Parfois, au temps de son bonheur, elle était entrée dans le grand couvent de la rue Saint-Jacques, car sa piété avait toujours été profonde et sincère. À chacune de ses visites, elle avait été frappée par la sérénité dont était empreint le visage des religieuses. Cette sérénité était la seule chose à laquelle elle aspirait, et de nouveau, elle se rendit chez les filles de Sainte-Thérèse, et se fit expliquer la règle inflexible de l’ordre : mortifications, jeûnes, silence absolu. On lui expliqua aussi qu’il ne pouvait s’agir là d’une retraite momentanée : on n’entrait pas au Carmel par caprice ou pour fuir quelque peine de cœur. Mais rien ne la rebutait et désormais, sous ses robes somptueuses, la duchesse de La Vallière portait un cilice de crin.
Il y avait cependant un obstacle terrible : la règle voulait que les postulantes fussent de bonnes mœurs et n’aient point causé de scandale. Écrasée de douleur, Louise pleura, supplia, s’humilia devant la mère prieure. Celle-ci, Judith de Bellefonds, tante du maréchal de Bellefonds, vieil ami de Louise (en religion mère Agnès de Jésus), finit par se laisser toucher : la vocation de la postulante était sincère et méritait considération.
Cette décision fit à la Cour l’effet d’une bombe. On aurait trouvé assez normale une retraite à Chaillot ou dans quelque couvent semblable, mais le Carmel terrifiait : son ombre austère semblait s’étendre sur tous ces gens avides d’honneurs et de plaisir. Chacun commenta l’événement à sa façon, s’efforçant souvent d’en rire pour ne pas en trembler. Certains affectaient de douter de cette vocation. Allons donc ! Riche, duchesse et mère de quatre enfants, La Vallière veut entrer au Carmel ? Elle est bien sotte.
Mais les dispositions de Louise étaient prises, ses affaires en règle. Ses enfants, auxquels elle n’avait pas eu le droit de se consacrer, se trouvaient auprès de son amie Madame Colbert, en de bonnes mains, et sa fortune, dans les mêmes mains, leur appartiendrait en temps voulu. Le 20 avril 1674, la duchesse fit ses visites d’adieu : à la Reine d’abord à qui elle demanda pardon et qui l’embrassa en pleurant devant la Cour, car ces excuses, Louise les avait voulues publiques. La dernière fut pour Madame de Montespan, qui l’invita à souper.
Le lendemain, elle assista à la messe du Roi qui là-haut, dans sa tribune, ne perdit pas si belle occasion de pleurer à chaudes larmes. Puis, accompagnée de ses enfants qui devaient l’escorter jusqu’à la rue Saint-Jacques, elle gagna enfin le Carmel, dont la lourde porte se referma sur elle pour ne plus se rouvrir jamais.
Elle y gagna la cellule qu’on lui attribuait : quatre murs blancs, une paillasse jetée sur des planches, une croix de bois noir, une cruche et une planchette pour les livres. Et, dès le lendemain, portant le petit bonnet noir des postulantes, Louise se rendit à la cuisine pour y faire les « gros ouvrages ».
Pourtant, elle n’en avait pas encore fini avec le monde. Elle voulait prendre le voile au plus vite. Certes, on exigeait une année de noviciat avant le prononcé des vœux définitifs, mais le temps de probation précédant le noviciat lui semblait affreusement long : pour elle, on le ramena à trois mois et, le 2 juin 1674, huitième dimanche après la Pentecôte, la cérémonie de la prise de voile eut lieu devant toute la Cour, qui s’écrasait dans la chapelle.
Une dernière fois apparut la duchesse de La Vallière en grand habit de Cour de satin violet brodé et rebrodé d’or. Elle entra, un cierge à la main, et vint s’agenouiller devant l’abbé Pirot qui officiait. Le sermon, ce fut Monseigneur de Fromentières qui le prononça. Il dit que la vie religieuse n’était pas un asile pour les âmes faibles ni un abri contre les épreuves :
— Ne croyez pas que cette douceur que vous goûtez ne puisse être altérée. Les peines, je dois vous y préparer, pourront succéder aux douceurs.
