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Dieu sait pourtant combien la cour que lui faisait Charles était pressante ! Après la présentation à la Reine, il s’arrangea pour la retrouver chaque soir, que ce fût dans l’ombre des jardins ou parmi les illuminations des salons. Sans cesse, il lui parlait de son amour et la suppliait d’être à lui, jaloux de ses succès. L’élégance de Louise, sa beauté et son charme attiraient les autres hommes et l’on disait même que le prince d’Orange, réputé cependant le plus froid et le plus distant de la Cour, ne restait pas insensible à tant de grâce.

Cela dura presque un an. Un an de guerre en dentelles au cours de laquelle Charles II pensa cent fois devenir fou. De son côté, l’ambassadeur de France, Colbert de Croissy, sentit cent fois siffler à ses oreilles le vent de la disgrâce. En effet, il ne voyait pas sans inquiétude s’exaspérer le désir du Roi. Lui-même, dans les premiers temps, avait bien conseillé à Louise de tenir quelque peu la dragée haute à son amoureux : il n’était pas bon qu’une ancienne fille d’honneur de Madame chute dès les premières entrevues dans le lit royal. Mais il n’avait pas – et de loin – conseillé cette résistance opiniâtre qui à présent l’inquiétait et le déroutait.

Il s’en ouvrait parfois au marquis de Saint-Évremond, aimable philosophe exilé par Louis XIV pour avoir parlé trop librement de la vie privée de son souverain et qui, à Londres, menait une douce vie d’épicurien, fréquentait les plus jolies femmes et entretenait les meilleures relations avec l’ambassadeur, qu’il renseignait d’ailleurs souvent de façon fort instructive. C’était un homme d’esprit et, dès son arrivée à Londres, Colbert de Croissy l’avait présenté à Louise dont il était devenu, lui aussi, l’ami.

Les confidences de l’ambassadeur l’inquiétèrent également et il écrivit pour la rebelle une sorte de catéchisme bien digne du vieux libertin qu’il était, un catéchisme en forme de lettre qui donnait d’excellents conseils – selon son auteur tout au moins, car il y faisait preuve d’une bien singulière morale.

« Laissez-vous aller à la douceur des tentations au lieu d’écouter votre fierté, écrivait-il. La règle de ma retenue n’a rien d’austère puisqu’elle prescrit de n’aimer qu’une personne à la fois. Celle qui n’en aime qu’une se donne seulement. Celle qui en aime plusieurs s’abandonne et, de cette sorte de bien comme des autres, l’usage est honnête et la dissipation honteuse… »

À son grand dépit, sa morale particulière demeura aussi inopérante que ses légères exhortations. Ce que voyant, Colbert de Croissy décida de prendre la situation en main et de faire entendre à l’entêtée la voix de la raison.

Il la pria de venir lui faire visite et la reçut un soir dans le secret de son cabinet.

— J’ai là, dit-il en manière de préambule en tapant sur une pile de papiers posés sur un coin de sa table, j’ai là une lettre de Sa Majesté le Roi. Il s’inquiète, ma chère enfant, du peu de progrès que le roi Charles fait dans votre intimité. Je dirais même qu’il est assez mécontent. Et moi je vous crie : « Casse-cou ! » Ne croyez-vous pas, ma chère Louise, qu’il serait temps de vous montrer raisonnable ?

— Qu’appelez-vous raisonnable, Excellence ? Dois-je vraiment céder au Roi, comme toutes ces femmes dont il est accablé et qui déshonorent la Cour ?

— Ne confondez pas caprice et amour. Le roi Charles vous aime et vous le savez bien. Jamais je ne lui ai vu autant de patience ! Songez qu’il lui suffirait d’ordonner et qu’en ce cas il faudrait bien vous soumettre, sous peine d’être obligée de quitter l’Angleterre. Or il se contente de prier quand il pourrait exiger. Comment pouvez-vous encore, dans de telles conditions, douter de son amour ?

