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— On n’a jamais laissé mourir une femme sans lui donner aucun secours, dit-il. Faites l’impossible, Vallot ! Je vous en saurai gré.

Le médecin royal fit de son mieux – ce qui d’ailleurs n’était pas tellement au-dessus de ses confrères – mais la princesse était déjà au-delà des secours humains. Elle le comprit si bien qu’elle chercha Dieu et demanda l’évêque de Condom, Monseigneur Bossuet, dont on disait le plus grand bien. Ce fut lui qui reçut la confession de la pauvre princesse qui venait d’arriver si brutalement aux portes du tombeau et, neuf heures après son premier cri de douleur, Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, expirait dans d’affreuses douleurs, supportées d’ailleurs héroïquement.

Elle avait protégé Molière, inspiré Corneille et Racine ainsi d’ailleurs que Madame de La Fayette, ébloui Madame de Sévigné et conquis l’admiration de La Rochefoucauld. Elle eut la plus belle des oraisons funèbres.

Quelques jours après sa mort, sous les voûtes de Notre-Dame de Paris, la grande voix de Bossuet, l’homme de la dernière confession, tonnait, lançant aux pierres séculaires et à la Cour oppressée qui emplissait le vaste vaisseau, sa plus célèbre homélie : « Madame se meurt ! Madame est morte ! »

D’accord avec le roi Charles II, Louis XIV fit procéder à l’autopsie du cadavre mais les médecins, tant français qu’anglais, s’entendirent pour déclarer hautement qu’il n’y avait pas trace de poison dans les viscères.

Pourtant, un valet de Saint-Cloud raconta plus tard que, ce tragique 29 juin, il avait vu, dans l’antichambre de Madame, le marquis d’Effiat refermer l’armoire où se trouvait l’eau de chicorée.

— Il fait si chaud, avait alors déclaré le marquis devant la mine surprise du valet. Je savais qu’il y avait de l’eau fraîche dans ce placard et j’en ai bu un peu.

Rien de plus ! Mais le marquis d’Effiat n’avait-il fait que boire de l’eau sans toucher au verre préparé ? Trois ans plus tard, en prologue à la terrifiante affaire des Poisons, la marquise de Brinvilliers était exécutée en place de Grève.

Louise de Keroualle, agent secret de Louis XIV

Le général des Galères

L’été breton a bien du charme dans la région des abers, ces longues déchirures rocheuses par lesquelles la mer s’avance profondément dans la lande envahie par la bruyère rose et les touffes jaunes éclatantes des ajoncs. En cette année 1668, les fleurs sauvages assiégeaient avec plus d’ardeur encore que de coutume le château de Keroual, près de Saint-Renan, pour la joie des yeux de la jolie solitaire qu’il abritait. La vie était austère dans ce château de la lande. On y avait plus de noblesse que d’écus, et Louise Renée de Penancoët de Keroual n’avait guère d’illusions sur le sort que lui réservait la gêne paternelle : celui d’une vieille fille uniquement occupée à servir les siens puis, plus tard et en admettant que la vie conventuelle lui déplût, à s’étioler interminablement au fil des saisons en regardant la mer battre les rochers de l’aber Ildut et les saisons succéder aux saisons.

Elle était jolie, sans doute, mais sans fortune, et donc incapable de se rendre à la Cour, dont elle rêvait pourtant. Elle le savait, pour s’y rendre il fallait beaucoup d’argent. Bien sûr, grâce à sa beauté certaine, un mariage avec quelque hobereau du voisinage était toujours possible, mais cette solution ne tentait pas beaucoup Louise. Elle avait trop nourri ses rêves de ces légendes merveilleuses dont la Bretagne est prodigue et, en outre, la rusticité de ses voisins la rebutait un peu. Ils ne ressemblaient en rien aux princes de ses vagues rêveries, lesquels ne viendraient jamais la chercher au fond de ses landes.

