de croire, en ce cas, à notre parfaite bonne foi…
Mais Marie avait eu trop peur pour se laisser toucher par la douceur du ton.
— Je ne veux rien entendre, s’écria-t-elle. Vous n’êtes que des bandits de grand chemin. Quant à votre frère, je ne veux même pas le connaître ! Ce ne peut être qu’un coquin de la pire espèce !
— Vous le connaîtrez cependant, Madame, fit la voix grave du comte qui venait d’apparaître. Et si j’ai eu des torts envers vous, je les réparerai. Mais il convient auparavant que vous m’entendiez. Daignez accepter ma main et me suivre.
Domptée malgré elle par l’autorité du ton, la jeune femme posa une main tremblante sur celle qu’on lui tendait et se laissa conduire dans la grande salle où une collation avait été préparée. Mais elle refusa d’accepter même un verre de lait.
L’explication fut longue et difficile. Avec une obstination d’enfant, Madame de Miramion contredisait tout ce qu’affirmait son ravisseur et répétait tout le temps :
— Je ne veux que la mort, rien que la mort !…
C’était apparemment chez elle une idée fixe, mais qui pouvait être sincère car, dans son amour de Dieu et de la religion, elle avait toujours souhaité rejoindre au plus tôt son créateur.
Dans ce dialogue de sourds, il était à peu près impossible de s’y retrouver. Comprenant qu’il avait fait fausse route, que cette femme ne souhaitait ni mariage ni amour mais se consacrer tout entière à son Dieu, Bussy s’avoua vaincu et rompit le combat. Chevaleresquement, il offrit ses excuses et fit reconduire chez elle la femme qu’il avait si longtemps espéré épouser.
Sa seule consolation fut, au moment des adieux, de surprendre dans le regard de sa victime une douceur inattendue où entrait peut-être un regret fugitif. C’était en vérité un fort beau et fort séduisant seigneur que Roger de Bussy-Rabutin…
Il ne devait jamais revoir Marie de Miramion. Peu après, elle mettait sa grande fortune au service des pauvres en se faisant la disciple de Monsieur Vincent, fondant même une communauté religieuse qui devait porter le nom de Miramiones.
Quant à Bussy, une grande carrière qui devait en faire le lieutenant du Roi en Nivernais, puis le maître de camp de la cavalerie légère et, finalement, le mener à l’Académie, s’ouvrait devant lui, brillante, hardie, jalonnée de femmes et attristée vers la fin par l’exil. Mais ce n’était jamais sans un pincement de regret qu’il entendait prononcer devant lui le nom de Marie de Miramion. Quelque chose lui avait toujours dit, au plus profond de lui-même, qu’à celle-là il aurait pu être fidèle…
En tout cas, il n’avait pas fini de faire parler de lui !…
Le roman tumultueux de la marquise de Coligny
Deux mariages et aucune vie conjugale !
Le 17 mai 1666, Roger, comte de Bussy-Rabutin, quittait la Bastille, où il était demeuré treize mois « pour avoir déplu au Roi ». Il en sortait épuisé, malade, presque mourant et c’était même pour éviter qu’il mourût en prison qu’on l’en avait tiré aux supplications de sa femme qui, cependant, était certainement dans sa vie, celle qui comptait le moins.
C’était pour une autre… et même pour plusieurs autres que Bussy-Rabutin se mourait à la Bastille : celles qui avaient causé son malheur et celle qui n’avait pas su lui rester fidèle.
Louis XIV n’aimait pas ce soldat de grande race qui avait, jadis, été l’ami de Fouquet et chez qui tout atteignait à la démesure, les défauts comme les qualités. Bussy était trop grave, trop spirituel, trop insolent, trop galant, trop amoureux, trop intelligent et trop violent !
Sa carrière militaire avait été brillante. Maître de camp, lieutenant du Roi en Nivernais, il s’était distingué au siège de Mardyck et avait suivi l’étoile du Grand Condé, son ami, en Picardie et en Flandre. Mais la Fronde venue, Bussy-Rabutin était demeuré fidèle à son Roi et jamais n’avait varié. Il eût été peut-être maréchal de France si une folie de jeunesse, un véritable scandale d’ailleurs, étiqueté par l’Histoire sous le nom de « la débauche de Roissy », ne lui avait valu l’exil.
En compagnie de quelques joyeux lurons comme lui, le duc de Vivonne, frère de Madame de Montespan, le duc de Nevers, le marquis de Cavoye, le duc de Grammont et le futur cardinal Le Camus, Bussy, au cours d’une orgie qui s’était déroulée durant la semaine sainte, avait chanté des alléluias obscènes tandis que le futur cardinal baptisait un cochon de lait. Et Bussy avait été prié d’aller réfléchir sur ses terres de Bourgogne.