— Comment puis-je y croire, au contraire, quand il continue d’afficher cette Nell Gwynn, cette Moll Davis, cette Barbara Palmer et je ne sais quelles autres ?

— Il voit fort peu la duchesse – dont il a des enfants d’ailleurs –, et plus du tout Moll Davis. Quant à Nell Gwynn, vous savez bien qu’elle l’amuse par son ton faubourien. Et puis, il faut bien le dire, elle le tient aussi par les sens, et les sens du Roi sont fort exigeants. Cela peut durer encore… à moins qu’une autre ne le déprenne de sa comédienne.

— Voilà qui est clair, fit Louise, boudeuse. Si je ne cède pas, le Roi continuera de soupirer après moi dans les bras de Mrs Gwynn ?

Colbert de Croissy hocha la tête.

— Je ne suis pas certain qu’il continuera de soupirer, ma chère. Il peut aussi se lasser car il n’est habituellement guère plus patient que son grand-père le feu roi Henri IV. Je crains, moi, que, découragé par nos incessants refus, il ne finisse par abandonner que vous ne vous en apercevrez même pas. Vous n’aurez qu’à fermer les yeux et vous laisser conduire…

— Si facilement que cela ?

— Ne suis-je pas diplomate ? Allons, ma chère enfant, faites-moi confiance. Il y a beau temps qu’un plan a été élaboré par vos amis, par tous ceux qui souhaitent ardemment voir votre influence sur le roi Charles balayer… toutes les autres qui vous déplaisent tant !

Un mariage champêtre

En octobre, la Cour avait coutume de se rendre à Newmarket pour la saison des courses, dont tout bon Anglais se montrait friand, et le Roi plus encore que tout autre. Il adorait les chevaux et n’eût manqué pour rien au monde les courses d’automne.

Or, les Arlington possédaient à Euston, non loin de Newmarket, un château qui passait à juste titre pour l’une des demeures les plus agréables d’Angleterre. Le Roi, naturellement, aimait fort à s’y rendre car les fêtes d’Euston étaient célèbres. Louise, pour sa part, y avait déjà séjourné et s’y était beaucoup amusée.

Il fut décidé entre lady Arlington et Colbert de Croissy que la jeune fille ferait une nouvelle fois partie des invités d’Euston pour la saison des courses. L’ambassadeur lui servirait de mentor pour la circonstance, espérant surtout pouvoir écrire à son maître que les choses s’étaient passées suivant son désir.

Louise ne fut pas dupe. En recevant l’invitation, elle devina sans peine que c’était là l’occasion annoncée par l’astucieux diplomate et qu’il lui fallait se préparer à capituler. Elle s’y résigna sans trop de peine car, outre qu’elle était fatiguée de lutter contre le Roi aussi bien que contre elle-même, elle avait beaucoup de mal à se dissimuler encore l’ardent désir qu’elle avait à présent d’être vaincue dans cette tendre guerre, cette envie de « se laisser glisser », selon la lénifiante expression de Saint-Évremond. Et ce fut le cœur battant à la fois de crainte et d’espoir qu’elle partit pour le château d’Euston.

C’était bien une superbe demeure. Bâti tout en briques roses et en marbre blanc, le château dressait son élégante silhouette au milieu d’un grand parc peuplé de statues mais où biches et chevreuils couraient en liberté car la chasse en était sévèrement interdite. Une fraîche rivière serpentait à travers les plus beaux gazons du monde, de vrais modèles du genre : aussi doux et denses que du velours vert.

L’atmosphère s’y accordait volontiers à la nature. Ainsi, quand les musiciens ne jouaient pas dans les salons, ils se perchaient dans les arbres et dans les bosquets d’où ils devaient, invisibles et mélodieux, charmer les promenades, solitaires ou non, des nombreux invités. La vie au château était naturellement fastueuse et la présence du Roi, qui venait presque quotidiennement de Newmarket, ajoutait encore au charme du séjour.