Le sermon terminé, Louise reçut l’habit de novice qui avait été béni par l’archevêque de Paris, rejoignit les religieuses, quittant à jamais les atours de son rang. Elle prit le cilice, la bure grossière, le voile blanc et chaussa ses pieds nus des alpargates de corde faites au couvent même, puis elle revint se prosterner devant l’autel tandis que la clôture se refermait sur elle.
Les vœux définitifs eurent lieu un an plus tard et de nouveau, la chapelle s’emplit de la foule des grands jours : on y vit Monsieur, frère du Roi, et la princesse Palatine, sa nouvelle épouse, la Grande Mademoiselle. La duchesse de Guise, tout Versailles et tout Paris… moins le Roi et sa maîtresse qui n’avaient pas davantage osé se montrer lors de la prise d’habit.
Cette fois, ce fut Bossuet qui prononça le sermon, et celui-là effaça celui qui, dans la chapelle de Versailles, avait tant fait souffrir la pauvre amoureuse de Louis XIV. L’Aigle de Meaux avait choisi pour thème : « Et celui qui était assis sur le trône dit : je renouvelle toutes choses… »
Quand la grande voix se tut, chacun retint son souffle : l’instant suprême était venu, celui où les traits de l’ex-duchesse allaient pour toujours disparaître. La Reine se leva, saisit le voile noir que lui offrait le prêtre et le tendit à la mère prieure qui, lentement, le posa sur le visage de celle qui n’était plus désormais que sœur Louise de la Miséricorde.
La prieure prit ensuite la nouvelle carmélite par la main et la conduisit jusqu’au milieu du chœur où elle s’étendit face contre terre entre deux bordures de fleurs comme celles que l’on voit sur les tombes. Sur cette forme prostrée on fit glisser un grand drap noir qui la recouvrit complètement pour signifier qu’elle était à jamais morte au monde.
« Il ne me reste plus rien à souhaiter que de perdre la mémoire de tout ce qui n’est pas Dieu, écrivait-elle quelques jours plus tard au maréchal de Bellefonds. Par sa bonté, le cœur est détaché et la volonté ne tend qu’à lui plaire, mais cette importune mémoire dont je souhaite d’être délivrée me distrait malgré moi. Il n’y a plus qu’elle à détruire… »
Sœur Louise allait s’y appliquer durant trente-six ans, jusqu’à ce 6 juin 1710 où elle devait, après bien des souffrances, rendre à Dieu une âme qui n’appartenait déjà plus qu’à lui seul.
Quand Louis XIV aimait Marie Mancini
Ce jour de juillet 1658 était beau entre tous ; pourtant, malgré le soleil et la chaleur, rien n’était triste et lugubre comme la bonne ville de Calais. On n’entendait partout que prières jaillissant de toutes les églises, que glas lugubres s’exhalant de tous les clochers jusqu’à une mer pourtant d’un joli bleu de vacances. Dans les rues, on ne voyait que gens inquiets, aux yeux souvent rougis, qui s’abordaient avec de grands « hélas ! » et des hochements de tête entendus et désolés.
Mais toute cette douleur populaire n’était rien auprès de celle d’une jeune fille qui, enfermée dans une petite chambre du château, se laissait aller à un affreux désespoir. C’était normalement une jolie jeune fille : le teint un peu brun peut-être et les traits encore incertains, mais la bouche fraîche et, surtout, les plus beaux yeux du monde. Pour l’heure présente toutefois, les plus beaux yeux du monde, rougis et tuméfiés, avaient perdu la plus grande part de leur séduction et de grandes marbrures marquaient les joues lisses, tandis que les doux cheveux bruns s’emmêlaient plus que de raison.
La jeune fille allait continuellement de son prie-Dieu, sur lequel elle s’élançait par instants pour adjurer le ciel d’écouter ses prières, à son lit, où elle se jetait aussitôt après dans un paroxysme de chagrin et de désespoir de trouver le ciel aussi muet et aussi insensible.
La jeune désolée se nommait Marie Mancini. Elle était la troisième des cinq nièces du cardinal Mazarin, cet escadron de jolies filles que l’on avait surnommées les Mazarinettes. Elle était aussi celle à marier. L’aînée, Laure, avait épousé le duc de Mercœur, la cadette, Olympe, était comtesse de Soissons. Quant aux deux dernières, Hortense et Marie-Anne, âgées respectivement de treize et neuf ans, elles étaient trop jeunes pour que l’on s’occupât de les établir.