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— Il a bien fallu, moi, que je vous supporte, vous et votre impudence ! J’ai dit que vous partiriez, et vous partirez demain ! Sortez, maintenant, et allez faire vos coffres !

Il n’y avait pas y revenir. Marie, éplorée, alla se jeter dans les bras de Louis et le supplia de la sauver. Mais Louis savait bien que le cardinal avait tout pouvoir sur sa nièce, un pouvoir que même le Roi ne pouvait rompre, car il représentait la puissance paternelle. Il comprit qu’il fallait se résigner.

Le lendemain, 22 juin 1659, Louis, qui ne songeait pas à cacher ses larmes, conduisit Marie au carrosse qui attendait dans la cour du Louvre. Elle y monta sans un mot puis, comme le jeune homme, dans la peine qu’il avait à se séparer d’elle, se penchait à la portière pour la revoir encore, elle lui jeta avec rancune :

— Ah, Sire ! Vous êtes Roi, vous pleurez… et je pars !

Louis hocha la tête d’un air désolé. Mais comme il se rejetait en arrière pour laisser partir la voiture, Marie arracha sa manchette de dentelle en criant :

— Je suis abandonnée !

Le lourd véhicule, enfin, s’ébranla et prit la route de Fontainebleau, tandis que Louis, incapable de supporter un Louvre où tout lui parlerait de Marie, allait cacher son chagrin au fond des bois de Chantilly. Cacher son chagrin et commencer la première d’une longue suite de lettres d’amour.

Dans le carrosse qui l’emportait vers Brouage avec une Hortense moqueuse et une Marie-Anne indifférente, Marie se mit à appeler la mort à grands cris. Elle ne réussit pas à mourir mais n’en tomba pas moins malade à quelques lieues d’Orléans, à Notre-Dame-de-Cléry. La nouvelle alla aussitôt trouver le Roi en son palais qui, pour être plus près de la chère malade, vint s’installer à Fontainebleau et dépêcha un mousquetaire avec une lettre pour Marie et une pour Mazarin le suppliant de mettre fin à ce voyage inhumain.

Mais il en fallait plus pour arrêter l’homme d’État qu’était Mazarin quand il avait décidé de mener à bonne fin un projet important. La malade dut poursuivre son chemin, et la lettre l’atteignit seulement à Amboise. Celle que Mazarin renvoya était d’ailleurs pleinement rassurante quant à la santé de Marie. Il ajoutait que l’air marin achèverait de la remettre. Mais la partie n’était pas encore gagnée pour le cardinal.

Entre les amoureux, des montagnes de lettres s’échangeaient qui mettaient sur les genoux mousquetaires et courriers. À tel point que Mazarin écrivit à Louis : « Il serait à propos pour beaucoup de raison que vous cessiez de dépêcher des courriers et, comme cela est absolument nécessaire, je vous en supplie de tout mon cœur ! »

Deux amoureux acharnés pouvaient-ils comprendre les raisons d’un sage vieillard ? Le courrier continua de plus belle et Mazarin, de nouveau, écrivit : « On dit, et cela est confirmé par des lettres de la Cour à des personnes qui sont de ma suite, que vous êtes toujours enfermé à écrire à la personne que vous aimez. Cela n’est point d’un roi… »

Louis, en effet, écrivait lettre sur lettre, tout en se mettant en route pour la frontière des Pyrénées. Il avait d’ailleurs accepté de partir uniquement parce que cette route était celle qu’avait suivie Marie.

Anne d’Autriche, exaspérée par la mauvaise volonté que mettait son fils à comprendre son devoir, décida alors de tenter un coup décisif : les deux amoureux se reverraient encore une fois. Elle fit prier Marie et ses sœurs de venir à La Rochelle.

L’entrevue eut lieu le 13 août 1659. Elle dura plus de trois heures mais, alors qu’Anne d’Autriche espérait que les deux jeunes gens en sortiraient en ayant compris enfin que leur amour ne pouvait s’opposer au bien d’un royaume, Marie employa ce laps de temps à exaspérer l’amour de Louis.

— Si vous pensez, lui dit-elle, qu’il vous sera possible d’en user avec moi comme avec ma sœur Olympe, qui fut vôtre après son mariage, vous vous trompez. Je ne serai à vous qu’en mariage, et jamais autrement.

Anne d’Autriche alors renonça. Elle eût fermé les yeux sur une aventure survenue hors mariage et destinée à apaiser la grande fringale que Louis avait de Marie mais puisque la folle jeune fille s’obstinait à vouloir être reine de France, elle lui fit savoir qu’elle eût à gagner Brouage au plus vite. Et Marie partit, tandis que la Cour poursuivait son chemin vers Saint-Jean-de-Luz où déjà, le cardinal était arrivé.

