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C’est là que sa mère vint un beau matin lui annoncer que son mariage avait été décidé par le Roi et qu’elle pouvait se préparer à devenir prochainement princesse de Léon. Elle pouvait aussi se disposer à recevoir sous peu la visite de son fiancé.

Si Françoise était laide, le futur n’était pas beaucoup plus beau. Il avait vingt-sept ans, il était maigre et sec comme un jour de Carême et tout le contraire d’un Adonis mais… mais il était tout de même assez séduisant grâce à son esprit, son amabilité, sa gaîté, son élégance et, disons le mot, par son charme. Avec cela grand viveur, grand buveur, grand coureur et grand prodigue lorsqu’il s’agissait de ses plaisirs, mais avare comme Harpagon lorsqu’il s’agissait d’autrui. Un trait de caractère familial, qu’il partageait avec Monsieur son père et Madame sa mère.

Or, au moment de la fameuse entrevue dans le parloir du couvent, il se passa l’un de ces miracles comme l’amour seul est capable d’en faire : ces deux laiderons se subjuguèrent mutuellement. Il faut d’ailleurs ajouter, pour une meilleure compréhension du phénomène, que si la jeune fille était contrefaite et sans beauté, elle possédait les mêmes qualités que son fiancé : un esprit du diable, une extrême vivacité, et donc un charme certain.

Les choses en étant à ce point, l’histoire devrait s’arrêter là et se clore dans l’apothéose d’un grand mariage à Versailles en présence du Roi, de son épouse morganatique la marquise de Maintenon et de toute la Cour. Mais c’est hélas compter sans la pingrerie bien connue des Rohan et le fait que la duchesse de Roquelaure, assez près de ses sous quoique fort riche, considérait avec complaisance la grande fortune des princes bretons. Mais écoutons plutôt Saint-Simon :

« Sur le point de signer, tout se rompit avec aigreur par la manière altière dont la duchesse de Roquelaure voulut exiger que le duc de Rohan donnât plus gros à son fils. Lui et sa femme se piquèrent, tinrent ferme et rompirent… »

La raison profonde des exigences de la dame et du refus des Rohan tenait surtout au fait qu’au moment où les pourparlers de mariage s’engageaient, une certaine Florence Pellerin, fille d’un gargotier de Saint-Germain-des-Prés, faisait son entrée à la Bastille – avec son plein consentement d’ailleurs – par la vertu d’une lettre de cachet obtenue par le duc de Rohan. Depuis quatre ans, en effet, cette Florence, fort belle personne au demeurant, tenait Hercule-Mériadec captif de ses charmes au point qu’il avait même parlé de l’épouser et qu’elle était en train de lui donner un enfant. À la Bastille, elle eut d’ailleurs un traitement de grande dame et obtint même la permission d’aller faire ses couches chez la femme d’un exempt de la prison, Marie Bazin, devenue son amie, après quoi elle entra, toujours à sa demande, dans un agréable couvent où elle devait couler des jours paisibles en attendant de jouir en toute tranquillité de la petite fortune qu’on lui avait donnée. Une fortune qui avait fait grincer des dents chez les Rohan, et que Madame de Roquelaure jugeait indécente. Elle partit alors du principe que les futurs beaux-parents devaient faire un effort financier, après un tel scandale, pour avoir l’honneur de s’allier à elle. Il advint de ses exigences ce que l’on sait.

Mis en demeure de renoncer à épouser sa chère Françoise, Hercule-Mériadec, désespéré, se précipita rue de Charonne pour apprendre la nouvelle à sa « fiancée ». Les deux jeunes gens commencèrent alors par se désoler ensemble en déplorant la sécheresse de cœur et l’avarice des auteurs de leurs jours, avant de se prendre à réfléchir. La seule solution était de mettre les parents devant le fait accompli.

— Je vous enlève, je vous épouse et nous verrons bien.

Naturellement, Françoise approuva hautement ce projet qui flattait si agréablement la corde romanesque toujours prête à vibrer dans le cœur d’une fille élevée chez les nonnes. Et l’on prit sur-le-champ des dispositions pour en mener à bien la réalisation. En trois jours, l’affaire serait réglée.

