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Retiré dans son ravissant château de Bussy-Rabutin, le coupable, dont le talent littéraire égalait celui de sa cousine et habituelle complice la marquise de Sévigné (née Marie de Rabutin-Chantal), avait charmé ses loisirs en écrivant une Histoire amoureuse des Gaules, satire étincelante et goguenarde où l’auteur, en un certain nombre de portraits, décrivait les aventures galantes de dames et de seigneurs de la Cour.

Le livre était destiné à distraire la maîtresse très aimée de Bussy, la jolie Madame de Montglas, dont il était follement épris et qui, d’ailleurs, le lui rendait bien car il connaissait peu de cruelles et son charme physique ne le cédait en rien à son esprit.

Malheureusement, Bussy-Rabutin, qui ne savait pas dire non à une femme, eut le tort de laisser lire le manuscrit à l’une de ses amies, une certaine Madame de La Baume, alors enfermée dans un couvent par ordre de son mari. Cette Madame de La Baume était « une femme terrible, séduisante, intelligente, d’une immoralité totale. Elle avait fait le désespoir de sa famille qui l’enfermait de couvent en couvent. Dès qu’elle avait faussé les serrures et la moralité de l’un on la plaçait dans un autre et, quand on l’eut mariée, elle se montra si dépravée que son mari dut suivre la politique de la famille : il l’enferma ».

En possession, « pour deux jours », du manuscrit, cette misérable le copia, le fit imprimer en Hollande et le fit circuler alors qu’il n’était destiné qu’à la seule Madame de Montglas. Ce fut un beau scandale mais le Roi, à qui on lut certains portraits, ne fit qu’en rire. Madame de La Baume fit alors tirer d’autres exemplaires, falsifiés et retouchés de telle sorte que l’œuvre sombrait dans le pamphlet graveleux, d’une grossièreté telle qu’il était impensable de l’attribuer à Bussy mais qui, chose plus grave, attaquait le Roi lui-même et son entourage. Le résultat ne se fit pas attendre et, en avril 1665, le pauvre Bussy-Rabutin était embastillé presque dans le moment même où il était élu à l’Académie française. Mais sa vie était à jamais brisée.

Lorsqu’il quitta la Bastille, il avait quarante-huit ans et il n’était plus que l’ombre de lui-même. Ce qui l’avait à ce point détruit, c’était moins la vie carcérale, assez rude cependant, qu’on lui avait infligée, que les dégâts moraux occasionnés chez lui d’abord par la preuve formelle de l’infâme machination de la dame de La Baume et ensuite, et surtout, par la trahison de sa maîtresse. La belle Madame de Montglas avait choisi de hurler avec les loups et elle s’était hâtée de prendre un nouvel amant, le président Mesnard.

Les soins d’un habile médecin (il en existait tout de même quelques-uns, fort rares il est vrai à cette époque si peu flatteuse pour la médecine !) le remirent d’aplomb. Avec un dévouement admirable, Monsieur Dalancé prodigua sa science et ses remèdes jour et nuit à celui qu’on lui avait confié.

Sa maison, il est vrai, ressembla « à une foire » tant que Bussy y demeura. Ses nombreux amis, et il en avait su garder beaucoup, et aussi nombre de curieux défilèrent devant son lit « comme devant la châsse de sainte Geneviève ». Madame de Sévigné vint aussi, bien que son « portrait » eût paru lui aussi dans la fameuse Histoire amoureuse, un portrait plus aimable d’ailleurs que critique mais que la grande potinière du XVIIe siècle ne devait pas pardonner de sitôt à un cousin dont, d’ailleurs, elle avait été plus ou moins éprise, elle aussi.

Bussy guéri, on eut la grâce de ne pas le réintégrer dans sa prison. Le Roi préféra « l’oublier » après lui avoir fait signifier un ordre d’exil définitif dans ses terres. Et Bussy, le cœur lourd, l’âme encore poisseuse de dégoût et de rancœur, prit le chemin de sa chère Bourgogne qu’il aimait de tout son cœur mais qu’à l’exception de deux occasions, il ne devait plus quitter pendant vingt-sept ans.