Marie gagna Brouage. Une petite ville ceinte de remparts, une forteresse dominant un horizon de marais salants où se perdait la mer, un ciel mélancolique où planaient, royaux, les oiseaux de mer. Marie et ses sœurs y arrivèrent le 15 septembre mais là encore, elle garda l’espoir. Les lettres de Louis continuaient d’arriver, toujours aussi tendres et souvent jointes à des présents. Elle espéra ainsi, jusqu’à ce jour d’hiver où elle apprit que le maréchal de Grammont venait de partir pour l’Espagne, sur l’ordre du Roi, pour y demander la main de l’infante.

— Il ne m’aime plus ! gémit la jeune fille. Il m’a définitivement abandonnée.

Elle se trompait. Louis l’aimait toujours autant mais, dans cette lutte entre le royaume et l’amour, il avait trouvé plus fort que lui dans le vieux cardinal.

— Sire, lui avait dit Mazarin, vous avez daigné venir jusqu’ici et cependant vous continuez à entretenir une correspondance qui ne peut qu’offenser l’infante. Il est temps maintenant de me dire si je dois poursuivre ou rompre la négociation.

— Vous savez bien que j’aime Marie et que je ne peux y renoncer, ni elle renoncer à moi !

— Il se peut, fit avec hauteur le cardinal, que Votre Majesté n’ait pas assez d’empire sur elle-même pour renoncer à un amour qui ne peut que l’abaisser, mais je lui assure que ma nièce, de gré ou de force, y renoncera.

— Comment l’entendez-vous ?

— Au cas où je devrais rompre la négociation avec les envoyés espagnols, j’aurais l’honneur de remettre à Votre Majesté la démission de toutes mes charges. Ensuite de quoi je me retirerais sur l’heure en Italie, avec mes nièces bien entendu !

Louis baissa la tête. Il avait compris que le vieux lutteur irait jusqu’au bout de tous les sacrifices, fût-ce celui de sa propre famille, pour faire aboutir le mariage qu’il jugeait nécessaire. Pour la première fois depuis des mois, il eut conscience de ce que c’était qu’être roi.

— Poursuivez la négociation, Monsieur le cardinal, dit-il enfin. J’épouserai l’infante. Vous avez ma parole !

Dès lors, tout était dit, et tandis qu’à Saint-Jean-de-Luz Louis XIV épousait l’infante Marie-Thérèse, Marie recevait enfin l’autorisation de regagner Paris. D’un balcon, elle put assister à la joyeuse entrée de la jeune Reine, éblouissante d’or et de diamants. Et à nouveau, la jeune fille pleura toutes les larmes de son corps en rentrant au palais Mazarin.

Le lendemain, elle fit savoir à son oncle qu’elle était désormais prête à épouser l’homme qu’on lui proposait, un fort grand seigneur, Lorenzo Colonna, duc de Tagliacozzo, prince de Palliano et de Castiglione, connétable du royaume de Naples, auprès duquel d’ailleurs elle ne trouva pas le bonheur.

Quant à Louis, rencontrant Marie quelques jours plus tard dans la galerie du Louvre, il lui dit :

— Le destin, qui est au-dessus des rois, a disposé de nous contre nos penchants, Madame, mais il ne m’empêchera pas de chercher, en quelque pays que vous soyez, à vous donner des preuves d’estime et d’attachement.

Paroles sincères, mais vaines. Jamais les deux amoureux ne devaient se revoir.

Marie de Bretagne, duchesse de Montbazon

De l’horreur à la rédemption

Un soir de l’automne 1654 semblable à beaucoup d’autres, le jeune abbé Jean-Armand Le Bouthillier de Rancé festoyait avec ses amis en son joli château de Veretz, proche de Tours. Ce n’était pas rare en effet que l’on fît bombance à Veretz car Jean-Armand, riche, joli garçon, amoureux et adulé dans les meilleurs salons, était l’un de ces abbés pour rire comme il en fleurissait beaucoup dans les grandes familles. En fait, il était surtout abbé parce qu’il percevait les bénéfices de riches prébendes ecclésiastiques, mais sa vie était toute mondaine, toute vouée à l’amour passionné qui depuis des années l’attachait à la plus belle des femmes : Marie de Bretagne, duchesse de Montbazon, dont le puissant château n’était guère éloigné du sien et auprès de laquelle il se rendait presque journellement lorsqu’elle séjournait en Touraine.