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Naturellement, Vardes s’en alla coucher à la Bastille, ce qui enragea la comtesse de Soissons qui était sa maîtresse. L’ex-Olympe Mancini, qui pour sauver Vardes avait trafiqué avec lui la correspondance de Guiche avec Madame, jeta feux et flammes, menaçant de couper le nez à la princesse, puis, ayant réussi à se procurer certaine lettre particulièrement imprudente de Guiche à Madame, qui disait : « Votre timide beau-frère n’est qu’un fanfaron. Quand, une fois que vous serez dans Dunkerque, nous lui ferons faire, le bâton haut, ce que nous voudrons… » (car Guiche incitait la princesse à fuir la France et à se réfugier en Angleterre), alla à son tour la porter au Roi. Madame, pour sauver son ami, alla tout révéler de l’affaire de la lettre espagnole, dénonçant la comtesse de Soissons et Vardes alors que celui-ci protestait de son innocence, accusant tout le monde.

Cette fois, le Roi outragé frappa fort : Guiche et Madame de Soissons furent exilés, Mademoiselle de Montalais, jetée en prison et Vardes, privé de ses charges, emprisonné à Montpellier puis à Aigues-Mortes. Quant à Madame, elle se consola avec le nouveau favori de son époux, le beau prince de Marsillac. Monsieur poussa les hauts cris… et sa femme se retrouva enceinte très peu de temps après, tandis que le prince se découvrait un nouvel ami de cœur en la personne du chevalier de Lorraine.

Celui-ci, un cadet de la maison de Guise, était beau comme un dieu mais c’était sans doute l’être le plus dangereux et le plus malfaisant de toute la Cour. Jaloux, envieux, plein de fiel et de méchanceté, distillant la perfidie avec des soins d’alchimiste, il cachait, sous un visage d’ange et les plus beaux cheveux blonds du monde, une âme bien noire et bien pervertie.

Tel qu’il était, Monsieur bientôt l’adora et, oubliant ses favoris passés, n’accepta plus de vivre un seul jour sans lui, bien que le chevalier ne se gênât nullement pour le tyranniser. Le chevalier, d’ailleurs, était loin de détester les femmes. Il avait été longtemps l’amant de Mademoiselle de Fiennes et il avait fait à Madame elle-même une cour pressante, dont quelques mauvaises langues prétendaient qu’elle avait abouti. Elles le prétendirent même avec tant d’insolence que Monsieur, outré, prit cette fois la défense de sa femme, grossièrement insultée en pleine Cour par le comte de Grammont, oncle de Guiche, et, comme Louis XIV refusait de punir Grammont, pour l’excellente raison qu’il avait lui-même monté la comédie afin de venger La Vallière des dédains de la princesse, Philippe d’Orléans s’en alla dire froidement à son royal frère quelques vérités bien vertes qui lui firent baisser pavillon pour la première fois devant son cadet. Le Roi avait « senti le vent du boulet » et compris que le doux et aimable Monsieur pouvait fort bien se changer en rebelle du jour au lendemain.

Madame fut reconnaissante à son époux de cette attitude virile, et peut-être le ménage princier eût-il pu trouver enfin un chemin paisible et doux s’il n’y avait eu, justement, le chevalier de Lorraine.

Comme beaucoup de fâts, celui-ci brûlait facilement ce qu’il avait adoré si l’objet de sa flamme s’avisait de n’y point répondre. Madame l’ayant éconduit, il se mit à détester Madame autant qu’il l’avait admirée. Et il ne perdit plus aucune occasion de lui nuire dans la pensée de Monsieur.

Petit à petit, d’ailleurs, Madame perdait de sa combativité. La naissance de ses trois enfants, Marie-Louise, Philippe (qui mourut à deux ans) et Anne-Marie, qui devint reine de Sardaigne, eut pour résultat d’ébranler sérieusement une santé qui n’avait jamais été des meilleures. Son moral s’en ressentait. La princesse perdait sa gaîté, devenait mélancolique. Souvent malade, elle supportait mal Monsieur, toujours en quête de plaisirs, et encore moins le chevalier de Lorraine, qui avait le talent de lui rendre la vie impossible. Il faut dire qu’elle supportait encore plus mal les favorites du Roi car, à la timide La Vallière qui n’avait jamais été bien agressive, avait succédé l’altière Montespan, qui régnait à présent sur la Cour avec un éclat insolent.

