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L’histoire s’arrête là, tout juste lorsque commence le bonheur qui ne saurait s’accommoder des chahuts de la publicité. Revenu à Grenoble, François Lescot vendit sa charge, épousa Marie et partit vivre dans le cadre magnifique de la nature l’amour conquis de si étrange façon. Entendez par là qu’ayant acheté une grande propriété aux environs de Grenoble, il alla s’y enfermer avec Madame Lescot si discrètement que l’on n’entendit plus parler d’eux, ce qui est encore la meilleure preuve qu’ils vécurent heureux.

Quant à Mademoiselle Molière, le procès, comme elle l’avait si bien imaginé, lui ayant rapporté un grand surcroît de gloire, sans compter les profits, elle couronna sa carrière en épousant à grand fracas, le 31 mai 1677, le fameux Guérin d’Estriché. Puis, ayant ainsi solidement assis sa réputation d’honorabilité parfaite, elle entreprit de le tromper copieusement, ce qui, depuis Molière, était chez elle une habitude.

Il est vrai que, la situation de mari trompé n’ayant jamais fait mourir personne, ledit Guérin trouva sa vengeance en survivant de vingt-huit ans à sa volage épouse et en ne se décidant à quitter cette terre de douleur qu’à l’âge respectable de quatre-vingt-douze ans… au grand désespoir de ses héritiers à moitié morts d’impatience !

La « glace » de la marquise de Sévigné

Il y a au monde des gens pour qui l’horloge de la vie sonne toujours trop tôt ou trop tard et dont le cœur ne bat qu’à contretemps. Ils n’aiment que qui ne les aime pas, ou pas encore, et, quand ils ont réussi à conquérir l’être aimé, ils cessent presque naturellement d’éprouver pour lui le moindre sentiment. Madame de Sévigné allait ainsi passer son existence sans réussir à connaître véritablement les joies de l’amour partagé.

Tout commença lorsque le bon abbé de Coulanges présenta à sa nièce le jeune marquis de Sévigné avec l’arrière-pensée de lui offrir l’occasion d’un amour durable. L’idée était louable : Henri de Sévigné avait vingt ans, il était beau, plein de charme, très peu fortuné sans doute, mais il portait l’un des plus beaux noms de Bretagne, et sa réputation de bravoure n’avait d’égale que les suffrages qu’il s’entendait comme personne à récolter auprès des femmes.

La seule crainte de l’abbé était que justement, la jeune Marie ne s’éprît trop violemment de ce garçon aimable et n’en souffrît par la suite. Or, Marie de Rabutin-Chantal ne montra, après la présentation, qu’un enthousiasme mitigé.

— Je l’épouserai, mon oncle, s’il vous convient de me le donner pour époux, et j’espère que nous serons heureux !

Rien n’était moins sûr ! Comment aurait-ce pu l’être alors que depuis l’adolescence son cœur appartenait à son cousin, l’étincelant Roger de Rabutin, non moins jeune, non moins beau, non moins brave et non moins coureur que Sévigné, et encore beaucoup plus mauvais sujet. Mais Roger volait de fille en femme, collectionnait les maîtresses et ne montrait à sa jolie cousine qu’une tendre affection, tout à fait insuffisante pour en faire un époux.

Pourtant, Sévigné, de son côté, avait été séduit d’emblée par la jeune fille. Elle était en effet ravissante : dix-huit ans, un teint de fleur, de superbes cheveux dorés et de grands yeux de la couleur des fleurs de lin. Grand amateur de jupons, le jeune marquis n’avait résisté à cette éclatante beauté que tout juste ce qu’il fallait pour sauvegarder sa réputation de séducteur : une semaine plus tard, il demandait sa main. L’ayant obtenue, il fit à sa future femme une cour en règle mais enthousiaste… et qui se heurta à une douce indifférence, fort irritante pour un homme à femmes. Henri avait beau savoir que cette ravissante Marie serait prochainement son épouse, il n’en éprouva pas moins de dépit à voir ses soins accueillis si froidement et, entre deux visites, il reprit de plus belle la vie dissipée qu’il affectionnait.

Le mariage devait être célébré en mai. Or, quelques jours avant la cérémonie, une nouvelle tragique arriva à l’hôtel de Coulanges : le marquis de Sévigné venait d’être gravement blessé en duel.