En effet, Madame de Roquelaure, qui ne quittait guère Versailles, avait autorisé depuis longtemps la supérieure du couvent à laisser sortir Françoise et sa gouvernante Marguerite Vitu toutes les fois que sa marraine, la marquise de La Vieuville, la réclamerait.

Renseigné sur cette circonstance intéressante, Hercule-Mériadec ne perdit pas de temps ; il fit repeindre un de ses carrosses, ajouta sur les portières les armes des La Vieuville, équipa son cocher et deux laquais aux couleurs de cette noble maison et envoya le tout au couvent le 29 mai 1708 au matin avec une ancienne lettre de la marquise que Françoise lui avait donnée et qui réclamait la jeune fille.

La supérieure n’y vit que du feu et Françoise, triomphante, monta dans le carrosse avec Mademoiselle Vitu… qui ne tarda pas à pousser les hauts cris quand elle constata que l’on ne prenait pas du tout le chemin habituel. L’hôtel de La Vieuville se situait en effet à l’emplacement de l’actuel quai des Célestins, et le carrosse courait vers les hauteurs campagnardes de Ménilmontant. En outre, à quelque distance du couvent, elle avait vu monter Monsieur le prince de Léon, tout ravi du succès de son entreprise.

Malheureusement, la gouvernante refusa de se taire et cria de plus belle. Hercule-Mériadec alors lui sourit gentiment et la bâillonna en lui promettant qu’on ne lui ferait aucun mal. Peu après d’ailleurs on arriva près du village de Ménilmontant, au château des Bruyères, qui appartenait au duc de Lorges, cousin et meilleur ami du fiancé. On trouva là, outre le propriétaire, le comte de Rieux et le duc d’Aumont, plus un prêtre « complice, interdit et vagabond », qui avait en quelque sorte repris du service pour la circonstance.

La bénédiction nuptiale expédiée, on conduisit les nouveaux mariés à une belle chambre pourvue d’une « toilette » dans laquelle un lit tout préparé les attendait. À cette vue, les hurlements de Marguerite Vitu, qui se voyait déjà en prison, reprirent de plus belle et elle se jeta sur son élève pour l’empêcher de commettre l’irréparable, mais elle n’était pas de taille : les serviteurs de Lorges s’emparèrent d’elle et l’enfermèrent dans un placard. Cette vigoureuse défense qui lui permettrait plus tard de se justifier aux yeux de la mère irritée lui vaudrait, de la part de la jeune princesse de Léon, une pension confortable qui laissait à penser que ce jour-là, elle avait peut-être montré de remarquables dispositions pour le théâtre. Il est, comme cela, des vocations cachées qui ne viennent jamais au jour !

Durant quatre délicieuses heures les jeunes gens allaient demeurer dans cette agréable chambre, après quoi on les fit lever pour passer à table. Un magnifique repas fut alors servi à toute la compagnie (on suppose que Marguerite Vitu avait été extraite de son placard), au cours duquel « la mariée chanta quelques joyeux couplets », mais, à huit heures du soir, la nouvelle princesse de Léon regagnait son couvent, flanquée d’une gouvernante échevelée et en larmes qui se hâta de mettre la communauté au courant de l’évènement inouï dont elle venait d’être le témoin impuissant. Pendant ce temps, le duc d’Aumont galopait à Versailles pour informer la duchesse de Roquelaure.

Une sérieuse bagarre

On devine comment, à Versailles, le messager des nouveaux époux fut reçu par cette belle-mère qui s’ignorait ! Sans trop s’étendre sur les civilités d’usage, la duchesse de Roquelaure commanda ses chevaux et se précipita en tempête chez l’innocente Madame de La Vieuville, à qui elle fit une scène affreuse. La malheureuse tomba des nues, se fâcha à son tour et convoqua sur-le-champ tout son personnel d’écurie qui, en chœur et avec cette force de conviction que donne l’innocence, jura qu’aucune voiture n’était sortie ce jour-là, que ce soit pour aller au couvent de Charonne ou ailleurs. Forcée de se rendre à l’évidence, il ne restait plus à la mère outragée qu’à présenter des excuses. Quand elle eut vidé les lieux, la pauvre marquise se sentit faible et alla se coucher.