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— Vous sauvez pas, papa, j’ai quèque chose à vous montrer.

Je lui expose ma carte. Il la regarde d’un air recueilli.

— Ah ! oui, fait-il. Je pense que c’est au sujet du petit bonhomme de l’aut’ jour ?

— Juste…

Il désigne Georgel du menton.

— Je reconnais monsieur.

— Dites, vous êtes physionomiste ! C’est encourageant pour un flic d’avoir affaire à des témoins physionomistes…

— Oh ! témoin, murmure-t-il modestement.

— Ben : comment appelle-t-on les gars qui ont découvert un macchab dans leur espace vital, dites voir, vieux ?

Il admet d’un mouvement condescendant.

— Car c’est vous qui avez découvert le mort, hein ?

— Oui.

— Racontez un peu comme ça s’est passé. D’abord, où était-il, ce pauvre chéri ?

— A dix mètres d’ici, tout contre le mur, là-bas…

Je passe un regard flottant dans la direction indiquée. Je découvre un mur terriblement haut, pareil à une abrupte falaise de ciment.

— Allez-y, prenez depuis le commencement…

Georgel, évidemment, adopte l’attitude indifférente du monsieur qui connaît déjà l’histoire de Marius et Olive sur un radeau.

Le préposé à la circulation du parking prend son souffle. Son histoire, il a dû la déballer un nombre de fois impressionnant depuis le meurtre…

— Ben voilà, attaque-t-il gaillardement. Le type est entré… Il était dans une 4 CV. J’avais justement une petite place contre le mur. Je l’ai guidé là-bas… D’autres clients arrivaient…

— Ces autres clients suivaient-ils Triffeaut ?

— Non… Ils sont rentrés au volant d’une grosse amerlock. Y avait un homme et une femme, bien sapés. Puis, tout de suite derrière, une traction avec une belle fille… J’ai garé tous ces gens…

— Du même côté que Triffeaut ?

— Non, ailleurs… A l’aut’ bout.

— Et Triffeaut est-il sorti de sa voiture ?

— Je ne peux pas vous le dire, je n’ai pas remarqué ; ici, vous savez, on cavale…

— Quand avez-vous découvert le meurtre ?

— Environ une demi-heure plus tard. Un client qui était garé près de la 4 CV de Triffeaut arrivait pas à dégager sa bagnole. Il klaxonnait pour lui demander de reculer, et le Triffeaut, bien sûr, pouvait pas entendre… Je me suis approché, ça m’a filé une secousse : sa gorge était toute rouge, le sang bouillonnait…

— Il était mort depuis un certain temps, fais-je, j’ai lu le rapport. Conclusion, il n’est sans doute jamais sorti de sa voiture ?

— Ben, je sais pas…

Je regarde mon interlocuteur. C’est un type d’une cinquantaine de berges avec un nez qui en dit long sur son penchant pour le gros rouge.

— Les gens qui se sont annoncés derrière lui, vous les avez vus sortir de l’enclos ?

— Oui…

— Et, avant lui, mon brave… Juste avant lui, y avait-il un gars qui semblait attendre ? Ou, attendez, un gars qui soit demeuré peu de temps ici ?

Il réfléchit. Ça lui contorsionne la pensarde, au bonhomme. Ses pensées sont vachement bourbeuses, je vous l’annonce. Faut une pioche pour aller les chercher…

— Attendez, dit-il… Oui, juste avant lui, un type est arrivé. Je l’ai garé. Il a regardé partout autour de lui comme s’il cherchait quelqu’un…

— Ah ! Ah !

— Oui… Puis il est sorti, mais en accueillant une autre voiture, je l’ai aperçu, debout, devant l’entrée.

— Et puis ?

Georgel, du coup, s’est défigé. Il avait pas dû pousser son interrogatoire bien loin, le brave biquet ! Il commence à piger comment on dénoyaute un mec.

— Et puis, dit le gardien en état d’hypnose… Et puis, un moment plus tard, tandis que je m’occupais des nouveaux, je l’ai vu aller à sa voiture… Je m’ai dit qu’il avait réfléchi et qu’il voulait pas faire de courses ce matin…

— Triffeaut était là ?

— Oui…

— Et la voiture de cet homme, se trouvait-elle loin de la fameuse 4 CV ?

— Non, pas très…

— Et après ?

— Après je ne sais pas, il a dû partir, je ne l’ai plus revu…

— Comment était-il cet homme ?

— Petit, brun… Attendez : un complet bleu clair, un chapeau mou marron…

— Je vois le genre… Quel âge ?

— Ça… Je l’ai regardé distraitement, faut comprendre…

— Je comprends.

— Peut-être quarante ? Peut-être moins…

— Et la voiture, vous vous en souvenez ?

Sans l’ombre d’une hésitation il me répond :

— Une Lancia noire, ancien modèle.

On sent que les bahuts l’intéressent. Il est catégorique d’une façon impec… Ça réconforte plus que la menthe forte, un tuyau pareil…

Comme dit l’autre : moralement je me frotte les mains !

Ça avance, les potes, ça avance…

Je lui fais la description de Brioux, puis celle de Pauvel en demandant au gardien si ça lui dit quelque chose ; mais il est évasif.

— On voit tellement défiler de gens…

— Par mesure de prudence, dis-je à Georgel, procure-toi les binettes de ces deux types et montre-les à monsieur.

— Entendu.

— Vous ne voyez rien d’autre à signaler ? fais-je, suivant une formule qui fait fureur dans les romans policiers.

Il hausse les épaules…

— Ben, j’ai à peu près tout dit. Les journalistes m’ont assommé de questions. Ils en ont rajouté… Vous avez vu ma gueule à la une du Parisien ? Ma concierge depuis me fait des avances. Comme elle a du carat, je passe devant sa loge les coudes au corps, des fois qu’elle voudrait me violer !..

Je me cintre pour lui faire plaisir et je cramponne le Georgel par l’aileron.

— En route, mauvaise troupe !

Il renifle une morve assez considérable qui lui pend au naze et touche le bord de son galure passé, très décontracté toujours, Georgel… Chez lui il doit se faire encenser par sa family. C’est le genre tête d’icône pour trois pièces sur la cour.

Au moment où nous allons franchir la porte du parking, le mec qui s’occupe de la circulation à l’intérieur nous biche à la surprise.

— Hé !

On se retourne.

— Faut que je vous dise quèque chose, commissaire. Notez que c’est peut-être con.

— Dites toujours…

— Le gars…

— Quel gars, Triffeaut ?

— Oui…

— Eh bien ?

— Oh ! c’est un détail idiot… Et peut-être que je me goure ?

— Accouchez, mon vieux… Ou je vais chercher les forceps.

Il rit.

— Vous alors ! Eh bien ! je crois une chose…

Il avale sa salive — ce qui est son droit le plus absolu — mais ce qui ralentit encore son débit. Vu son nez, ce serait plutôt un débit de boisson, comme dirait Mme de Sévigné, la grognace qui a le plus fait marner les P.T.T.

— Voilà, quand le type est radiné, il était tête nue… Et quand je l’ai trouvé égorgé, il avait un chapeau. C’est tout… Vous voyez comme c’est con !

Je me gratte le bout du pif.

— Peut-être pas tellement…

— Ah ! vous croyez ?…

— Peut-être avait-il son chapeau, à côté de lui ?

— Peut-être…

Je danse un peu sur place comme l’ours de Miarka.

— Ça boume, merci…

Nous nous retrouvons dans la foule.

— Vous laissez la bagnole ici ? demande Georgel.

— Oui, j’ai envie de casser une croûte dans le secteur. Tu bouffes où ?