— Ma boîte est convenable : les draps sont propres et les bardanes n’ont pas réapparu depuis l’été qu’il a fait si chaud !
— Bref, c’est chez vous que descend le duc de Windsor ?
— S’il voulait, il pourrait !
— Trêve de plaisanterie, Victor, vous avez reçu un coup de tube pour un de vos clients… à mettons onze heures ce matin.
Il se gondole comme une plaque de tôle ondulée.
— Vous parlez ! Des coups de tube, le matin : on fait que ça… A qui il était braqué ce coup de grelot, inspecteur ?
— Commissaire, je rectifie.
Tous mes collègues tiennent à leur titre. Bien que n’étant pas mégalomane, je fais comme eux par respect du métier…
— Oh ! oh ! fait-il, c’est grave pour que les huiles se dérangent…
— C’est toujours grave pour quelqu’un, les questions d’un flic… Tâchez voir à vous tisonner la matière grise, si vous en avez, Magnin. Il est important que je retrouve le destinataire du coup de fil auquel je pense !
— Mais comment diantre voulez-vous que…
Je le stoppe d’un geste olympien.
— Attendez, la communication a été demandée par une secrétaire, celle-ci s’est bien assurée que vous étiez Vaugirard 11–51 avant de brancher sur le poste du patron. C’est un indice pour vous : onze heures, une secrétaire, une voix d’homme…
Il fait « oui » de la tête.
— Ça va, j’y suis !
— Alors, si vous y êtes, j’y suis aussi, cher monsieur…
— L’appel était pour M. Brioux…
C’est tellement formide que j’en suis baba.
— Paul Brioux ?
— C’est ça, vous le connaissez ?
Sans répondre, je me gratte le but. Il m’a bien eu, Pauvel, avec ses histoires de femme envoûtée par le Pape ! Et cette carne qui prétendait avoir perdu Brioux de vue ! Gentil ! Seulement il a affaire à forte partie, le marchand de mécanique de précision !
Qu’est-ce qu’il croit ! La police, il l’imagine comme sur les albums du petit Toto, non ?
— Il y a longtemps que Paul Brioux est chez vous ?
— Environ deux mois…
— Quel genre de client ?
— Je croyais que vous le connaissiez ?
Je me file en renaud.
— Faites pas le malin. Magnin, j’aime pas qu’on me coure sur les noix trop longtemps. Peut-être que vos astuces vous amusent, mais je ne suis pas ici pour rigoler. Alors vous allez modifier votre style ou je me fâche. Et quand je me fâche, on regrette tout de suite l’épidémie de grippe espagnole…
J’ai jacté avec la frite qui convenait à la situation. Il pose ses billes, Magnin. Sa gélatine tremblote comme s’il manœuvrait un pic pneumatique.
— Brioux, fait-il, c’est un client sérieux… Tranquille, gentil…
— Il reçoit beaucoup de populo ?
— Non…
— Il grimpe des souris, quelquefois ?
— Rarement…
Evidemment, il bouillave à domicile, ce tordu ! Pas d’embêtements de cette façon ! Il chourave l’artiche des crédules et il calce les moins tartignoles en supplément au programme ! C’est de la situation cousue-pogne ! A la frissonnante qu’il les a, les paumées lucyfériennes. Il leur déballe les mystères de l’au-delà en même temps que son savoir-faire !
C’est net et exonéré de toutes taxes à la production ! La bath activité que voilà ! De quoi démissionner du poste de ministre des Finances pour se lancer dans la papauté !
A moi l’orgie romaine compliquée, les étreintes salingues dans les alcôves mystérieuses ! Et ça douille plus qu’à Pigalle. Pas de risque de se faire crever par ceux de la mondaine !
Du turf impeccable !
— A quelle heure rentre-t-il ?
L’hôtelier hausse les épaules :
— C’est variable… En tout cas, aujourd’hui il est là.
— Vous voulez dire dans sa piaule ?
— Oui : le 12 ; vous voyez, sa clé n’est pas au tableau.