Le Roi, cependant, avait fini par rendre les armes et par entretenir avec sa belle-sœur des relations d’amitié, et même d’affection. Il y avait été incité par la mise en garde qu’après l’affaire Grammont, Madame lui avait lancée :

— Si l’on me maltraite, j’ai un frère roi qui me vengera !

L’alliance anglaise méritait en effet que l’on y prît garde. Peu à peu, d’ailleurs, Louis XIV s’habitua à voir dans Madame une sorte d’ambassadeur permanent du roi Charles II, ce qui mit leurs relations sur un pied beaucoup plus doux et plus normal. Aussi, quand, en 1669, Louis demanda à Henriette de faire le voyage de Londres en qualité d’ambassadrice extraordinaire mais secrète, la princesse accepta-t-elle avec joie. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas revu son pays ! Et puis, ce qu’elle avait à faire était intéressant : il s’agissait de détacher le roi d’Angleterre de son alliance hollandaise.

Poussé par Lorraine, qui n’eut aucune peine à attiser les regrets qu’il avait de se voir toujours traité en quantité négligeable, Monsieur voulut s’opposer au départ de sa femme. Il ne réussit cette fois qu’à se faire délivrer une sévère mercuriale par le Roi. À titre de consolation sans doute, il réclama pour son chevalier les bénéfices de deux abbayes, mais Louis XIV, excédé, refusa tout net et, pour faire bonne mesure, exila l’encombrant chevalier dont il savait bien que Madame avait fort à se plaindre.

Lorraine, la rage au cœur, partit pour l’Italie et, persuadé que Madame était à l’origine de sa disgrâce, jura d’en tirer une éclatante vengeance. Vengeance qu’il ne lui serait guère facile d’exécuter de si loin. Malheureusement il laissait derrière lui quelques-uns de ses amis aussi malfaisants que lui-même. Entre autres, le marquis d’Effiat.

Madame mena son ambassade anglaise avec bonheur et son retour en France prit les allures d’un triomphe. Une fois encore elle fut reine à Versailles, ce qui ne plut guère à Monsieur. Il se hâta de profiter de ce que la santé de sa femme était loin d’être aussi satisfaisante que son humeur pour l’emmener respirer le bon air dans son beau château neuf de Saint-Cloud dont, homme d’un goût extrême, il avait fait une merveille dont le Roi avait été quelque peu jaloux.

Henriette, en effet, éprouvée peut-être par le long voyage, se plaignait de douleurs fréquentes au côté. Elle avait souvent la tête lourde et l’estomac douloureux. Les fortes chaleurs étant venues, elle prit l’habitude de prendre chaque soir un verre d’eau de chicorée qu’un valet préparait d’avance et mettait dans une armoire auprès d’un pot d’eau fraîche.

Au soir du dimanche 29 juin 1670, Madame, qui avait été souffrante toute la journée, demanda à Madame de La Fayette, sa dame d’honneur, de lui faire porter son eau de chicorée.

Elle en but un peu mais repoussa bien vite le verre.

— Que c’est amer ! se plaignit-elle. Je n’en veux plus.

Presque aussitôt d’ailleurs, elle portait la main à son côté et se pliait en deux sous l’assaut d’une affreuse douleur.

— Ah ! Mon Dieu que j’ai mal ! Ah ! quel mal ! Je n’en puis plus !

On la porta dans son lit, mais à peine y fut-elle étendue qu’elle cria de plus belle, se jetant de tous côtés comme quelqu’un qui souffre horriblement. Elle se tordait de douleur et soudain, on l’entendit crier :

— Le poison ! C’est du poison ! On m’a empoisonnée !

Les médecins, appelés, ne firent qu’aggraver le mal. Quand le Roi, que l’on avait prévenu, accourut, il trouva la chambre de sa belle-sœur pleine de gens qui jacassaient comme des perruches et de médecins qui proposaient tous des cures différentes. Furieux, il fit chercher Vallot, son propre médecin.