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Se voyant, contre toute attente, objet des attentions du Roi, la pauvre enfant, éblouie, laissa parler son cœur. Un amour profond, sincère, possède une étrange puissance et Louis, qui pensait trouver une aimable complice, ne résista pas. Attiré par cette passion révélée, si différente de tout ce qu’il avait connu jusqu’à présent, Louis finit par tomber sincèrement amoureux de la jeune fille… et par oublier totalement qu’il avait aimé Madame.

Le stratagème de la princesse se retournait contre elle, et du jour au lendemain, la pauvre La Vallière eut en Madame une ennemie mortelle qui ne lui ménagea pas les coups.

Chassée par elle quasi publiquement de sa maison, Louise, éperdue, s’enfuit du palais du Louvre et courut chercher asile et protection au couvent des Carmélites de Chaillot. Mais quelqu’un savait ce qui s’était passé. Inquiète des suites de l’esclandre de Madame, Mademoiselle de Montalais, sa confidente, n’hésita pas à en parler au comte de Saint-Aignan à haute et très intelligible voix, tandis que le Roi recevait l’ambassadeur d’Espagne.

Louis XIV avait l’oreille fine. Brusquant l’entrevue officielle, il interrogea Montalais, sauta à cheval et courut à Chaillot, d’où il ramena une Louise épouvantée et ravie.

La scène qui l’opposa ensuite à Madame est célèbre. Le Roi gronda, se fâcha, mais la princesse, dédaigneuse, tenait bon. Alors Louis pria, et même pleura. Comprenant qu’elle ne pouvait résister davantage sans s’attirer un ressentiment dangereux, Madame alors céda, mais le fit en des termes qui allaient blesser cruellement le Roi.

— Soit ! dit-elle, je garderai Mademoiselle de La Vallière chez moi. Je la garderai comme une fille à vous.

Louis XIV ne devait jamais lui pardonner ces quatre mots.

Or, Mademoiselle de Montalais qui venait de si bien servir les amours royales était une fille pleine d’esprit qui s’entendait à merveille à juger le cœur des femmes. Le dépit de Madame, délaissée pour La Vallière, toucha son cœur et fouetta son ambition qui était grande. Elle songea qu’il serait bon de consoler cette aimable princesse qui, de toute évidence, n’aimerait jamais son époux.

Quelqu’un avait déjà essayé, assez timidement d’abord, de s’attirer les regards de la princesse, et ce quelqu’un était ce même comte de Guiche qui avait cherché un temps aventure auprès de La Vallière. Car, alors, il n’était aucunement question d’amour mais de simple passade.

Avec Madame, il en allait autrement : Guiche était réellement, sincèrement amoureux de la princesse, et cet amour n’avait pas échappé au regard perçant d’Anne de Montalais.

Elle sut avec habileté éveiller l’intérêt de sa maîtresse pour le beau comte. « La Circé de dix-sept ans, écrit Philippe Erlanger, tourna les yeux vers lui et sut allumer dans l’âme du libertin le brasier d’une authentique passion… Le ballet des Saisons, dansé le 26 juillet, fit jaillir ses premières étincelles… »

De même que celui de La Vallière pour le Roi, l’amour de Guiche alluma celui de Madame et bientôt, sous les auspices discrets de Montalais, les deux jeunes gens purent se donner des preuves réciproques de leur inclination.

Naturellement, Guiche, épris de Madame, délaissa quelque peu Monsieur. Cette trahison frappa le jeune prince en plein cœur. Plus âgé que lui, Guiche était son mentor, son ami le plus cher, le plus tendre… un peu trop sans doute.

Fou de rage, le prince adressa à son ami de vifs reproches, bien qu’il ignorât encore jusqu’où allaient ses relations avec Madame. Hélas, le comte n’avait pas le sens des nuances et en outre, sa passion heureuse haussait démesurément son orgueil. Et, au cours « d’un éclaircissement audacieux avec Monsieur, il rompait avec lui comme s’il eût été son égal ».