— Bon, j’espère que je ne le dérangerai pas…
Je m’engage dans l’escadrin, ce qui vaut mieux que de s’engager dans les troupes aéroportées !
CHAPITRE X
UNE SURPRISE
Au premier, l’hôtel est plus silencieux que l’intérieur d’une pomme. L’odeur de repassage et de poussière respectée se précise, compliquée d’un relent de cacao.
Je m’annonce devant la porte marquée 12 et je frappe délicatement. Un silence épais me répond.
Je me dis que le Brioux, contrairement à ce que suppose le patron de la crèche, est sorti… A moins qu’il ne soit allé aux gogues. J’avise la porte de ceux-ci tout près. Le petit disque d’émail blanc indique « libre ».
Je vais pour me tailler mais, comme je suis flic, j’obéis à un réflexe presque inconsidéré : je tourne le loquet de sa lourde.
Celle-ci s’ouvre sans la moindre difficulté. Je pénètre alors dans une chambre obscure qui sent le fade. A tâtons je cherche le commutateur. Ceux-ci se trouvant toujours à côté des portes, comme les sentinelles, je n’ai pas grand mal à obtenir la lumière.
J’avise alors une piaulette fanée comme les plantes vertes d’en bas. On pourrait y jouer Huis-Clos facile. Une cheminée en marbre horrible prétend donner un cachet à l’endroit. En réalité elle ne fait que renforcer l’impression de tristesse que foutent les meubles de bois blanc. Le lit est fait, les rideaux pisseux de la fenêtre sont tirés. Tout est en ordre…
J’ouvre les rideaux pour laisser entrer le jour gris du quartier. Du moment que je suis sur place, autant jeter un coup d’œil au paquetage de Brioux. Ça peut être édifiant, faut donc voir. J’ouvre l’armoire. Des costars sont pendus soigneusement, des pompes bien cirées sont alignées ; des limaces de soie s’entassent. Il est coquet, ce gnace. Il aime les belles fringues, les beaux costars… C’est le vice de tous les truands. Tous, dès qu’ils engrangent un peu d’artiche, ils se loquent comme des princes. Un tiroir se propose à ma curiosité. Je l’ouvre, naturellement. Je trouve des boutons de manchettes, des objets de manucure, des bibelots sans importance, mais rien de compromettant, rien en tout cas qui ait trait au boulot particulier de l’occupant.
Il a coupé sa vie en deux, Brioux : d’une part son turbin de pape ; de l’autre sa vie de petit zig peinard.
Des bouquins policiers s’empilent sur la cheminée. Parmi eux un album salingue avec des photos qui foutraient le tricotin à une douzaine d’huîtres.
Tout ça n’a rien d’édifiant.
Un faux mouvement fait choir la pile de romans policiers sur la moquette. Je me baisse pour les ramasser et alors j’écarquille mes châsses comme des hublots because dans cette position j’ai vue sous le pageot. Et sous le pageot, mes biches, il y a quelqu’un d’allongé.
Quelqu’un qui reste immobile.
Mon feu me vient dans les pognes instantanément.
— Sortez un peu de là, citoyen ! je murmure…
Mais rien ne vient.
Alors je m’avance d’un pas, je chope le montant du pieu et je le déplace sur la gauche.
M’est avis que les mecs qui font le ménage ici ont un lumbago, ils ne doivent pas se recourber pour passer l’aspiranche sous les puciers. C’est plein de poussière, de débris de papier, de petits trucs sales…
Et au milieu de tout ça, repose pour l’éternité au moins, le dénommé Paul Brioux. Il est couché sur le dos. Ses mains sont croisées sur sa poitrine, il a les pieds en flèche, le regard brouillé, les membres en ciment. Et un trou bleuâtre lui perce le front. Ça c’est le boulot d’un P.38, je crois pas me gourer.
Il est canné depuis plusieurs heures, Brioux, à en juger à sa rigidité.
Le mec qui l’a farci lui a ajusté une bastos en plein bocal. Et devait y avoir un silencieux à la sulfateuse, because dans le silence de la boîte, le pet d’un P.38 s’entendrait méchant.