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D’ailleurs, le séjour anglais de Louise tirait à sa fin. Au soir du 12 février 1685, Charles II fut pris d’un malaise au moment où il sortait de chez la duchesse. Quatre jours plus tard, il mourait, dans la foi catholique de ses pères grâce à Louise qui avait introduit clandestinement auprès de lui le père Huddlesdon. Reconnaissant, il avait, avant de perdre définitivement conscience, recommandé chaleureusement Louise et son fils à son frère, le duc d’York, qui devenait le roi Jacques II.

— Soyez sans crainte, promit celui-ci, je saurai veiller sur eux.

Jacques II tint parole. Louise conserva fortune et privilèges mais, sans l’homme qu’elle avait tant aimé, Londres et l’Angleterre lui semblaient à présent vides et sans attrait. Elle voulut retrouver le ciel du pays natal, revoir aussi le superbe Versailles.

Six mois après la mort de Charles, elle quittait l’Angleterre avec son fils pour n’y plus revenir. Durant quelque temps, elle vécut à Paris au milieu du luxe et du faste qui lui étaient devenus habituels. Son fils se convertit avec éclat au catholicisme, donnant ainsi à Bossuet l’occasion de régaler la Cour d’un de ses plus beaux sermons.

Malheureusement, le nouveau converti dépensait l’argent à pleines mains et se vautrait dans une telle débauche qu’elle devait le mener au tombeau. Ce fut sa mère qui l’enterra en 1723. Le Grand Roi était mort et elle n’était désormais qu’une survivante. Toute sa fortune avait fondu et il ne lui restait plus guère que des dettes.

Accablée de douleur, Louise se retira alors dans sa terre d’Aubigny, la seule qui lui restât, et s’y consacra à la prière et aux œuvres charitables. Elle y fonda un couvent de religieuses hospitalières qui se partageaient entre les soins aux malades et l’éducation des jeunes filles.

Néanmoins, ce fut à Paris, où elle était revenue pour consulter des médecins, que mourut la duchesse de Portsmouth et d’Aubigny, le 14 novembre 1734. Elle était alors âgée de quatre-vingt-quatre ans et avait survécu cinquante années à son royal amant.

De ses efforts passés, il ne restait rien.

« Seul, ainsi que l’écrivait Saint-Évremond, le ruban de soie qui entourait la taille de Mademoiselle de Keroualle unissait la France à l’Angleterre… »

Les luttes, un instant éteintes, avaient repris. Les deux pays étaient à nouveau ennemis et cela allait durer, cette fois, jusqu’à l’Entente cordiale, en 1905.

1. Fils de ce Buckingham qui aimait trop Anne d’Autriche.

L’aventure de Riza Bey et d’Adélaïde de Lespinay

Un prince des Mille et Une Nuits et une épouse bien sage

Le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs à la Cour du roi Louis XIV, avait une longue habitude des envoyés royaux. Il n’était pas rare qu’un pays étranger déléguât un haut personnage à Versailles pour y échanger des politesses ou y signer des traités d’amitié plus ou moins respectés avec le Roi-Soleil. Mais en se rendant ce matin-là à Charenton, où un grand hôtel au bord de l’eau était réservé aux ambassadeurs, il ne se doutait certainement pas des difficultés qu’il allait rencontrer, bien qu’il sût déjà que le nouvel hôte de la France, en l’occurrence Son Excellence Mehemet Riza Bey, envoyé extraordinaire du shah de Perse, n’était pas un personnage facile à vivre.

Depuis qu’il avait débarqué à Marseille, le Persan avait causé une foule d’ennuis au protocole. D’abord, il refusait énergiquement de voyager en carrosse, qu’il qualifiait de boîte incommode et étouffante. Il ne voulait voyager qu’à cheval, ce qui, dans chaque bourg traversé, causait une petite révolution à cause de l’étrangeté du personnage. Ensuite, il voulait être partout précédé de sa bannière, ce qui était formellement interdit par le protocole. Enfin, il refusait obstinément de manger autre chose que ce qui était préparé par ses propres gens dont, d’ailleurs, le nombre avait posé plus d’un problème. Mais enfin, Mehemet Riza Bey était bien arrivé à Paris, et le baron de Breteuil pouvait honnêtement espérer que, désormais, les choses iraient toutes seules.