L’esclandre fit du bruit. Tellement que le maréchal de Grammont, épouvanté des suites que ce scandale pouvait avoir pour lui-même et sa famille, s’en alla trouver le Roi pour le supplier d’éloigner son fils. Et Guiche, nanti d’un commandement, s’en alla cuver à Nancy ses ivresses amoureuses, laissant Madame ivre de rage.

Elle n’eut guère le temps de s’appesantir sur sa colère. Monsieur, décidant qu’il lui fallait faire quelque chose pour obliger sa femme à se tenir tranquille, trouva un moyen simple et sans danger : il lui fit un enfant.

Une eau de chicorée suspecte

Cette année 1661 qui avait commencé pour Madame si triomphalement s’acheva de façon beaucoup plus morose. Aux prises avec les nausées d’une grossesse difficile, elle entendit le 1er novembre sonner les cloches et tonner les canons annonçant la naissance du Grand Dauphin. Le royaume avait à présent un autre héritier que Philippe, héritier présomptif tant que son frère n’avait pas d’enfant.

Monsieur se consola de bonne grâce de ses espoirs perdus. Malgré ses déviances, c’était une bonne nature pourvue d’un cœur généreux et qui n’enviait guère la position de son frère.

Mais Madame en fut affectée. La Reine était à présent inamovible et remportait ainsi un vrai triomphe. Celle qui s’était voulue un moment sa rivale espéra alors une revanche : si elle aussi mettait au monde un fils, qui pouvait dire si cet enfant, élevé par une mère plus fine et plus intelligente que Marie-Thérèse, ne se poserait pas un jour en rival heureux de son cousin et ne lui ravirait pas la couronne ? Durant plusieurs mois, en l’absence du cher Guiche, Madame berça sa mélancolie dans l’attente d’un heureux événement qui la vengerait un peu.

Hélas, le 27 mars 1662, ce fut une fille qui naquit.

— Qu’on la jette à la rivière ! s’écria Madame entre deux crises de larmes.

On n’en fit rien, fort heureusement, et la charmante princesse Marie-Louise vécut assez longtemps pour devenir reine d’Espagne.

À son sujet, il existe d’ailleurs une controverse. Certains, persuadés que Monsieur était incapable de procréer, affirmèrent que l’enfant était la fille du Roi lui-même, se basant surtout sur un court dialogue entre la jeune princesse et Louis XIV quand Marie-Louise apprit son prochain mariage avec le roi Charles II d’Espagne.

Peu satisfaite, car ledit roi n’avait rien de très séduisant, celle-ci reprochait au souverain d’avoir si mal disposé de sa nièce et celui-ci lui répondit :

— Je n’aurais pas fait mieux pour ma fille.

Quoi qu’il en soit, Monsieur fut bel et bien le père des trois enfants qu’il obligea Henriette à lui donner, exploit dont il était tout à fait capable en dépit de ses attitudes féminines car personne, jamais, n’a mis en doute sa paternité quand, après la mort d’Henriette, il épousa la princesse Palatine, Sophie-Charlotte, qui avait beaucoup d’esprit mais guère de grâce, buvait force bière et s’empiffrait de choucroute tout en laissant planer sur la cour de son beau-frère un regard singulièrement ironique et perspicace. De cette union-là naquit le Régent, que l’on n’a jamais eu l’idée de prendre pour un bâtard.

Les trois grossesses de Madame furent, étrangement, une affaire de haine plutôt que d’amour. Chaque fois que Monsieur pensait avoir à se plaindre de son épouse il lui faisait un enfant, trouvant une satisfaction amère à voir, après chacun de ses accouchements toujours difficiles, sa beauté et son éclat s’atténuer. Mais Madame semblait prendre un malin plaisir à attirer à elle l’un après l’autre les favoris de son époux. Pendant l’absence de Guiche, il y eut l’inquiétant, le dangereux comte de Vardes, qui, d’accord avec la comtesse de Soissons, osa écrire à la reine Marie-Thérèse une fausse lettre en espagnol, prétendument venue de Madrid. Le malheur voulut que la camériste de Marie-Thérèse, la Molina, eût des doutes et s’en allât porter ladite lettre au Roi lui-même, dont on imagine la fureur car la lettre dénonçait ses amours adultères avec La Vallière.