Pourtant il en vint un. Un beau matin de ce fameux été si fleuri, Keroual s’emplit de bruit et d’agitation. Une troupe de cavaliers richement vêtus et de voitures armoriées s’entassèrent dans la cour du château. Le soleil faisait briller les satins et les ors des costumes tandis que la brise jouait avec les plumes des chapeaux. Et du haut de la tourelle où elle avait sa chambre, Louise, émerveillée et incrédule, regarda surgir de cette brillante troupe Monseigneur François de Vendôme, second duc de Beaufort, petit-fils du roi Henri IV et de Gabrielle d’Estrées et général des Galères de Sa Majesté Louis XIV, qui s’en venait envahir le plus pacifiquement du monde son calme domaine.

En dépit du faste déployé, il s’agissait là d’une visite tout ce qu’il y a de simple faite à un vieil ami. Venu à Brest pour inspecter la flotte, le duc avait poussé une pointe jusqu’à Keroual pour embrasser le seigneur Guillaume, père de Louise. Mais, personnage haut en couleur, Beaufort ne savait pas se déplacer discrètement. Néanmoins, on lui pardonnait volontiers son goût prononcé pour le luxe et les manifestations ostentatoires en raison de sa gaîté inaltérable et, surtout, de son sens profond de l’amitié. Brouillon et agité toute sa vie, comme tous ceux de sa race, Monseigneur savait rester fidèle à ses amis, même modestes, sinon à ses amours.

Durant le temps de la Fronde, sa haine de Mazarin l’avait mis en vedette. Par sa chaleur et sa simplicité de langage, il s’était acquis le petit peuple de Paris qui l’avait surnommé le Roi des Halles. Cela lui avait valu un séjour à Vincennes, d’où il s’était évadé de façon rocambolesque et, si le Roi ne l’aimait guère, ses exploits, autant que son élégance et sa beauté, avaient engendré une popularité frisant la légende.

Très sensible à la beauté des femmes et fidèle en cela au souvenir du Béarnais son grand-père, Beaufort salua d’un large sourire la révérence que lui fit Louise. Il se pencha même pour la relever.

— La belle enfant ! s’écria-t-il en lui pinçant la joue. Qu’en vas-tu faire, mon bon Guillaume ? La marier, je pense ?

— Hélas, non, Monseigneur. Louise est jolie, j’en conviens, mais c’est là toute sa dot, et c’est trop peu. Nous n’avons guère de fortune, sinon…

— Sinon tu serais à la Cour, comme tout le monde ! fit le duc avec ce rire énorme qui lui était particulier. Mais ce n’est pas une raison pour laisser faner ici une fleur si charmante. L’air marin ne vaut rien aux belles !

— Sans doute, Monseigneur ! Mais que puis-je faire d’autre ?

— Toi, pas grand-chose, j’en conviens, mais moi je peux davantage. Laisse-moi faire et aie confiance. Ta belle Louise verra la Cour.

Beaufort était reparti dans son tourbillon d’armes et de plumes et le silence était retombé sur Keroual. Louise commençait à penser qu’elle avait seulement rêvé la fabuleuse visite quand, un mois plus tard, une lettre arriva au château. Une lettre presque incompréhensible : bourrée de fautes d’orthographe, comme c’était la règle chez les grands, mais aussi d’une quantité prodigieuse de mots mis à la place les uns des autres. Fort heureusement, le sens plutôt confus de l’épître s’éclairait beaucoup à la lumière du solennel papier armorié qui l’accompagnait : c’était un brevet de fille d’honneur auprès de Madame, duchesse d’Orléans, la propre belle-sœur du Roi. Louise, en effet, allait voir la Cour.

On imagine la joie de la jeune fille, et aussi celle de ses parents car, pour lui permettre de figurer honorablement dans la Cour la plus élégante du monde, Beaufort, grand seigneur jusqu’au bout des ongles, avait joint à son griffonnage une importante somme d’argent. Aussi, dans les premiers jours de novembre, toute la famille prit-elle le chemin de Paris et quelques jours plus tard, Louise de Keroual (réorthographié Keroualle) était présentée à celle qui devenait sa maîtresse