Il se trompait lourdement. À peine en présence de Riza Bey, il le salua profondément et, du ton posé qui convenait, l’informa que le Roi le recevrait deux jours plus tard à Versailles, s’attendant à de grands remerciements pour une si flatteuse célérité. Mais le Persan, assis en tailleur sur son divan, se contenta de tirer de sa bouche sa pipe à eau et de prononcer un seul mot que traduisit l’interprète :

— Impossible !

— Comment cela, impossible ?

Le baron s’étrangla presque en articulant ces mots.

— Mais… c’est la décision de mon Roi !

— Ton Roi, ô messager, ne saurait entrer en lutte avec la Lune. Et c’est la Lune qui s’oppose à ce que je me rende au jour qu’il a fixé dans son palais.

— La… la Lune ! Est-ce que vous ne vous trompez pas ? demanda Breteuil en se tournant vers l’interprète. Celui-ci, un brave homme de prêtre nommé Godereau, qui était au surplus curé d’Amboise, écarta les bras en un geste d’impuissance.

— Non. Il a bien dit la Lune. Ces gens-là, ces païens, croient dur comme fer aux astres et ne sauraient bouger le petit doigt si la Lune est contraire.

— Et comment pensez-vous que le Roi prendra cette histoire de Lune ?

— Je n’ose pas l’imaginer. Mais il est certain que l’on ne pourra tirer Son Excellence d’ici avant que la Lune ne soit redevenue favorable.

— Cela peut être long.

— Je sais, mais que Monsieur le baron considère que je n’y peux rien…

Furieux mais se maîtrisant, l’envoyé royal salua raidement, tourna les talons. Il allait quitter la maison quand le curé Godereau le rattrapa.

— Monsieur le baron… Quelque chose me tourmente.

— Quoi encore ? fit Breteuil, hargneux. Adressez-vous à l’astrologue de la maison.

— Ce n’est pas de son ressort. Depuis que nous sommes ici, des dames de la Cour et de Paris viennent en carrosse chaque après-midi stationner devant cette maison. Malgré leurs prières, je n’ose les laisser entrer.

— Et pourquoi donc ? Laissez-les entrer, morbleu ! Cela en fera toujours qui ne seront point trop déçues. Et puis, outre que cela ne peut faire aucun mal, ce Persan de malheur les amusera un moment ! Laissez entrer, mon ami, laissez entrer.

Sur ce, le baron regagna son carrosse et reprit au grand galop le chemin de Versailles.

L’après-midi même, une foule de jolies femmes, enchantées de l’aubaine, étaient introduites par un Godereau légèrement affolé dans le salon meublé de divans et de coussins où se tenait Riza Bey. Elles pépiaient comme une volée de jolis oiseaux dorés et chatoyants, emplissant la vaste pièce d’un bruit de volière et riant de se voir désigner, pour s’asseoir, des coussins posés à même le sol.

Riza Bey avait quitté son divan et, arborant un large sourire, saluait, désignait à l’une un coussin, regardait l’autre, adressait à une troisième quelques paroles qu’elle ne pouvait comprendre. Godereau se multipliait pour traduire les questions, les réponses, persuadé d’avoir atteint l’enfer. Il y eut un moment d’accalmie : sur un claquement de doigts de Riza Bey, des serviteurs venaient d’entrer, portant des plateaux sur lesquels s’entassaient des confitures, des gâteaux de miel, des nougats noirs, des amandes sucrées, des guimauves, des dattes, des fruits étranges qui firent la joie des gourmandes et des curieuses. Toutes ces dames picorèrent à qui mieux mieux dans les plateaux posés devant elles. Toutes ? Non. Assise entre l’épouse d’un président et une petite baronne à l’œil éveillé, une très jeune femme ne mangeait rien, se contentant de regarder Riza Bey comme si elle voulait graver à jamais son image dans sa mémoire. Elle était ravissante, d’un blond de clair de lune, avec de grands yeux doux, une petite bouche tendre encore enfantine, une grâce infinie dans chacun de ses gestes mais une sorte d’inconsciente provocation dans chaque mouvement d’un corps sans défaut. Elle avait dix-sept ans, elle était mariée depuis dix-huit mois à un officier qu’elle n’aimait pas mais qui avait le bon esprit d’être à la guerre et elle était venue là comme au spectacle, convenablement chaperonnée par sa mère, Madame de La Roche.