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Pourtant, Monsieur accomplit le plus normalement du monde son devoir conjugal envers sa jeune épouse. Et même il en fut amoureux… quinze jours ! Pas plus car, beaucoup plus fin que l’on n’imaginait et aussi plus sensible, il sut déceler très vite l’infernale coquetterie qui formait le fond de la nature de sa femme. Il comprit très vite aussi qu’il n’avait aucune chance d’être jamais aimé d’elle et il retourna très vite à ses collections, à ses artistes, à ses joyaux et à ses amis, se contentant d’apprécier l’avantage qu’il y avait à avoir pour femme une exceptionnelle maîtresse de maison grâce à qui ses demeures allaient devenir les lieux les plus agréables de toute la Cour.

De son côté, Madame, bien décidée à ne jamais occuper que la première place, commençait à dresser ses plans et à installer ses batteries. Sans être reine en titre, elle pouvait être reine de fait. L’épouse de Louis XIV, la petite Marie-Thérèse, timide, sans éclat, confite en dévotion et parlant à peine quelques mots de français, ne pouvait lui disputer la place qu’elle ambitionnait. Philippe, qu’elle se contentait d’aimer comme un camarade un peu encombrant, ne pouvait pas être un obstacle lui non plus. Quant à celui dont dépendait cette sorte de royauté, il ne devait guère être difficile à amener à composition.

Très consciemment, avec une coquetterie raffinée, Madame se mit à multiplier les occasions de rencontrer le Roi. Et comme Louis ne demandait qu’à se laisser attirer, comme il ne rêvait que de mirer sa jeune gloire dans les yeux de diamant noir de sa belle-sœur, son entourage comprit bientôt qu’il y avait là non seulement matière à observer mais encore un certain nombre d’occasions à saisir. Aussi Madame eut-elle bientôt la Cour la plus jeune, la plus gaie et la plus folle qui fût, une Cour qui devint le centre d’attraction de ce monde mouvant qui s’agitait entre les Tuileries et Fontainebleau.

Il y avait cependant quelqu’un à qui cette grande attirance du Roi pour Madame et de Madame pour le Roi déplaisait fort, c’était l’un des membres de la suite anglaise de la princesse : le jeune et très beau duc de Buckingham, fils du célèbre Buckingham qui avait aimé Anne d’Autriche au point de vouloir la guerre avec la France.

Jusqu’à ce damné mariage avec Monsieur, le jeune duc avait été le favori, le compagnon, le chevalier servant de « Minette ». Désormais réduit à l’état de simple visiteur étranger en passe de rentrer chez lui, le beau duc s’en accommodait fort mal. Déjà, durant le voyage, il avait failli se battre en duel avec l’amiral chargé d’amener la princesse en France et celui-ci, le jeune duc de Norfolk, n’avait échappé que de justesse à ses fureurs jalouses.

Pour ramener à lui l’attention défaillante de Madame, Buckingham se mit à jeter l’or par les fenêtres et à faire mille extravagances dans le style des amoureux espagnols. Ce ne furent que sérénades sous les fenêtres de la princesse, bouquets fastueux autant que quotidiens, présents, poèmes, galanteries de toutes sortes, tant et si bien qu’un beau jour, celui qui avait le plus le droit de le faire se fâcha : Monsieur, outré des procédés de l’Anglais, s’en alla tout droit trouver sa mère pour lui dire ce qu’il en pensait.

— Voilà un homme qui assiège ma femme ! déclara-t-il tout de go, et qui, par-dessus le marché n’a vraiment plus rien à faire chez nous. Qu’on le renvoie chez lui et qu’on n’en parle plus !

Anne d’Autriche, qui avait fort aimé le père, aurait volontiers plaidé la cause du fils mais elle comprit au ton parfaitement inhabituel employé par un fils dont elle ne recevait jamais que des marques de tendresse et de parfaite courtoisie qu’il n’admettrait aucune discussion à ce sujet. Elle accepta donc de se charger de la désagréable commission.

Avec force soupirs et beaucoup de larmes, Buckingham partit donc sans espoir de retour… ce qui eut pour effet immédiat de laisser au Roi un champ parfaitement libre, débarrassé de tout concurrent valable.

Aussi, durant l’été 1661, Madame et le Roi ne se quittèrent-ils pratiquement plus. La saison était particulièrement belle et douce, sous les ombrages séculaires de Fontainebleau. Il y régnait cet air de langueur, cette douceur de vivre qui amollissaient naturellement les cœurs et les corps et les portaient à l’amour.

Dès que Louis avait achevé son travail de Roi, il rejoignait Henriette et, entraînant dans leur sillage une foule de jeunes gens et de jeunes femmes, tous deux couraient les bois, chassaient, se baignaient dans la Seine durant le jour puis, le soir venu, écoutaient de la musique, dansaient ensemble ou bien se perdaient dans de longues promenades sylvestres.

Jusqu’où allèrent ces égarements ? Nul ne pourrait le dire avec certitude mais le Roi n’était pas homme à endurer longtemps, sans s’en montrer offensé, un désir aussi violent que celui qu’il éprouvait. Quant à Madame, elle n’avait certainement pas dressé les savantes batteries qu’elle avait braquées sur Louis XIV pour qu’elles fassent long feu. Bientôt on ne douta plus guère à la Cour de l’identité de la véritable reine de France. Le Roi et sa belle-sœur ne poussèrent-ils pas l’audace jusqu’à se faire peindre par Mignard sous les apparences d’Apollon et d’une charmante bergère trônant ensemble au milieu d’une cour de nymphes et d’Amours qui faisaient pleuvoir des roses sur l’heureux couple ?

Tendre « Chandelier »

Les sentiments de Louis XIV pour Madame – et naturellement ceux de Madame pour le Roi – étaient si évidents, si insolents pourrait-on dire, que les courtisans, passablement désorientés, en venaient à se demander si la reine Marie-Thérèse n’allait pas se trouver répudiée un beau matin pour laisser la place à son étincelante belle-sœur et si, de son côté, Monsieur ne se verrait pas poliment mais fermement prié de faire rompre son mariage. Tout cela bien sûr contre toute logique et toute évidence car la Reine se retrouva bientôt enceinte et on ne voyait pas bien comment le Roi pourrait en venir à ce scandaleux changement de partenaire. Mais on commençait à savoir trop bien, à la Cour, que rien ne pouvait résister quand le Roi avait dit : « Je veux ! »…

Ce qui allait se produire, personne ne l’aurait imaginé. Tout d’abord, ce fut la Reine, cette quantité négligeable, qui, le plus imprévisiblement du monde, leva l’étendard de la révolte. Depuis des mois, elle suivait avec angoisse le déroulement de la romance ébauchée entre son époux bien-aimé et l’Anglaise et, naturellement, elle en souffrait profondément. Amoureuse comme une couventine, jalouse comme une Espagnole, elle s’en alla crier au secours auprès du seul être qui pût, à la Cour, venir à son aide et la comprendre : la reine mère Anne d’Autriche, qui était également sa tante.

Or, en pénétrant dans les appartements d’Anne, elle eut la surprise d’y trouver un autre plaignant : Monsieur. Décoiffé, ce qui était signe d’un grand trouble, rouge de colère, Philippe d’Orléans arpentait furieusement le salon de sa mère en jetant feu et flammes, en jurant comme un Templier et en déchirant ses dentelles.