Depuis la mort du cardinal de Richelieu, survenue un an plus tôt, la jeunesse turbulente de Paris ne se lassait pas de croiser le fer pour un oui ou pour un non. Sévigné, duelliste impénitent, était l’un des plus acharnés. Et maintenant, sa bravoure écervelée l’amenait aux portes du tombeau au moment même où il aurait dû mener sa fiancée à l’autel.

La réaction de Marie de Rabutin fut curieuse. En apprenant le danger qui menaçait ce fiancé dédaigné, le cœur de la jeune fille s’émut subitement. Elle trembla tout à coup de perdre celui qui la veille encore lui était tellement indifférent. Dévorée d’angoisse, en larmes, elle passa des heures à l’église, priant Dieu de faire miséricorde à Henri de Sévigné.

— Qu’il guérisse, suppliait-elle désespérément, et je ne vous demanderai plus rien, mon Dieu !

Le Ciel eut pitié, à moins qu’Henri eût l’âme chevillée au corps, toujours est-il que trois mois plus tard, en l’église Saint-Gervais, l’évêque de Senlis unissait Henri de Sévigné et Marie de Rabutin-Chantal pour le meilleur et pour le pire. Le lendemain, le jeune couple partait pour la Bretagne afin de s’installer au château des Rochers, une agréable demeure champêtre aux murs gris et aux toits bleus qui séduisit la jeune épousée au premier regard.

— Comme nous allons être heureux ici ! s’écria-t-elle avec une joie enfantine.

— Croyez-vous ? marmonna son époux sans enthousiasme excessif. Vous découvrirez bientôt que c’est fort ennuyeux, la campagne !

En effet, il n’envisageait pas sans quelque maussaderie un séjour prolongé sur ses terres, séjour que la modicité de ses revenus et la sagesse de l’abbé de Coulanges rendaient obligatoire. Ce dernier, en effet, avait bien payé la dot prévue au contrat mais s’était gardé de mettre déjà Marie en possession de la fortune de ses parents. Elle n’avait d’ailleurs pas atteint la majorité requise par la loi et, quand on connaissait un tant soit peu Sévigné, c’était là une sage précaution.

On demeura deux ans aux Rochers, deux ans qui firent comprendre très vite à la jeune marquise que son amour pour son époux arrivait trop tard. Passé les premiers feux de la lune de miel, Henri se montra tel qu’il était : volage, assez dépourvu de cœur, égoïste et uniquement soucieux de reprendre la vie agréable de Paris. La campagne l’ennuyait à périr, son épouse à peine un peu moins et, quand Marie mit au monde une fille, il ne cacha pas sa déception :

— Que voulez-vous que je fasse d’une fille ? C’est un héritier qu’il nous faut.

La jeune mère, bien sûr, ravala ses larmes en serrant contre elle le bébé sur lequel désormais elle reporterait toute la tendresse inemployée de son cœur. L’enfant, d’ailleurs, était ravissante et lui ferait grand honneur.

Mais Henri ne tenait plus en place. La bienheureuse majorité était arrivée et Marie, à peine relevée de ses couches, se vit entassée dans un carrosse avec sa fille et tous les biens du ménage pour regagner Paris à toute bride. Enfin, Henri allait pouvoir retrouver l’air de la capitale, les cabarets, les compagnons de beuverie, les dames galantes et les bagarres à coups d’épée ! Marie, elle, avait les yeux pleins de larmes en regardant disparaître les Rochers, qu’elle avait peu à peu arrangés à son goût et où elle se plaisait infiniment.

Néanmoins, en s’installant dans une belle maison de la rue des Lions-Saint-Paul, elle se rasséréna, car elle était au fond heureuse de retrouver sa famille, et surtout le cher abbé de Coulanges, le « Bien Bon », qu’elle aimait à l’égal d’un père. Elle était heureuse aussi de retrouver des amis et de s’en faire d’autres, et autour de cette femme charmante, cultivée, un peu précieuse mais douée d’un esprit particulièrement vif qui faisait de la conversation un vrai plaisir, un cercle agréable se forma rapidement. On discutait belles-lettres et vie de Cour. Naturellement, Henri n’avait guère sa place au milieu de tous ces beaux esprits, mais il ne songeait pas à la réclamer. Tout juste s’il se souvenait de temps à autre qu’il était marié.