C’était (et c’est toujours) une bien charmante demeure que le château de Bussy-Rabutin. Niché au cœur d’un étroit vallon fourré de beaux arbres où coule un petit ruisseau, le Rabutin, le grand manoir clair et noble, cerné de douves aux eaux dormantes, dressait ses quatre tours d’angle sommées de lanternes, ses galeries à l’italienne où s’épanouissaient les fleurs de la Renaissance, ses murs d’un rose passé où semblait toujours s’attarder un reflet de soleil.

L’exilé allait y vivre dans une retraite studieuse, partageant son temps entre les embellissements incessants qu’il apportait à sa demeure, les travaux littéraires, l’immense correspondance qu’il entretenait avec une foule d’amis et d’amies, au premier rang desquels se retrouvaient la cousine Sévigné et l’admirable amie que fut toujours pour lui Madame de Scudéry. Enfin, il se consacrait beaucoup à l’éducation de ses enfants.

De ses deux mariages, avec sa cousine Gabrielle de Toulongeon et avec Louise de Rouville, il en eut sept : cinq filles et deux garçons. Les deux aînées, Diane-Jacqueline et Marie-Thérèse, étaient « en religion », la première à la Visitation de Paris et la seconde chanoinesse. Puis venaient Louise-Françoise, elle aussi du premier mariage, Charlotte et Françoise-Léonore. Les garçons, Amé et Michel-Celse-Roger, venaient ensuite. Mais de tous ses enfants, c’était Louise que Bussy-Rabutin préférait.

Elle était ravissante, comme d’ailleurs tous les autres, et lorsqu’elle allait à Paris, les amis de sa mère se pressaient pour voir « la merveille ». Mais elle n’y allait pas souvent. Douce, tendre, aimant les lettres et adorant son père, elle s’institua dès le début de l’exil sa secrétaire et son ange gardien.

À cause de lui, elle avait jusqu’alors refusé de se marier pour ne pas le quitter, laissant sa belle-mère et ses demi-sœurs courir à Paris où elles faisaient de fréquents séjours (Madame de Bussy-Rabutin finit même par ne plus faire au château que de rares et courtes apparitions), préférant de beaucoup demeurer auprès de son père, partageant ses promenades, ses études et surveillant avec lui les travaux des ouvriers.

Lorsque, enfin, Louise consentit à se marier, elle avait trente-cinq ans. Il est vrai que le prétendant valait la peine d’être examiné. Il se nommait Gilbert de Langeac, comte de Dalet et marquis de Coligny, et, ce qui est mieux, il plut à la jeune fille.

Apprenant la nouvelle, l’incorrigible Sévigné sauta sur sa plume.

« Je vous conjure, mon cher cousin, de m’en écrire le détail. Pour le nom, il est comme on le pourrait souhaiter si on le faisait faire exprès. Je vous demande un petit mot de la personne et de la demeure… »

Ce à quoi Bussy-Rabutin, compatissant et d’ailleurs ravi du mariage, répondit :

« Le futur est presque aussi grand que moi. Il a trente ans, l’air bon, le visage long, le nez aquilin et le plus long du monde, le teint un peu plombé… Sa maison de Cressia, qui sera sa demeure, est à deux journées de Chaseu et à trois de Bussy… »

Le mariage était donc excellent au point de vue des convenances et surtout de la fortune mais il ne semble pas que Louise se fût fort attachée à son époux, ni d’ailleurs à ladite maison de Cressia où elle ne vécut pratiquement pas. En bon militaire, Coligny vivait surtout aux armées et, un an après le mariage, il se faisait tuer à la guerre. Il avait tout juste eu le temps de donner un fils à la jeune marquise. Celle-ci, l’enfant dans les bras, se hâta de revenir goûter auprès de son père les délices du château familial.

La vie reprit comme par le passé, assez joyeuse en été où l’on recevait nombre de visites, assez morne malgré tout en hiver, où les amis de Paris se souciaient peu de s’embarquer sur les mauvais chemins. Mais du moment que sa chère Louise était auprès de lui, Bussy-Rabutin ne se plaignait pas trop.